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30 ans de pitreries pour les petits malades de La Timone

Par Agathe Perrier, le 28 septembre 2020

Journaliste

© Sylvie Biscioni

Cela fait presque trois décennies que les clowns du Rire Médecin s’invitent dans les chambres d’enfants hospitalisés. En cette année particulière, la pandémie les a forcés à se renouveler et à mettre en place des visios pour maintenir le lien pendant le confinement. Toujours à cause de la Covid, il ne m’a pas été possible de suivre leur quotidien dans les services de La Timone à Marseille. Leurs numéros sont d’ailleurs stoppés depuis deux semaines.

 

Leurs nez rouges déambulent d’ordinaire dans les couloirs de l’hôpital de La Timone à Marseille. Passant de chambre en chambre pour apporter une parenthèse dans le quotidien des enfants hospitalisés. Eux, ce sont les clowns du Rire Médecin. 14 comédiens professionnels qui consacrent deux journées par semaine à cette association créée en 1991 (bonus). « Nos interventions relèvent totalement de l’improvisation. C’est ça qui est assez magique. On ne sait jamais à l’avance comment ça va se passer », raconte Molette, alias Barth Russo dans la vraie vie.

Malgré 17 années dans son costume de clown, il en parle toujours avec passion. Comme lui, 103 autres comédiens à travers la France sont embauchés par le Rire Médecin. Ce ne sont pas juste des acteurs qui posent leur valise le temps de quelques heures. Ils sont en lien permanent avec l’équipe soignante, pleinement intégrés dans la communauté de soins. « L’intervention des comédiens-clowns n’est pas que du loisir. Ils font partie du protocole de soin de l’enfant et apportent une plus-value incontestable », met en avant Clotilde Mallard, directrice générale de l’association. Une étude réalisée en 2018 par l’agence régionale de santé des Hauts-de-France démontre d’ailleurs le « bienfait d’une approche positive et décalée dans un contexte et un quotidien difficiles ».

 

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Barth Russo, alias Molette, comédien clown au Rire Médecin depuis 17 ans © DR
Des clowns en binôme

Les clowns restent entre cinq et quinze minutes avec chaque enfant. Un temps qui varie en fonction de sa forme, sa réactivité, le nombre de patients dans le service. Les comédiens-clowns sont libres dans le contenu de leurs représentations, même s’il est préférable d’éviter de parler politique ou religion. Ce qui n’empêche pas Sonia Pintor Font d’y faire quelques clins d’œil sous son costume de Lola La Pulpa. « Le clown est un être libre. Il peut agir comme il veut tant qu’il respecte les gens. Il y a néanmoins toujours derrière lui un comédien qui sait ce qu’il peut dire ou non », taquine-t-elle avec son joli accent espagnol.

La charte du Rire Médecin fixe cependant une série de règles. Comme l’obligation de travailler en duo. « L’interaction est ainsi meilleure, les clowns se soutiennent l’un l’autre. C’est une sécurité quand on travaille avec des enfants hospitalisés », souligne Clotilde Mallard. Les duos varient régulièrement, changent de service, même si certains clowns sont identifiés  comme« référents ». Molette par exemple est affecté à la réanimation pédiatrique à la Timone. « Il y a du coup une vraie relation qui s’installe avec les familles et les soignants. C’est plus réconfortant pour eux de pouvoir s’adresser à une même personne ». 

Autre étape obligatoire avant chaque parade : la « transmission ». À savoir un échange avec le personnel afin de passer en revue l’état de chaque patient et ses préférences. De quoi proposer ensuite une intervention personnalisée. « C’est important car on ne peut pas arriver avec les trompettes s’il vient d’y avoir un décès par exemple », glisse Barth Russo.

 

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Deux comédiens-clowns du Rire Médecin, dont Sonia Pintor Font, alias Lola La Pulpa © Sylvie Biscioni
Un métier d’émotion

Grâce au Rire Médecin, le métier de comédien-clown est reconnu. L’association a créé en 2009 un institut de formation où elle propose notamment un diplôme certifiant pour devenir « Comédiens – clowns en établissements de soins ». Les clowns sont des intermittents du spectacle et l’association, un employeur parmi tant d’autres (bonus).« En travaillant ailleurs, la créativité des clowns s’enrichit. Limiter les journées d’intervention est aussi indispensable pour des raisons de santé émotionnelle», considère Clotilde Mallard.

Il est vrai que ce métier est riche en émotion. Même si les comédiens ont été formés pour ne pas mélanger vie professionnelle et personnelle. « Une fois que j’ai retiré mon costume, je ne suis plus Molette mais Barth. Il n’empêche que, quand je suis rentré chez moi, je repense parfois à la journée passée », confie-t-il.

C’est pourquoi l’association ne laisse pas ses comédiens livrés à leur sort. Elle a notamment instauré un système de parrainage avec des anciens. Et puis chacun établit ses propres rituels. Sonia Pintor Font aime par exemple rentrer chez elle à pied après une journée à l’hôpital. « Ça fait office de sas entre le travail et la maison. Tout comme le fait de se démaquiller, enlever son costume et le nez rouge». Elle couche régulièrement sur le papier ses ressentis, histoire d’en libérer son esprit.« Il ne faut rien garder pour soi ! Parler fait du bien et pleurer aussi », ne cache pas Molette.

 

Des rendez-vous « visio » en 2020

Si les clowns du Rire Médecin ont à cœur de créer des liens avec les enfants et les soignants, ils ont dû redoubler d’efforts cette année pour le maintenir. Entre mars et juin, confinement oblige, les interventions à l’hôpital ont été stoppées net partout en France. Action, réaction : en seulement dix jours, l’association a lancé deux chaînes YouTube alimentées de vidéos de comédiens. « Ça a d’abord été artisanal puis on est passé rapidement à des productions plus artistiques. L’idée était de les poster les jours où les clowns jouaient d’ordinaire dans les services », explique Clotilde Mallard. Environ 300 vidéos ont été diffusées.

L’association ne s’est pas arrêtée là. Elle a mis en place dès avril des rendez-vous visio pour essayer de reproduire à distance ce qui se faisait d’habitude en chambre. Une substitution bien accueillie par tous, mais qui ne remplace évidemment pas la présence humaine. Aussi bien Lola La Pulpa que Molette n’ont pas tellement apprécié cette distance. « Je me sentais très seule une fois la caméra coupée alors que je n’ai jamais senti ce vide à l’hôpital », se souvient la comédienne. Un vide partagé par les soignants.« Ils espéraient vraiment notre retour », reconnaît Barth Russo. Complété par Clotilde Mallard : « On a ressenti beaucoup d’émotion de leur part. Car ils ont mesuré à quel point les services avaient été déserts et d’une tristesse absolue, sans aucune activité, sans la présence complice des clowns ».

Une rentrée de courte durée pour l’équipe marseillaise. Les interventions ont en effet de nouveau été stoppées depuis une dizaine de jours à La Timone, seul hôpital de l’hexagone dans cette situation actuellement.« On a donc repris les visios et je pense que cela restera ainsi, au moins jusqu’à la fin de l’année », regrette Molette. Le clown n’arrive d’ailleurs pas à refouler un sanglot à l’évocation de cette situation. « Ce qui me rend heureux c’est de passer une belle journée à l’hôpital, de faire mon job, alors que là je passe mon temps à cliquer derrière un écran », rage-t-il. Pas contre l’hôpital ni personne en particulier, sinon la vie, déjà si cruelle avec ces enfants hors pandémie.

Une frustration partagée par l’ensemble du Rire Médecin. Leurs pensées vont vers les familles mais aussi les soignants, confrontés « de nouveau à un quotidien extrêmement lourd ».Pas de quoi abattre les troupes de comédiens ou de permanents de l’association. « On reste motivés à fond pour faire vivre notre mission sociale auprès des enfants. En espérant revenir au plus vite ». ♦

* L’APHM parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

  • Soutenir Le Rire Médecin. L’association accepte les dons financiers ici. Le 28 octobre prochain, un conte musical qui compte au casting François-Xavier Demaison, Gérard Jugnot et Sara Giraudeau, parrains et marraine de l’association, sera mis en vente au profit de l’association (1 euro sera reversé par ouvrage). « Siam, au fil de l’eau » réunit éditeur, auteur et illustrateur, musiciens et chanteurs, comédiens ou clowns dans une histoire mêlant rire et imaginaire.

 

Bonus [pour les abonnés] En savoir plus sur Le Rire Médecin

  • Le Rire Médecin, 30 ans d’actions. L’association a été créée par Caroline Simonds en 1991 sur un modèle américain. Aujourd’hui, sa vocation reste la même : que des enfants hospitalisés puissent bénéficier de la présence de comédiens-clowns professionnels qui travaillent main dans la main avec les équipes soignantes. Les clowns interviennent dans différents services (pédiatrie générale, urgence pédiatrique, réanimation, chirurgie, oncologie, etc.). Et de nouveaux programmes voient régulièrement le jour. Comme par exemple « Mater-Nez » à la maternité de Bicêtre à Paris pour aider les nouvelles mamans à établir le lien avec leur bébé. « Les clowns aident à tisser ce lien. Ils apportent apaisement et soulagement aux mamans et permettent de réduire leur anxiété », explique Clotilde Mallard. On peut également citer la présence du Rire Médecin dans une unité d’accueil médico-judiciaire à l’hôpital d’Orléans où se trouvent des enfants en situation de maltraitance. En 2019 et à l’été 2020, des interventions ont aussi été menées à domicile avec les équipes de l’AP-HP (assistance publique des hôpitaux de Paris). Un programme amené à se développer.

 

  • Quelques chiffres. Le Rire Médecin compte aujourd’hui 104 comédiens clowns professionnels dans toute la France. Ils jouent dans 16 établissements hospitaliers, soit 48 services pédiatriques différents. L’équipe marseillaise est active à La Timone et compte 14 clowns.