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Les aidants veulent une vie normale

Par Nathania Cahen, le 6 octobre 2020

Journaliste

Il y a aujourd’hui 11 millions d’aidants en France. Un salarié sur cinq. Un statut se met peu à peu en place, mais les réponses tardent pour ce qui semble le plus urgent : l’accès au répit et des démarches administratives simplifiées. Des mesures en faveur desquelles l’association « Je t’aide » bataille au quotidien.

En France, on estime que plus de 11 millions de personnes aident une personne de leur famille qui n’est pas ou qui n’est plus en mesure de se débrouiller seul. À raison de 16 heures par semaine en moyenne. L’aidant.e est « la personne qui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel, pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne », définit l’article 51 de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement. Les tâches qu’ils effectuent sont variées et parfois très lourdes : qu’il s’agisse de pratiquer des soins, faire la toilette, les courses, le ménage, organiser les rendez-vous médicaux, effectuer les démarches administratives, gérer le placement dans un centre de soins, une maison de retraite…

« Il faut qu’aider ne soit plus un combat », revendique Olivier Morice, délégué général de l’association nationale Je t’aide, à l’origine de la Journée nationale des aidants. Car c’est aujourd’hui un combat lourd, à la fois administratif, financier, physique et psychologique.

Un acte d’amour au départ

Les aidants veulent une vie normale 2« On fait souvent le choix d’aider son proche, poursuit Olivier Morice. C’est au départ un acte d’amour, surtout s’il s’agit de son enfant. Notamment parce qu’on a l’impression que les soutiens disponibles ne sont pas à la hauteur ».

Mais cela se traduit, et là ça n’est plus normal, par de nombreux sacrifices. Car la moitié des aidants sont des actifs, souvent amenés à travailler moins, à aménager leur temps de travail ou parfois mettre un terme à une carrière, à renoncer à une vie sociale.

La situation n’est pas exempte de paradoxes. 75 % des aidants déclarent ainsi que leur mission a un impact sur leur vie professionnelle. D’après le tout récent baromètre Occurrence pour La Mutuelle Générale, relatif aux aidants exerçant une activité professionnelle, l’entreprise est perçue par les actifs aidants familiaux comme une source de solutions. Mais une majorité d’entre eux n’est pas disposée à en informer son employeur. Autre contradiction : les collaborateurs se disent massivement favorables à des dispositifs solidaires dédiés… mais très peu sont prêts à y contribuer personnellement.

Plus de cinq millions de salariés accompagnent au quotidien un proche dépendant ou handicapé – parent, conjoint, enfant. Soit un salarié sur cinq. Un enjeu grandissant pour les entreprises. Le baromètre « Aider et Travailler », publié le 28 septembre dernier, montre ainsi que les aidants, mais aussi leurs collègues ou manageurs, attendent de la part des employeurs des mesures concrètes pour atténuer les effets négatifs de cette situation. D’autant que le poids moral et physique de cette mission ne cesse de s’alourdir. En effet, compte tenu de l’allongement de la durée de la vie, les aidants sont de plus en plus nombreux à s’occuper non pas d’une, mais de deux personnes de leur entourage. Près de 40 % d’entre eux ont ainsi une double charge, proportion qui a doublé en trois ans.

 

Un reste à charge d’environ 1 000 euros

Les aidants veulent une vie normale 4Il y a souvent un coût financier car de nombreux soins prodigués à la personne aidée comportent un reste à charge. Et sur un accompagnement au long cours, les petites dépenses ajoutées aux petites dépenses s’accumulent.

Selon une enquête réalisée par Opinionway pour le compte de Carac (une mutuelle d’épargne indépendante) auprès de 1 022 aidants familiaux âgés de 40 à 75 ans, être proche aidant implique en plus des dépenses : 66 % des aidants familiaux prennent en charge financièrement des frais à hauteur de 2 049 euros par an en moyenne. Soit environ 166 euros mensuels. Mais la somme serait beaucoup plus importante si on se réfère à une étude de France Alzheimer réalisée en 2011 dans laquelle « le reste à charge financier total du couple aidant-aidé s’établit en moyenne autour de 1 000 euros par mois » (570 euros de reste à charge à domicile, 2 300 en établissement).

 

Grosse fatigue
Les aidants veulent une vie normale 3
Olivier Morice

Les aidants se dépensent souvent sans compter, et il n’est pas rare que certains frisent l’épuisement ou fassent un burn out. De sorte que des médecins décrètent parfois l’hospitalisation de l’aidé pour permettre à l’aidant de souffler. « Ce qui revient plus cher à l’État qu’un meilleur accès aux centres de répit », souffle Olivier Morice. Car si des centres de répit existent, avec des accueils de jour ou de nuit et des séjours, y accéder relève du parcours du combattant. Idem pour un séjour en IME (institut médico-éducatif). Il faut une notification de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) qui peut prendre plusieurs mois, avant de se retrouver… sur liste d’attente. « Gérer la perte d’autonomie s’avère monstrueusement complexe, dénonce le porte-parole de l’association Je t’aide. L’État doit rendre le répit accessible afin d’éviter qu’aider ne tourne au sacrifice ! ».

 

Pouvoir se reposer, partir en vacances…

Les aidants veulent une vie normale 5Car rien au niveau administratif n’est fait pour simplifier la vie de l’aidant. « Entre les démarches, les justificatifs, l’attente et le reste à charge, les raisons de se décourager sont multiples », pointe Olivier Morice. L’association Je t’aide milite ainsi pour une simplification totale du parcours administratif et pour un interlocuteur unique.

Un salaire pour l’aidant ? « Cela n’est pas la demande numéro un, balaye Olivier Morice. Les aidants veulent avant tout une vie normale, pouvoir se reposer, aller en vacances, travailler sereinement… Une reconnaissance et des relais, oui. » Petite avancée toute récente, le congé du proche aidant est enfin indemnisé depuis le 1er octobre dernier (bonus) : « 43 euros par jour, le montant alloué est vraiment symbolique ».

L’association Je t’aide a fait de la reconnaissance des aidants son cheval de bataille et permis de fédérer une petite communauté qui s’étoffe, un débat qui trouve aujourd’hui un écho dans la société. Des avancées se font, et les militants s’attaquent aujourd’hui à l’ouverture des droits à la retraite, « car non seulement on ne cotise pas quand on aide, mais on se précarise ». ♦

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus [pour les abonnés] – Profil des aidants – Les jeunes aidants – Situation des aidants en 2020 – La législation – Le livre de Nathalie Levy – Le congé du proche aidant –

  • Profil de l’aidant(e) – Baromètre BVA APRIL publié le 27 septembre 2018 à partir d’une enquête réalisée en mai-juin 2018 par téléphone auprès d’un échantillon de 2007 personnes dont 456 aidants et 1551 non-aidants, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus. 58% sont des femmes – 76% ont moins de 65 ans et 43% moins de 50 ans – 52% travaillent – 86% aident un membre de leur famille, dont 41% un de leurs parents – 34% viennent en aide à plusieurs personnes, contre 28% en 2017 (multi-aidants) – 57% aident un proche en situation de dépendance due à la vieillesse (contre 48% en 2017) – 82% consacrent au moins 20 heures par semaine en moyenne à leur(s) proche(s) – 37% des aidants interrogés avouent ne bénéficier d’aucune aide extérieure alors qu’ils sont eux-mêmes souvent âgés – 67% des personnes aidées vivent à leur domicile, 21% vivent en institution, 14% des aidants vivent sous le même toit que les personnes aidées –
  • 700 000 jeunes aidants – C’est l’estimation de l’association Jade pour les moins de 18 ans qui aident un membre de leur foyer non entièrement autonome. La structure créée en 2016 dans l’Essone poursuit plusieurs objectifs. Offrir aux jeunes aidants la possibilité d’être visibles et audibles. Sensibiliser les acteurs de la santé, du social, du médico-social, pour faciliter le repérage et améliorer l’accompagnement. Sensibiliser l’Éducation nationale notamment pour prévenir les risques de décrochage scolaire. Porter un projet politique et sociétal pour mobiliser et accompagner les pouvoirs publics dans la mise en œuvre de politiques publiques transversales visant à faciliter et améliorer le quotidien des jeunes aidants et de leurs proches aidés. Modifier le regard de la société sur la dépendance et la jeunesse.
  • La situation des aidants en 2020 – Cette enquête de la MACIF réalisée par Ipsos auprès de 2 306 aidants en France et complétée par une enquête menée pendant le confinement, dresse le portrait des aidants, de leur quotidien et de leurs difficultés en 2020. On y découvre des aidants fragilisés, se sentant isolés, mal informés, et souvent épuisés. Dans ce contexte, il apparaît peu surprenant que près de trois quarts des aidants ressentent un besoin de répit pour souffler (74%), une charge psychologique qui pousse même 2 aidants sur 10 à ne plus vouloir s’occuper de la personne en question (21 %). Ces difficultés à gérer leur rôle d’aidants provoquent un état d’épuisement réel, de surmenage chez plus de 6 aidants sur 10 (62%).

 

  • La législation – Le 2 octobre 2020 est paru le décret relatif à l’Allocation Journalière du Proche Aidant. C’est une forme concrète de reconnaissance du rôle des proches aidants dans la société, débutée avec la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » puis en 2015 avec la loi ASV, inscrite en tant que telle dans la loi de 2019 favorisant la reconnaissance des proches aidants. L’approche transversale du sujet avec la convergence des politiques relatives aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, et également avec l’ouverture de ce congé à d’autres catégories d’actifs que les salariés du privé (salariés du public, travailleurs indépendants par ex) est un point positif à souligner.

 

  • Les aidants veulent une vie normale 1Un livre-témoignage – La journaliste Nathalie Levy vient de publier « Courage au cœur et sac au dos » (Editions du Rocher. 17,90 euros). Un témoignage très touchant dans lequel elle raconte comment, depuis dix ans, elle prend soin de sa grand-mère aujourd’hui âgée de 99 ans. C’est du temps, du stress… mais surtout beaucoup d’amour.

 

  • Le congé du proche aidant – Le congé de proche aidant n’est pas rémunéré par l’employeur (sauf dispositions conventionnelles ou collectives le prévoyant). Toutefois, depuis le 30 septembre 2020, le salarié peut percevoir une allocation journalière du proche aidant (AJPA). L’AJPA vise à compenser une partie de la perte de salaire, dans la limite de 66 jours au cours du parcours professionnel du salarié. Son montant journalier est de 43,83 euros pour une personne vivant en couple et 52,08 euros pour une personne seule. Le salarié a droit à un maximum de 22 jours d’AJPA par mois.

 

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