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La course de l’Algernon en mode… Covid !

Par Olivier Martocq, le 30 octobre 2020

Journaliste

@Algernon édition 2019

C’est le plus grand évènement national de ce type. Depuis 1984, au début de l’automne, l’Algernon rassemble personnes valides et handicapées sur les trois distances d’une même course. Mais, bouleversée en raison de la pandémie, l’édition 2020 a donné lieu à un défi différent. Les coureurs ont bouclé les 5, 10 ou 15 kilomètres de l’épreuve où et quand ils le souhaitaient, en solo ou en groupe. À Marseille ou n’importe où dans le monde. Demain soir à minuit, fin de la course. La barre symbolique des 21 000 kilomètres devrait alors être franchie.

Succès pour la course de l’Algernon en mode… Covid ! 4
@Algernon édition 2019

À la différence du Marseille-Cassis et de la plupart des épreuves sportives de la rentrée, la 36e édition de l’Algernon n’a pas été annulée. Pour l’association du même nom, le challenge était difficile car la course représente chaque année une rentrée d’argent importante, de l’ordre de 150 000 euros. Mais au-delà, il s’agit surtout d’une opération de solidarité bouleversante. Je le sais pour avoir pris le départ de plusieurs éditions. Se relayer en poussant une « joëlette » (bonus) ou en portant à bout de bras, sur 10 kilomètres, un brancard occupé par un jeune polyhandicapé qui vous encourage à la voix. Apprendre à diriger un aveugle auquel vous êtes relié par un fil, au sens littéral du terme, qui sur le plan physique vous en démontre car il est plus rapide que vous. Discuter, à l’arrivée avec un jeune marin-pompier en chaise roulante depuis un accident de moto, qui vous parle avec passion de la découverte de ce monde du handicap… Autant de moments de partage uniques. Et vous vous rendez alors compte que c’est peut-être à vous, le valide, que ces instants apportent le plus !

 

Le dépassement de soi !
Succès pour la course de l’Algernon en mode… Covid ! 3
@Algernon édition 2019

Des rencontres, des exemples, Serge Dahan, le directeur de course en a des centaines à raconter. C’est par exemple, lors de l’édition de 2019, l’histoire de cette femme centenaire pensionnaire d’un Ehpad et en train de lâcher la rampe. Elle ne sort plus de son lit. S’éteint. Lors de la visite d’un membre de l’association pour sensibiliser les personnes âgées à faire de l’activité physique, elle tend l’oreille et annonce qu’elle participera à la prochaine course. Les infirmiers la voient alors commencer à marcher dans sa chambre. Puis emprunter le couloir, pour se rendre à la cantine. Puis sortir dans le parc. Puis sortir de l’institution pour faire un petit tour. Elle s’inscrit avec son infirmière à la course et va boucler ses 5 kilomètres. Appelée sur le podium, car elle est la doyenne, elle demande à se changer et à se maquiller avant de rejoindre les officiels et d’être acclamée…

Il y a aussi cet homme obèse de 200 kilos, dont le projet de soin passe par une perte régulière de poids. Il s’inscrit, ne va parcourir que deux kilomètres. « Mais il a couru avec un dossard, au milieu de milliers de participants. Il a été durant cette course, un sportif parmi d’autres, explique Serge Dahan. Surtout, il s’est accroché ! Il a retrouvé la fierté et désormais le sport prend une part importante dans sa thérapie ».

 

Une épreuve sportive à part entière !
Succès pour la course de l’Algernon en mode… Covid ! 1
@Algernon édition 2019

Course de la coopération, du partage et de la solidarité, l’Algernon revendique la nécessité de faire changer le regard sur le handicap. Cette course allie respect, joie et sport tout au long d’une journée, afin que les différences ne soient plus des barrières. Pour autant, il s’agit d’une compétition à part entière ouverte à tous, dès 14 ans, à laquelle peuvent s’inscrire les personnes atteintes d’un handicap mental, psychique, moteur, sensoriel… et les personnes valides (licenciés ou non-licenciés). C’est une course à allure libre, qui avait nécessité la présence de 350 bénévoles pour 5 287 dossards en 2019.

 

Des préparations adaptées
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@Algernon édition 2019

Les marathoniens le savent, la course se joue dans les deux mois qui précèdent l’effort avec un plan de montée en puissance adapté. Si pour un marathonien, « le mur » se dresse à 30 kilomètres, pour un handicapé ce peut être dès le 3e des cinq kilomètres à parcourir. Depuis deux ans, l’association a donc mis en place des entraînements à la course et enregistre 559 licenciés. Comme pour les sportifs, une méthode d’évaluation et des indicateurs en fonction du handicap et de l’objectif ont été établis. L’association Algernon profite de son succès pour développer différentes actions sur la promotion du sport pour tous dans les établissements scolaires, mais aussi les Ehpad. Elle fournit aussi des statistiques utiles aux chercheurs dans de multiples domaines (bonus).

 

Édition 2020, il est encore temps !

Pour cette édition extra-ordinaire, l’entreprise KMS, chronométreur officiel de l’épreuve, a mis en place un process permettant à chaque coureur d’inscrire sa ou ses courses. Le nombre de compétiteurs mais aussi les kilomètres parcourus s’additionnent jusqu’au 31 octobre à minuit (vous pouvez encore participer en vous inscrivant ici). La barre des 1 400 participants et des 21 000 kilomètres a été dépassée. À 10 euros le dossard, l’épreuve va rapporter très peu. Mais ce sera du bénéfice pur puisque pour cette compétition virtuelle, l’organisation n’a cette année rien coûté ! ♦

* Le FRAC Provence parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus [pour les abonnés] Les statistiques de l’Algernon – À l’origine de la Joëlette – Pourquoi ce nom, Algernon ? –

  • Les statistiques de l’Algernon – Par exemple, l’âge des participants ne cesse d’augmenter depuis la première édition en 1984. En 2019, 8,8% des inscrits étaient ainsi âgés de plus de 65 ans. Les femmes et les hommes sont à parité. 80% des participants s’inscrivent à l’épreuve du 5 kilomètres, 15% au 10 et 5% au 15 kilomètres. 68% des coureurs s’inscrivent dans les derniers jours précédant la course quand pour le semi Marseille-Cassis tous les dossards s’envolent le jour de l’ouverture des inscriptions. Et la page Facebook de l’Algernon établit son record annuel le jour de la course, avec plus de 32 000 visiteurs.

 

  • Pourquoi ce nom, Algernon ? – En 1988, l’Association participe à plusieurs représentations d’une pièce de théâtre intitulée « Aller simple pour Algernon » et inspirée du roman de science-fiction de l’auteur américain Daniel Keyes, « Des fleurs pour Algernon » (paru en 1959). L’histoire est celle de Charlie Gordon, un homme âgé de 32 ans souffrant de retard mental, qui gagne sa vie comme apprenti dans une boulangerie. Son oncle a pris des dispositions pour qu’il occupe un poste de boulanger afin de ne pas avoir à vivre dans un établissement spécialisé. Parallèlement, il suit des cours de lecture et d’écriture à l’université Beekman (Beekman College Center for Retarded Adults) dans la classe de Miss Alice Kinnian. Malgré son retard mental, Charlie est l’un des rares élèves de Miss Kinnian à faire de réels efforts pour progresser, même si ses progrès restent modestes. Un jour, il est approché par deux chercheurs de l’institut Beekman qui lui proposent de subir une opération du cerveau devant lui permettre d’améliorer ses facultés mentales. L’intervention ayant auparavant réussi avec une souris de laboratoire dénommée Algernon…Cet article de Sebastian Dieguez paru en 2019 dans Cerveau et psycho livre une analyse très intéressante de ce roman.

 

  • À l’origine de la Joëlette – C’est en 1987 que Joël Claudel, accompagnateur en montagne, imagine la première Joëlette pour son neveu, atteint de myopathie. C’est une sorte de chaise à porteurs munie d’une unique roue. Il lui faudra seulement deux jours pour fabriquer le premier prototype. Siège baquet, roue centrale et quatre poignées pour les deux porteurs, c’est encore aujourd’hui la base de la Joëlette. Ainsi, malgré sa maladie dégénérative, Stéphane, son neveu, peut profiter des grands espaces. À 17 ans, il découvre les chemins de l’Ile de la Réunion, puis ceux de l’Atlas au Maroc. Homme passionné, Joël Claudel partage son projet à travers la création d’Handi Cap Evasion, auquel l’association des Paralysés de France s’associe, et qui permet depuis à ces randonnées et courses autrefois inimaginables d’exister, partout en France et dans le monde. Néanmoins, cet homme discret ne souhaitant pas rester sur le devant de la scène, il a choisi de confier la suite de l’aventure de la Joëlette à d’autres personnes engagées, notamment l’entreprise Ferriol-Matrat, aujourd’hui son fabricant exclusif.