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Un restaurant emploie des jeunes porteurs de la trisomie 21

Par Marie Le Marois, le 23 septembre 2020

Journaliste

Ils aimeraient bosser comme tout le monde mais l’emploi leur est difficile d’accès. Faute d’un avenir professionnel, de nombreux adultes déficients intellectuels se retrouvent sur le carreau. Pour sa fille porteuse de la trisomie 21, une mère a créé à La Ciotat un job sur-mesure : L’oiseau rieur, un restaurant ordinaire pour des salariés extraordinaires.

 

Le parcours de Chiara est malheureusement banal. Après un bon primaire en CLIS, elle se voit refuser la classe ULIS  – qui correspond au collège. « Le référent MDPH à l’époque m’a dit que l’Institut médico-éducatif (IME) était plus adapté à ma fille car il y a peu de places en ULIS et elles sont réservées aux meilleurs », déplore Myriam Fiacre, sa maman. En quelques mois, à l’IME – qui tient plus du centre occupationnel qu’éducatif -, l’adolescente régresse, perd les codes sociaux comme regarder dans les yeux, dire bonjour… et ses acquis en lecture et en écriture.

 

Pas d’avenir pour Chiara

Huit ans plus tard, à l’orée de la vie active, même discours, nouveau coup de massue. « On m’a dit qu’il fallait que j’envisage le Foyer de Vie pour Chiara car pas de places en ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail), ou peu et dédiées aux handicaps les plus légers ». L’avenir de Chiara n’est même pas entrouvert qu’il se referme aussitôt.

 

Les entreprises préfèrent payer une amende plutôt qu’être inclusives
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Myriam avec Amandine

Combien de jeunes connaissent la même situation ? Combien se retrouvent inactifs dès 20 ans ? Le droit de travailler est pourtant inscrit dans notre Constitution. Et ce droit s’applique à tout le monde. Hélas, nombre d’employeurs préfèrent payer une amende auprès de l’AGEFIPH ou le FIPHFP, plutôt que d’embaucher une personne en situation de handicap (voir bonus). Par peur, méconnaissance, manque de temps ou de courage. « Ils pensent que ce n’est pas possible ou que le temps d’apprentissage va être trop long », observe Eva Gigan, cheffe de service à l’ESAT Hors Murs Le Robec, en Seine-Maritime.

 

Oui, employer des personnes déficientes en milieu ordinaire est possible

Cette structure qui accompagne depuis 10 ans des adultes déficients intellectuels en milieu professionnel ordinaire (voir bonus) nous montre que, oui, c’est possible, « pour peu qu’on mette les moyens et notamment les moyens humains ». L’essentiel de l’activité des chargés d’insertion de cet ESAT Hors Murs est de reprendre les gestes professionnels avec le travailleur. Mais surtout de communiquer avec le manager, pour « détricoter les à priori et les incompréhensions, expliquer le handicap et ses incidences ».

 

Manque de formation pour ce public avant tout

Si les entreprises n’embauchent pas, c’est aussi par manque de formations professionnelles pour ce public, note l’association Trisomie 21 France qui dédie cette année la Journée Nationale de la Trisomie, le 15 novembre, à ‘’l’accès à l’emploi et la formation professionnelle ’’. Sans formation, les adultes déficients intellectuels sont difficilement employables.

 

Monter sa propre activité inclusive

Un restaurant emploie des jeunes porteurs de la trisomie 21 4L’absence de formation, c’est justement le problème de Chiara. Elle n’en a aucune. Son seul horizon est le Foyer de Vie, centre occupationnel pour adultes. Mais la jeune fille refuse : elle souhaite travailler. Sa maman décide alors de quitter son poste de gérante dans une chaudronnerie pour monter sa propre entreprise inclusive.

La quadra pense au départ à une activité qui contient du lien social, type commerce de vêtements ou déco, « mais le contact avec la clientèle est trop rapide, je voulais qu’il y ait un vrai échange, pour que les gens se confrontent avec la différence et dépassent leur peur ». Elle pense alors à la restauration et s’aperçoit via Internet que le concept existe déjà, notamment Le Reflet et le Café Joyeux (voir Bonus). Avec sa fille, elle fait le tour de ces établissements et se lance.

 

Quatre jeunes en CDI, deux en stage

Aucune banque ne veut la suivre dans son projet car elle n’est pas issue de la restauration, « mon expérience de gestion d’entreprise ne suffisait pas« , lâche Myriam qui n’est pas du genre à se laisser abattre.

Elle investit son argent personnel, remplit des dossiers pour obtenir des aides (voir bonus) et ouvre le 9 mars L’oiseau rieur avec une équipe composée de six jeunes porteurs de la Trisomie 21. Trois par service : deux en salle, un en cuisine.

 

Bénévole ou inactive

Parmi les salariés embauchés en CDI, il y a Suzanne, 20 ans, qui vient de terminer une formation dans la restauration en classe ULIS « son premier stage à L’oiseau rieur s’est transformé en job » ; Célia qui a sensiblement le même parcours mais qui, entre 20 et 24 ans, a été bénévole en maison de retraite, faute de trouver un emploi.

L’équipe compte aussi Sami qui s’est retrouvé plus d’un an inactif après la fin de son CDD en CAE (Contrat d’accompagnement dans l’emploi) dans une maison de retraite. Enfin, Amandine, 34 ans, également inactive après avoir enchaîné des stages bénévoles dans la restauration. Côté stagiaires, il y a Mathieu, actuellement en fin d’IME à Marseille, et bien sûr Chiara.

 

La différence est dans les coulisses

À voir s’activer ces salariés singuliers, on perçoit à peine leur différence. Alors oui, Amandine se trompe de table et tapote l’épaule d’un monsieur en costume-cravate pour lui donner sa bière. Chiara reste cachée dans un coin et intervient seulement pour débarrasser et dresser les tables. Mais ces petites erreurs touchent plus qu’elles n’agacent.

« La différence se situe dans les coulisses », confie Myriam. « Il faut toujours s’assurer que la consigne ait bien été comprise et s’adapter aux différentes compétences des salariés – certains savent lire, d’autres pas », souligne Audrey, la responsable de salle recrutée pour sa double expérience d’éducatrice spécialisée et d’employée dans la restauration.

 

Ralentir, détailler, créer des fiches

Pour remédier à ces petites défaillances, la jeune femme a adapté son tempo et son discours. Mais aussi créé deux fiches illustrées pour expliquer chaque étape de la matinée – se mettre en tenue, passer l’aspirateur… Et détailler le dressage de la table.

Il reste encore beaucoup de choses à apprendre, notamment pour répondre aux demandes directes des clients, comme du pain ou de l’eau. « Les jeunes sont souvent monotâches et font donc leur mission jusqu’au bout. Mais ils ne peuvent pas faire autre chose en même temps, comme aller au devant des clients. Ça les paralyse. On y travaille ».

 

Des effets positifs sur les équipes…
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Laver et dresser les tables sont les tâches favorites de Chiara

En cuisine, le chef Sébastien Godec, recruté pour son côté « calme et pédagogue », ne quitte pas du regard Sami, son commis. « Il faut toujours vérifier ce qu’il fait et sans cesse répéter. J’ai beau lui dire de prendre la grosse casserole pour les œufs, il préfère la petite », sourit le chef. Avant d’ajouter : « Humainement, je m’éclate et il y a une bonne ambiance en cuisine ».

Intégrer des adultes déficients intellectuels rejaillit sur l’entreprise. Ils sont « un levier pour les équipes, confirme Eva Gigan, de l’ESAT Hors Murs Le Robec. Ils créent une émulation ». Car ces femmes et ces hommes singuliers obligent les autres à faire preuve de douceur et de bienveillance. Et surtout à remettre l’humain au cœur de la relation.

Les entreprises qui embauchent ces jeunes en sont convaincues. « Toutes celles avec lesquelles on travaille nous reprennent des travailleurs », se réjouit Eva Gigan. Elle pense notamment à une entreprise de restauration rapide qui, après avoir embauché un jeune en CDI l’année dernière, a fait appel à l’ESAT hors les murs pour quatre nouveaux profils. 

 

…sur les clients et sur le salarié lui-même

Même si Myriam peine encore à trouver un équilibre financier – en raison notamment des deux mois de confinement et des aides de l’État qui tardent à venir -, elle se réjouit de voir s’attabler cette clientèle peu coutumière du handicap et qui pose un autre regard sur lui. Elle se félicite aussi de voir ses salariés venir tous les jours avec le sourire.

Grâce à son emploi en CDI, Amandine, qui « aime bien faire le service, la table, la serpillère et le chiffon » et trouve que son job « c’est bien, ce n’est pas difficile », est en bonne voie d’autonomie. Cette originaire du Pont-du-Gard prend le bus et va bientôt pouvoir vivre seule dans un studio à La Ciotat. « C’est en tout cas l’objectif », précise Audrey.

 

Chiara prend son envol

Quant à Chiara, certes elle reste mal à l’aise dans le contact avec la clientèle et refuse encore de servir, mais sa maman a constaté une nette évolution. Chiara prend son envol. « Elle est dans cet élan de vouloir grandir et faire les choses seule. Déjà, elle est beaucoup plus ouverte. Quand je sors voir des amis, elle souhaite venir avec moi alors qu’avant elle ne voulait jamais. Elle demande à faire des trajets seule à La Ciotat. Et elle acquiert la notion de l’argent grâce aux pourboires qu’elle reçoit. C’est un détail mais, avant, elle n’en voyait pas l’intérêt ». À 20 ans à peine, la jeune fille a tout l’avenir devant elle. ♦

 

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus [pour les abonnés] La trisomie 21, c’est quoi ? – Emploi des personnes en situation de handicap : ce que dit la loi – L’ESAT Hors Murs Le Robec – Les aides pour l’embauche de travailleurs handicapés – Les Français favorables à l’inclusion scolaire – Le fabuleux parcours de Collette Divitto.

 

  • La trisomie 21, c’est quoi ? « Chaque personne porteuse d’une trisomie 21 est unique et a sa propre personnalité, elle ne se résume pas à son anomalie génétique », précise l’association Perce Neige. Le handicap peut ainsi se manifester de manière très variable selon les personnes. La trisomie 21 se traduit principalement par une déficience intellectuelle généralement légère à modérée.

 

  • Emploi des personnes en situation de handicap : ce que dit la loi. Tout employeur d’au moins 20 salariés est soumis à une obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH), à hauteur de 6% de l’effectif total. L’obligation d’emploi concerne tous les salariés du secteur privé ou public, quelle que soit la nature du contrat. Si l’employeur ne respecte pas son obligation d’emploi, il doit verser une contribution annuelle à l’Agefiph pour le secteur privé ou à la FIPHFP pour le secteur public. Elle est calculée en fonction du nombre de bénéficiaires qu’il aurait dû employer et de la taille de l’entreprise. Exemple de 20 à 199 : 4060 euros. Ces sommes servent à financer des actions en faveur de l’insertion professionnelles des personnes handicapées et leur maintien dans l’emploi.

Les entreprises de moins de 20 salariés n’ont pas cette obligation. « Ce serait bien qu’ils soient au moins incités car ce sont eux les plus gros pourvoyeurs d’emplois », souligne Eva Gigan, cheffe de service à l’ESAT Hors Murs Le Robec

 

  • L’Esat Hors Murs Le Robec œuvre depuis 10 ans dans la commune rouennaise. À la différence d’un Esat classique qui n’emploie que des travailleurs en situation de handicap (retrouver notre article ‘’Des voiles recyclées en sacs par des adultes handicapés’’), cette structure insère les travailleurs en milieu professionnel ordinaire. Les métiers les plus employables : agent de restauration, agent de propreté, mécanique, manipulation informatique, entretien espace vert… Cet Esat parvient à plus de 35% de taux d’insertion. C’est-à-dire une embauche avec un contrat pérenne. « C’est un chiffre spécifique car notre accompagnement est spécifique », précise Eva Gigan, cheffe de service à l’ESAT Hors Murs Le Robec. Les 65% autres ont fait le choix d’un ESAT classique, d’un Foyer de Vie…

 

  • Les aides pour l’embauche de travailleurs handicapés : L’oiseau rieur devrait obtenir une aide de 3000 euros de Cap Emploi pour l’insertion professionnelle de chaque jeune. Et 550 euros par mois et par jeune pour la Reconnaissance de la Lourdeur du Handicap (RLH), montant indexé au nombre d’heures de travail dans l’entreprise.

 

  • Les Français sont favorables à l’inclusion scolaire. 
D’après le sondage ‘‘Les Français et la scolarisation des élèves en situation de handicap’’ réalisé en août, les
    Un restaurant emploie des jeunes porteurs de la trisomie 21 7
    Collette Divitto

    Français se déclarent très majoritairement favorables (jusqu’à 90%) à la scolarisation en milieu ordinaire des élèves en situation de handicap. Ce chiffre est un peu plus nuancé pour les handicaps liés à l’expression de troubles du neuro-développement (déficience intellectuelle, autisme, troubles de l’attention et de l’hyperactivité …) ou les troubles psychiques.

 

  • Le fabuleux parcours de Collette Divitto. Prise de passion pour la pâtisserie dès le lycée, cette américaine porteuse de la trisomie 21 redouble d’efforts pour se former mais aussi pour s’intégrer dans la société. Une fois prête, elle postule auprès de plusieurs entreprises qui lui proposent uniquement des activités bénévoles. Aucune ne veut l’embaucher. La jeune fille décide alors de lancer sa propre pâtisserie : Colletey’s Cookies, aujourd’hui devenue une belle success story.