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La couture comme fil conducteur vers l’emploi

Par Agathe Perrier, le 12 octobre 2020

Journaliste

C’est un atelier de confection textile très atypique, installé à Marseille. Un lieu où la couture se met au service de l’emploi. Comment ? En permettant à une vingtaine de salariés en rupture sociale ou professionnelle de maîtriser les ficelles d’un métier afin de retrouver le chemin du travail.

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Ça coud, ça pique et ça surjette. Dans l’atelier de couture 13 A’tipik, les petites mains s’activent dans le « tic-tic » régulier des machines à coudre. Celles d’une dizaine de salariés ce jour-là. Penchés sur leurs établis, ils retouchent et réparent les vêtements de particuliers ou créent de nouvelles pièces pour des créateurs locaux et nationaux. Ici, tous les profils se côtoient : Français et étrangers, jeunes et seniors, femmes et hommes – presque à parité même puisqu’on compte 14 femmes pour 11 hommes !

Tous ont en commun l’expérience de la couture.« Elle a cet avantage d’être universelle. Quand on parle d’un produit, on se comprend », sourit Sahouda Maallem, qui a fondé cette structure en 2011. Une universalité qui permet de passer outre les barrières du langage. Car si certains employés maîtrisent parfaitement la langue de Molière, d’autres la balbutient seulement. L’équipe encadrante est là pour les aider à l’améliorer tout en leur donnant les codes du travail à la française.

 

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Sahouda Maallem, directrice de 13 A’tipik © AP
L’accompagnement dans le cœur…

L’accompagnement est au cœur des actions de 13 A’tipik, qui est d’ailleurs reconnue par l’État comme Atelier et chantier d’insertion (ACI). Ce qui diffère quelque peu d’une entreprise d’insertion. « Notre statut inclut une mission d’accompagnement et de remobilisation des salariés. Alors que les entreprises d’insertion privilégient la partie économique », clarifie Sahouda Maallem. Une nuance qui fait toute la différence aux yeux de cette Avignonnaise installée à Marseille, investie de longue date pour aider les autres dans leur recherche d’emploi.

Pendant 20 ans, elle a travaillé dans une mission locale, structure qui intervient dans l’insertion sociale et professionnelle de jeunes (orientation, formation, emploi, logement, santé, mobilité, culture, etc). En 2000, elle crée son premier ACI à Avignon. « Chez Babel », spécialisé dans la fabrication de produits orientaux, est aujourd’hui dirigé par sa sœur. Sa vie personnelle l’amène à quitter la Cité des Papes, avec l’idée de dupliquer son concept ailleurs. Ce sera à Marseille, autour de la couture, savoir-faire dans lequel elle baigne depuis toute petite.

 

13atipik-atelier-insertion-marseille…la couture dans le sang

Elle se laisse aller au jeu des confidences :« On a toujours fait de la couture dans ma famille. Ma mère et mon père cousaient. Des broderies, du crochet… Moi j’aimais coudre à la main, mais pas la broderie ». Rien de surprenant à ce que la couture soit le socle de son activité lorsqu’elle décide de se lancer à son compte. C’est dans l’étroite et pittoresque rue des Antilles, quartier Vauban (6e arrondissement de Marseille), qu’elle installe ses premières machines en 2012.« On a démarré à seulement huit. Aujourd’hui on est une trentaine, dont 20 salariés en insertion », glisse-t-elle.

L’atelier collabore avec de nombreuses marques et noue des partenariats avec certaines d’entre elles. Comme avec la marseillaise Kaporal. Les deux structures ont commencé à travailler ensemble en 2016, dans le cadre de l’opération de recyclage de jeans lancée par la griffe un an plus tôt (bonus). Une matière première à laquelle l’équipe de 13 A’tipik, appuyée par des élèves de l’école de la Deuxième Chance – qui aide des jeunes sans diplôme ni qualification professionnelle dans la construction de leur projet d’insertion sociale et professionnelle – donne une nouvelle jeunesse en les transformant en jupes, vestes et autres pochettes ou sacs. 800 nouvelles pièces ont ainsi été créées la première édition. Un travail colossal et une belle mise en lumière pour l’atelier marseillais.

 

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Denise, salariée de 13 A’tipik depuis un an et demi © AP
Un atelier humain

La fondatrice n’est pas peu fière des missions accomplies par son équipe et de l’ambiance qui règne dans les locaux.« Il y a une belle solidarité entre les salariés », considère celle qui a toujours eu à cœur de créer des rapports « équitables et équilibrés »entre chacun. Et c’est visiblement le cas. En témoigne Maxime, là depuis bientôt deux ans après un bac pro métiers de la mode et un BTS de modéliste. « Le cadre est très agréable. C’est humain et chaleureux », confie-t-il. D’ici deux mois, son contrat d’insertion – d’une durée maximale de deux ans – arrivera à son terme. « J’espère rester. Sinon je chercherai un emploi dans la confection, mais ce serait un grand regret de quitter cet atelier ».

Ce qui plaît tant à Maxime, c’est son travail dans son ensemble. Idem pour Denise, au sein de l’effectif depuis presque un an et demi. La variété de pièces créées et les différents projets en cours rendent les tâches variées et peu routinières à leurs yeux. Ils touchent à tout, apprennent à parfaire leurs compétences. Si Maxime espère décrocher un poste sur place, Denise rêve de retourner sur son île, la Guadeloupe, afin d’y ouvrir sa propre entreprise de retouches. La situation actuelle jette le trouble sur la réalisation de ce projet, mais 13 A’tipik lui aura en tout cas fourni les bases pour le monter.

 

atelier-insertion-13a'tipik-marseilleMis en lumière par la crise

On aurait pu croire que la crise sanitaire aurait mis à mal l’atelier marseillais. C’est tout le contraire, grâce au flair de Sahouda Maallem et un concours de circonstances. Retour au mois de mars 2020. La France n’est pas encore à l’arrêt mais les salariés de 13 A’tipik créent déjà des masques en tissu, vu la vive tension rencontrée par cet accessoire de protection.

Deux jours après l’annonce du confinement, la directrice se blesse et se retrouve contrainte au repos à domicile. « Je suis tombée par hasard sur un appel d’offres de l’information générale de l’armement pour la création de masques. J’ai immédiatement décidé d’y répondre ». Elle envoie ses prototypes le lendemain et reçoit l’homologation de catégorie 1 sept jours plus tard. On est alors le 27 mars et seulement une quarantaine d’entreprises sont certifiées – on en compte plus d’un millier aujourd’hui. D’ailleurs, 13 A’tipik figure à la deuxième place du catalogue de 191 pages publié par le gouvernement, merci le classement alphabétique ! « On a eu une visibilité nationale, voire internationale. C’était extraordinaire ».

L’atelier croule rapidement sous les demandes et redirige sa production exclusivement sur la confection de masques. Elle fournit entreprises, Ehpads, commerces, tribunaux, soignants, pharmacies… « Tous les corps de métier et même des particuliers », résume Sahouda Maallem. Une activité intense, synonyme de bons résultats sur le plan financier. La directrice ne le cache pas : « On va faire une bonne année après 2019 qui a été un peu compliquée. J’ai déjà pu acheter de nouvelles machines et pérenniser deux postes en CDI », se réjouit-elle.

Rassurée sur ce volet, 13 A’tipik peut maintenant envisager de nouveaux partenariats avec les marques. Car l’activité normale a repris son cours. Mais ailleurs ! L’équipe vient en effet de déménager rue de la Visitation, non loin de la piscine Vallier (4e arrondissement). Plus spacieux, lumineux, le nouvel atelier devrait permettre de poursuivre le développement. Sans perdre de vue les fondamentaux : ancrer la couture au cœur de projets professionnels de femmes et hommes de tous horizons. ♦

 

Bonus –
  • Les financements de 13 A’tipik. Outre son activité, l’atelier reçoit des subventions de l’État – qui prend notamment en charge une partie des salariés en insertion –, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Département des Bouches-du-Rhône et la Ville de Marseille.

 

  • Kaporal et la collecte des vieux jeans. Cette année encore, la marque marseillaise a lancé sa campagne « Kaporal rachète et recycle ton jean ». Elle invite ainsi depuis 2015 tous les clients, habitués ou non, à donner les vêtements en jean dont ils ne veulent plus, quelle que soit la marque. Ils reçoivent en échange 20 euros pour l’achat d’un jean Kaporal. D’après l’enseigne, elle récolte en moyenne 10 000 pièces en jean chaque année. Et plus de 30 tonnes de jeans ont été récupérés en six opérations. 13 A’tipik leur redonne ensuite une nouvelle vie à travers une collection capsule. L’ensemble des bénéfices des ventes de ces articles sont ensuite entièrement reversés à l’école de la Deuxième Chance de Marseille. Une partie des jeans collectés est également recyclée en isolant thermique et acoustique.