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Fablab et 3D soulagent le quotidien des handicapés

Par Joséphine Martin, le 23 octobre 2020

Journaliste

@Sonia Lorec pour Kerpape

À Kerpape, dans le Morbihan, le Rehab-Lab du Centre Mutualiste de Rééducation et de Réadaptation Fonctionnelles permet aux patients de fabriquer eux-mêmes leurs aides techniques grâce à l’impression 3D. Un espace où, de la conception à l’objet, le patient devient acteur.

Daniel, tétraplégique, est suivi au centre de rééducation de Kerpape, ancien sanatorium situé en bord de mer près de Lorient et accueillant 400 patients par jour (1), adultes et enfants présentant des affections de l’appareil locomoteur, des affections neurologiques et neuromusculaires, des affections cardiovasculaires et respiratoires et aux grands brûlés. En mars, il s’est fabriqué une adaptation pour ses couverts, avec une partie fixe qui se glisse dans une couture au niveau du poignet du patient et une partie mobile, permettant que la fourchette ou la cuillère reste bien droites lors du mouvement afin que les aliments ne tombent pas.

Tout a été pensé et fabriqué dans le Rehab-Lab (ou fablab), intégré dans le laboratoire électronique du centre qui date, lui, de 1982. Deux ingénieurs y travaillent sur les matériels pour augmenter l’autonomie de la personne en situation de handicap, avec un important volet domotique : adaptation au menton de commandes de fauteuil électrique afin que la personne tétraplégique puisse piloter son fauteuil électrique, synthèses vocales pour des personnes ne pouvant pas parler, accès aux tablettes, ordinateurs et smartphones pour se servir du matériel lorsque l’on ne peut pas bouger la tête… L’équipe mène régulièrement des projets de recherche avec des partenaires industriels, des laboratoires de recherche et des professionnels de santé.

 

Des adaptations disponibles et sur mesure
Fablab et rééducation fonctionnelle : l'accord Do It Yourself ! 2
@Sonia Lorec

« Nous faisons beaucoup de veille technologique et sommes friands des nouveaux systèmes pour qu’ils servent au handicap, détaille Jean-Paul Departe, ingénieur du laboratoire électronique. En voyant arriver l’impression 3D, nous avons pensé qu’elle devait servir aux patients et aux professionnels ergothérapeutes et avons monté en 2016 le Rehab-Lab, un espace géré par un référent technologique (étudiants d’école, d’université, Polytechnique Paris) sous notre supervision. »

Les patients, en collaboration avec leurs ergothérapeutes, dessinent eux-mêmes des pièces pour les aides techniques : un bracelet où le maker peut fixer des ustensiles (un stylet par exemple) pour commander l’ouverture d’une porte, un support de verre ou de tablette,  une pièce pour faciliter l’activation du contacteur sur le fauteuil électrique…

Ces adaptions sont réalisées sur mesure et à la demande, un processus qui permet de réduire le temps d’intervention pour la réparation d’un fauteuil, par exemple, où il faut contacter un revendeur ou chercher du matériel. Elles sont souvent fabriquées à base de thermoplastique, de mousse ou encore de matériaux composites innovants (biosourcés, biodégradables…).

 

Une communauté de patients acteurs
Fablab et rééducation fonctionnelle : l'accord Do It Yourself ! 3
@Sonia Lorec

L’impression 3D permet d’automatiser la réalisation de ces aides techniques une fois le modèle 3D réalisé, et de les partager. D’ordinaire, lorsqu’un patient nécessite une adaptation, il est assez dépendant de son ergothérapeute –denrée rare- mais, grâce à cette conception 3D, il conserve son fichier STL (Standard Tessellation Language) sur une clé USB et en cas de casse, peut se rendre pour l’imprimer dans n’importe quel fablab.

Afin que ces conceptions puissent bénéficier au plus grand nombre, l’utilisation de cartes Arduino (opensource, openhardware) s’est généralisée. Les étudiants stagiaires gérant le labo constituent pour chaque pièce, un dossier entièrement documenté sur le principe de la reproductibilité par un fablab.

« Il s’agit d’une démarche collaborative et d’un partage de connaissances et de compétences, dans un esprit non concurrentiel puisque l’on ne reproduit pas les produits du commerce, comme dans tous les fablab d’ailleurs, remarque Jean-Paul Departe. Sur des sites spécialisés comme Thingiverse, nous mettons les objets en ligne pour que d’autres, qui seraient intéressés, puissent les télécharger et les imprimer et souhaitons créer une communauté d’échanges de techniques et de savoirs. »

 

Fablab et rééducation fonctionnelle : l'accord Do It Yourself ! 4
@Sonia Lorec
Centrale, l’expertise du patient

Le niveau d’implication du patient peut différer depuis la réflexion, la modélisation plus ou moins complexe du dessin des pièces à la réalisation, le tout aidé par l’ergothérapeute et l’ingénieur. Cependant, son expertise est centrale car le patient peut fabriquer une pièce qui correspond vraiment à ses besoins et peu à peu, son appréhension face aux logiciels s’estompe : « C’est enthousiasmant de voir les patients venir au Rehab Lab, dessiner et réaliser, poursuit Jean-Paul Departe. Atteints de pathologies lourdes, ils n’ont plus de prises, les retrouvent ici et deviennent acteurs. Au départ, ils arrivent parfois en curieux, puis s’impliquent et découvrant qu’ils sont capables, ont des idées pour de nouvelles aides. »

Pour d’autres, souffrant de traumatologies légères et n’ayant pas besoin d’aides techniques, c’est l’occasion d’apprendre, voire faire des pièces pour des patients. ♦

(1) Certains séjournent à l’année à l’IEM (Institut d’Éducation Motrice) tout en étant scolarisées à l’école intégrée, d’autres sont hospitalisés pour plusieurs semaines, ou mois.

 

*  La data au secours de la biodiversité 7 Le CEA Cadarache parraine la rubrique « Recherche» et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus [pour les abonnés] – Le Rehablab de Kerpape dans le détail – One Hand Design à Marseille –  Un Humanlab à Rennes – les FabLab-

  • Le rehablab sous toutes ses coutures – La création du FabLab du centre de Kerpape vient de la demande de certains patients intéressés par le mouvement DIY (Do It Yourself) curieux de découvrir les technologies liées à la fabrication numérique et à l’impression 3D. Et désireux de les utiliser. La grande majorité des projets développés au laboratoire d’électronique naissent de besoins exprimés par les patients du centre. Certains d’entre eux, qui ont un profil ”geek”, souhaitent être moteur dans la création de leur propre aide technique et à ce titre veulent participer à son développement. Le REHAB-LAB a pour objectif de multiplier ces initiatives en impliquant les patients de Kerpape, les thérapeutes, les étudiants et d’autres ”passionnés”. Vous trouverez sur le site du rehablab toutes les infos sur les acteurs, technologies, projets et innovations…

 

  • (Re)lire l’article paru le 11 mars 2020 – Rami Wehbe était jeune étudiant quand un AVC l’a laissé hémiplégique. Il n’a pas retrouvé l’usage de sa main droite mais s’emploie à créer les accessoires qui facilitent son quotidien et celui des personnes affectées d’un handicap semblable, de la manette de jeux au décapsuleur.

Des objets 3D pour ceux qui ont perdu l’usage d’une main

  • Le Humanlab de Rennes – En un an, l’association My Human Kit a levé un million d’euros. En 2017, elle a ainsi pu ouvrir à Rennes le Humanlab, lieu ou handicapés et valides peuvent fabriquer des prothèses grâce au numérique. Vous trouverez toute l’histoire de Nicolas Huchet, alias Bionico, dans cet article de l’AFP. Amputé d’une main à l’âge de 18 ans, il ne s’est jamais privé de faire des rêves et de les réaliser !

 

  • Les Fablab – Ils sont apparus au début des années 2000, aux États-Unis. C’est l’université du MIT, dans le Massachusetts, qui est à l’origine du terme. Issu de la contraction de « Fabrication Laboratory », le mot FabLabs désigne un type d’espace autrefois inexploré. Ouvert au public, tourné vers l’innovation, agissant au cœur d’un réseau. Il a fallu néanmoins attendre une dizaine d’années avant que le concept ne s’exporte en France. On en compte en 2020 par moins de 230 en France, où l’on trouve également quelque 2 500 ateliers de fabrication (makerspaces) ouverts au public et tiers-lieux numériques. Pour comprendre cet écart, il faut savoir que l’appellation de FabLabs exige de respecter la charte initiée par le MIT, valable pour l’ensemble des 1 700 FabLabs dans le monde.