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Parler VIH et MST sans tabou ni jugement

Par Agathe Perrier, le 5 octobre 2020

Journaliste

© Jeremy Suyker

Pas facile lorsque l’on est homo ou transsexuel, usager de drogue ou encore travailleur du sexe, de pousser une porte pour se faire dépister ou simplement parler de sexualité. Raison pour laquelle, justement, l’association AIDES a ouvert à Marseille Le Spot Longchamp, un centre de santé sexuelle communautaire. Objectif : faire baisser les nouvelles contaminations de VIH ou MST, tout en accompagnant les personnes touchées. Sans discrimination.

 

C’est un local qui a pignon sur rue, mais qui passe inaperçu. Savez-vous qu’au numéro 3 du boulevard Longchamp se trouve depuis quatre ans un centre de santé sexuelle communautaire ? Baptisé « Le Spot Longchamp », il est porté par l’emblématique association AIDES, qui lutte contre le VIH et les hépatites virales depuis les années 1980. Un lieu réunissant « ce qui se fait de mieux en matière de prévention et d’accompagnement » : dépistage du VIH et des IST (infections sexuellement transmissibles), traitement préventif et d’urgence contre le VIH, vaccination contre les hépatites A et B, consultations psy, sexo, addicto… Sans oublier un accompagnement personnalisé via des entretiens individuels, groupes de parole, conseils en réduction des risques, éducation thérapeutique. « Notre dispositif est moitié communautaire, moitié médicalisé. On a des militants et des salariés, notamment un médecin et un infirmier. C’est là notre particularité », met en avant Sarah Lablotiere, coordinatrice du local.

 

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La salle d’accueil du Spot Longchamp © Jeremy Suyker
Unique en son genre

Sur les 75 lieux d’accueil de l’association AIDES à travers la France, seuls trois sont des « spots ». Outre Marseille, Paris a ouvert le sien également en juin 2016 et Nice en novembre 2018. Mais ces antennes n’ont de vraiment commun que leur nom : « Les lieux se sont construits en fonction des spécificités des villes. À Paris, l’offre est uniquement communautaire et non médicalisée. À Nice, ils ne font pas de dépistage anonyme et gratuit comme nous », précise Sarah Lablotiere.

La double casquette du local marseillais le rend spécifique. C’est d’ailleurs le seul CeGIDD du réseau AIDES dans tout le pays. Entendez derrière cet acronyme : Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles (bonus). Il en existe deux autres à Marseille, gérés par le Département des Bouches-du-Rhône via ses Maisons de la solidarité. « On est un des rares CeGIDD associatifs. C’est nouveau et révolutionnaire pour AIDES d’avoir en interne des professionnels de la santé ».

Nouveau, mais surtout nécessaire. Car 90% des personnes poussant la porte du Spot Longchamp font partie de la communauté LGBT, sont consommateurs de drogues, travailleurs du sexe ou migrants. Des publics souvent confrontés à des jugements ou propos discriminants dans des structures de soin classiques. « On ne dit pas que c’est le cas partout », tempère la coordinatrice. « Le Spot Longchamp a en tout cas été pensé pour les recevoir le mieux possible. Le premier contact se fait avec une personne paire, c’est-à-dire un militant et non un médecin. Ça facilite les liens et la confiance», souligne-t-elle. Ouvert cinq demi-journées par semaine pour le moment (bonus), le lieu va voir ses horaires et capacités doubler prochainement.

 

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© Jeremy Suyker
Au cœur d’une expérimentation nationale

Le Spot Longchamp a en effet été sélectionné dans le cadre d’une expérimentation nationale sur les centres de santé sexuelle communautaires. Portée par le ministère des Solidarités et de la Santé et la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), elle a pour but d’améliorer l’offre en santé sexuelle dans les grandes villes à forte prévalence du VIH et des IST (en Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Occitanie). « Il s’agit de déployer 4 ou 5 centres de santé sexuelle ouverts à tout public et apportant une réponse globale aux besoins de santé en développant une approche communautaire spécifique vers les populations-clés (hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes, trans, personnes en situation de prostitution…) », peut-on lire dans l’appel à manifestation d’intérêt lancé en juillet 2019. Paris, Lyon, Montpellier et Marseille en seront ainsi dotés en 2021.

Concrètement, au niveau de la structure marseillaise, cela va se caractériser par un doublement des locaux du Spot Longchamp, qui va récupérer l’étage supérieur du bâtiment actuel. L’offre de professionnels sera aussi élargie avec l’arrivée d’un proctologue et d’un service d’infectiologie. « On sera ouvert dix demi-journées par semaine. Surtout, on pourra proposer un dépistage accéléré, c’est-à-dire des résultats en une heure et demie, contre une semaine aujourd’hui », se réjouit Sarah Lablotiere. Des résultats d’ailleurs plus compliqués à obtenir depuis la pandémie de Covid-19. Car les machines utilisées pour traiter les tests MST sont les mêmes que pour les fameux PCR servant à déceler les cas positifs au nouveau coronavirus.

 

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© Jeremy Suyker
L’enjeu crucial de la e-santé sexuelle

Dans sa volonté d’accompagnement et de prévention, le Spot Longchamp a également misé sur internet. « S’il est désormais reconnu que la e-santé fait partie des grands enjeux favorisant la bonne santé des personnes, très peu d’outils numériques existent dans le champ de la prévention. Et encore moins dans le domaine de la santé sexuelle et de la lutte contre le VIH, les hépatites et les IST », considère l’équipe. Elle planche ainsi depuis un an sur l’élaboration d’un tout nouveau site internet doté de services inédits.

Le plus emblématique : un système pour informer anonymement ses partenaires via SMS que l’on est positif à une IST. Et les inciter à se faire dépister. « C’est unique en France pour le moment alors que ça existe et ça a montré son efficacité dans d’autres pays comme le Canada, le Portugal et l’Australie. On espère que ça va aider à dédramatiser la situation. Il vaut mieux savoir que l’on a une maladie et la prendre en charge plutôt que ne rien faire. D’autant plus que les traitements permettent aujourd’hui de vivre bien et en bonne santé », glisse Sarah Lablotiere. Le texto redirige notamment vers une carte recensant les lieux de dépistage en France, outre le Spot Longchamp.

Parmi les autres services du nouveau site internet : la possibilité de programmer des rappels de vaccination ou bilans de dépistage, des quiz pour obtenir des réponses à ses questions et une hotline pour parler de son cas particulier si nécessaire. Et ce, de façon anonyme, sans qu’aucune donnée ne soit sauvegardée. Un pas en avant pour rendre l’information la plus accessible possible et faire baisser la circulation d’un virus, le VIH, qui a infecté 75 millions de personnes depuis le début des années 1980. Et continue de contaminer 2 millions d’individus chaque année dans le monde. ♦

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* Le FRAC Provence parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus [pour les abonnés] – pratique – financement – les chiffres du VIH

  • Infos pratiques. Ouverture du Spot Longchamp : mardi, mercredi et jeudi de 16h à 19h30. Vendredi et samedi de 13h30 à 17h. 3 boulevard Longchamp, 13001 Marseille. Plus d’infos sur son site internet en cliquant ici.

 

  • Financements. Le Spot Longchamp est financé par l’agence régionale de santé (ARS) Paca. Tout le volet expérimentation sera couvert par la caisse nationale d’assurance maladie. Quant au nouveau site internet, les 60 000 euros nécessaires à sa réalisation ont été payés par le laboratoire MSD.

 

  • Les chiffres du VIH en France. 6 155 personnes ont découvert leur séropositivité en 2018, contre 6 583 en 2017. Une diminution qui fait suite à plusieurs années de stabilité. 56% ont été contaminées par rapports hétérosexuels, 40% lors de rapports sexuels entre hommes, et 2% par usage de drogues injectables. Le rapport publié en octobre 2019 sur le sujet par Santé Publique France est à retrouver ici. L’Île-de-France et PACA sont d’ailleurs les deux régions les plus touchées par l’épidémie en France métropolitaine. Elles concentrent à elles seules chaque année plus de 65% des nouvelles contaminations. À Marseille, une vingtaine de cas de contamination sont découverts par an d’après le Spot Longchamp.
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  • De CDAG à CeGIDD. Les CDAG (Consultations de dépistage anonyme et gratuit) ont été créées en 1988. Avec pour but d’offrir dans chaque département au moins une structure d’accueil, d’information, de dépistage du VIH et d’orientation. Elles ont fusionné le 1er janvier 2016 avec les Ciddist (Centres d’Information, de Dépistage et de Diagnotic des Infections Sexuellement Transmissibles), devenant ainsi les CeGIDD (Centre Gratuit d’information, de Dépistage et de Diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles).