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Ce bras robotisé soigne l’épilepsie réfractaire

Par Hervé Vaudoit, le 25 novembre 2020

Journaliste

Crédit photo AP-HM

Pour la première fois en France, un bras robotisé vient d’être utilisé par le Pr Didier Scavarda, neurochirurgien à l’hôpital de La Timone, pour évaluer les possibilités d’intervention curative sur une  jeune patiente âgée de 14 ans. Une technologie qui ouvre de nouvelles possibilités de guérison pour cette maladie aussi handicapante que traumatisante pour ceux qui en souffrent et leur entourage.

Longtemps considérée d’essence diabolique, l’épilepsie réfractaire (ou pharmaco-résistante, qui ne répond pas de façon satisfaisante aux médicaments classiques) est-elle en passe d’être définitivement vaincue ? C’est en tout cas l’espoir que l’on peut caresser après l’intervention subie début novembre par une adolescente de 14 ans à l’hôpital de La Timone. Diagnostiquée très jeune, la jeune fille restera comme la toute première patiente française à avoir bénéficié d’une stéréo-électro-encéphalographie.

 

Une marge d’erreur inférieure à un millimètre

Un bras robotisé pour soigner l’épilepsie 1L’opération a été réalisée par l’équipe du Pr Didier Scavarda, chef du service de neurochirurgie infantile des hôpitaux universitaires de Marseille, à l’aide d’un tout nouveau bras robotisé, plus précis et plus sûr que la main du chirurgien. Fabriqué par l’entreprise américaine Medtronic, l’Audioguide (c’est son nom, sans lien avec l’appareil que l’on colle à l’oreille des touristes dans les musées) permet en effet de ramener à moins d’un millimètre la marge d’erreur du geste chirurgical, une performance irréalisable lors d’une opération à main levée. « Les erreurs visuelles ou gestuelles que l’on peut commettre en opérant à main levée sont supprimées, comme les aléas liés à la fatigue, à la répétition des gestes et à la nécessité de calculer et de recalculer en permanence les points d’entrée et de sortie quand on opère de façon traditionnelle. Là, il n’y a plus rien à calculer pendant l’intervention », explique le médecin (lire son interview en bonus).

Pour une intervention sur le cerveau, le gain est considérable. Et plus considérable encore dans le cas d’une stéréo-électro-encéphalographie, qui consiste à forer de petits trous de 2,6 mm de diamètre dans la boîte crânienne du patient pour y introduire de petites électrodes de 0,8 mm qui, une fois implantées dans le cerveau, vont permettre d’enregistrer l’activité électrique des régions cérébrales activées par les crises épileptiques. L’objectif, c’est de localiser très précisément le point de départ des crises et de mettre en évidence la façon dont elles se propagent dans le cerveau, afin de pouvoir ensuite déterminer si une opération curative est envisageable. C’est-à-dire évaluer avec un bon niveau de certitude la zone à traiter et la quantité de tissu cérébral qu’il conviendrait de retirer pour empêcher la survenue de nouvelles crises.

 

La précision du bras téléguidé

Un bras robotisé pour soigner l’épilepsie 2Dans le cas de la jeune patiente opérée par le Pr Scavarda, ce sont pas moins de 14 électrodes qui ont pu être implantées sans avoir besoin de lui raser les cheveux, comme c’était la règle jusqu’à présent. À la suite de l’opération, la jeune fille est restée hospitalisée une dizaine de jours dans le service d’épileptologie et de rythmologie cérébrale dirigé par le Pr Fabrice Bartoloméï, afin de surveiller H24 ses réactions et enregistrer en temps réel l’activité de son cerveau, notamment la survenue des crises épileptiques.

Les électrodes lui ont ensuite été retirées et il faudra quelques semaines aux équipes de La Timone pour analyser les données ainsi recueillies et décider si oui ou non une opération est envisageable. Si oui, elle sera aussi réalisée avec le bras Audioguide, qui offre là encore un niveau de sûreté et de précision dont l’être humain est incapable, aussi talentueux soit-il.

Au-delà du cas de cette jeune fille, cette nouvelle technique d’intervention ouvre de réelles perspectives dans la prise en charge de cette maladie très traumatisante, aussi bien pour les patients qui en souffrent que pour leurs parents, surtout quand les premières crises surviennent quelques semaines seulement après la naissance. ♦

 

*  La data au secours de la biodiversité 7 Le CEA Cadarache parraine la rubrique « Recherche» et vous offre la lecture de cet article *

Bonus [pour les abonnés] – Marseille, à la pointe des recherches sur l’épilepsie – Les chiffres de l’épilepsie – Itw du Pr Scarvada –

  • Marseille, centre de référence – Si cette première française s’est déroulée à Marseille, ce n’est pas totalement le fait du hasard. Les hôpitaux universitaires de la ville sont en effet centre de référence national pour le traitement des épilepsies rares. Au fil du temps, les équipes du Pr Didier Scavarda, chef du service de neurochirurgie infantile, et celles du Pr Fabric Bartoloméï, chef du service d’épileptologie et de rythmologie cérébrale, ont en effet largement contribué au développement de techniques nouvelles dans la prise en charge de ces maladies, et particulièrement des épilepsies réfractaires aux traitements médicamenteux, qui touchent environ 30% des patients épileptiques.

 

  • L’épilepsie en chiffres – En France, on recense entre 300 000 et 500 000 patients souffrant d’épilepsie. C’est la deuxième maladie neurologique en matière de fréquence. Une personne atteinte d’épilepsie a deux à trois fois plus de chance de mourir prématurément que la moyenne. En Europe, le nombre estimé de nouveaux cas par an est de 96 000 chez les adultes de 20 à 64 ans et de 130 000 chez les enfants et adolescents.

 

  • Itw du Pr Didier Scavarda : « Les erreurs visuelles ou gestuelles sont supprimées »

À l’origine de cette première française, le Pr Didier Scavarda espère que ce nouveau bras robotisé va permettre d’améliorer le taux de guérison des épilepsies réfractaires par la chirurgie, qui tourne actuellement autour de 70 à 75%

Quels progrès permet ce bras robotisé dans le traitement des épilepsies réfractaires aux traitements médicamenteux ?

L’intérêt de ce nouvel outil, c’est de pouvoir répéter les gestes de façon très précise, sans erreurs possibles de la part du chirurgien. Les erreurs visuelles ou gestuelles que l’on peut commettre en opérant à main levée sont supprimées, comme les aléas liés à la fatigue, à la répétition des gestes et à la nécessité de calculer et de recalculer en permanence les points d’entrée et de sortie quand on opère de façon traditionnelle. Là, il n’y a plus rien à calculer pendant l’intervention. Une fois que l’on a programmé les bonnes trajectoires sur ordinateur, le bras articulé va se positionner automatiquement aux bons endroits et reproduire chaque geste de façon très précise, sans erreur. Quand on travaille à l’œil, il est facile de se tromper de 2 ou 3 millimètres. Avec ce bras robotisé, on gagne aussi en sérénité et en sécurité pour les patients.

Les interventions sont aussi longues que lorsque vous opériez à main levée ?

Non. Ce nouvel outil nous permet effectivement de gagner environ 2 à 3 minutes par électrode et de limiter le temps que le patient passe sur la table d’opération. Or, plus une opération est courte, mieux et plus vite il se réveille.

Comment les interventions se passaient-elles avant l’arrivée de ce bras robotisé ?

C’était une chirurgie plus classique, avec laquelle nous calculions les alignements à l’œil, avec la précision aléatoire que cela suppose. D’ailleurs, quand on calculait la différence entre l’endroit où on souhaitait placer les électrodes et l’endroit où elles étaient réellement implantées, il y avait toujours une petite marge d’erreur. Là, cette marge est réduite au strict minimum. On espère que les écarts n’iront jamais au-delà de 1 à 1,5 mm, contre 2, 3 ou 4 mm auparavant.

Cette chirurgie s’adresse à tous les types d’épilepsie ?

Non, seulement aux épilepsies réfractaires que l’on n’arrive pas à guérir ou à contrôler avec des médicaments.

Cela touche surtout les enfants ?

Oui, mais aussi les adultes. Il n’y a pas de règles. Voici quelques jours, j’ai refait une stéréo-électro-encéphalographie (SEEg) sur une petite fille âgée de 30 mois qui avait fait sa première crise épileptique à l’âge de deux mois. Pour les parents d’enfants touchés par cette maladie, c’est souvent un chemin de croix. Car l’épilepsie réfractaire chez l’enfant, peut induire des troubles cognitifs, des troubles de l’apprentissage, des troubles du comportement… c’est un parcours de vie assez difficile pour les enfants et leurs parents. D’où l’intérêt de les opérer très tôt.

En quoi consiste cette opération, puisque la SEEg est surtout utile pour préparer cette intervention ?

Effectivement. La SEEg sert à délimiter le plus précisément possible la zone épileptogène à l’intérieur du cerveau, c’est-à-dire la région corticale d’où partent les crises épileptiques. En introduisant des électrodes et en les plaçant tous les 1,5 mm sur la zone suspecte du cerveau, on enregistre l’activité électrique et on obtient des données très bien localisées, très précises. On arrive à voir la zone en trois dimensions, alors qu’avec un examen classique, effectué en plaçant des électrodes sur le cuir chevelu, on obtient une image plane, sans pouvoir déterminer ce qui se passe en profondeur. Avec cette technique, on arrive donc à voir où apparaît la crise électrique anormale, mais aussi comment et où elle se propage, ce qui nous permet de déterminer ensuite si c’est opérable ou pas, si on a une chance de guérir le patient ou non. On est passés de la 2D à la 3D.

Et ensuite ?

Une fois qu’on a identifié la zone à traiter, on sait quels risques on va prendre sur le plan fonctionnel. Quand on est à proximité d’une zone sensible, celle qui commande la parole par exemple, on peut tester avant d’opérer. Si avant de toucher le patient parle, et qu’il cesse de parler quand on touche, on sait qu’il ne faut pas y aller. C’est beaucoup mieux pour la sécurité du geste et du patient.

La guérison s’obtient comment ?

Soit par résection de la zone épileptogène, soit par thermocoagulation, une technique qui permet de provoquer une petite nécrose autour de la zone concernée, comme une coagulation. Cela permet, soit de guérir le patient, soit d’interrompre les crises pendant un certain temps, ce qui nous permet de savoir que c’est la bonne zone à traiter. C’est donc aussi un test pronostic sur les chances de succès d’une chirurgie complémentaire.

Et la jeune fille que vous avez opérée dans le cadre de cette première française, savez-vous déjà si elle pourra être guérie de cette façon ?

C’est encore trop tôt pour le dire. On l’a gardée hospitalisée pendant dix jours. Elle était branchée et filmée en permanence pendant cette période, puis on lui a enlevé les électrodes. Là, il nous faut un peu de temps pour analyser les données recueillies et déterminer les possibilités pour la suite. Je ne sais donc pas encore si elle va être opérée ou pas. On aura la réponse d’ici deux à trois mois, mais je suis plutôt optimiste par rapport à ce que nous savons déjà la concernant.

On arrive à guérir ces patients complètement et définitivement ?

Oui, tous types de chirurgie confondus, on arrive à une moyenne de 72% de guérisons et on espère bien entendu améliorer encore ce taux avec notre nouveau bras robotisé. Car en étant plus précis, on pourra pousser plus loin, opérer plus de monde, et traiter des zones corticales plus proches des zones fonctionnelles sensibles.

L’opération se fait sous anesthésie générale ou locale ?

Sous anesthésie générale le plus souvent, sauf lorsque la zone à traiter est proche des zones fonctionnelles motrices ou du langage. Là, il est préférable de les faire avec le patient éveillé, afin de simuler avant d’enlever. Si le geste qu’on s’apprête à faire ne crée pas de trouble, on enlève. Sinon on s’abstient.