Fermer

Être aidant peut aussi être une richesse

Par Lorraine Duval, le 27 novembre 2020

Journaliste

Dans son livre-témoignage « Courage au cœur et sac au dos »*, la journaliste Nathalie Levy raconte comment, depuis dix ans, elle prend soin de sa grand-mère aujourd’hui âgée de 98 ans. Elle porte un regard tendre et lucide sur le statut d’aidant, ce qu’il suppose d’abnégation et d’organisation. Elle y évoque le stress, un choix de vie, mais parle beaucoup… d’amour.

 

Que recouvre pour vous le terme d’ « aidant » ? 

J’ai du mal à définir ce mot. C’est un statut flou qui se situe dans une zone trouble.

Ma grand-mère, Rosine, s’est retrouvée veuve à 29 ans avec deux petites filles de 3 ans et 6 mois. À partir de là, une histoire de femmes et une entraide féminine importante se sont mises en place. Rosine a toujours été très entourée, par ses deux filles d’abord, puis par ses petits-enfants, dont je suis l’aînée. J’ai toujours entretenu une relation particulière avec elle, bien avant qu’elle ne soit dépendante. J’allais la chercher, après mes cours, après le boulot, pour aller nous balader, faire des courses. La solidarité est évidente pour nous toutes.

 

À quel moment avez-vous ajouté à votre statut de petite-fille celui d’aidante ?
Être aidant est parfois vécu comme une richesse
Nathalie Levy @ Philipp Conrad

Nous avions l’habitude de nous relayer pour faire ses courses et préparer ses repas depuis très longtemps. Mais, il y a trois ans, elle a été atteinte de prolapsus génital (plus connu sous le nom de descente d’organes, il s’agit d’une complication gynécologique liée à un relâchement du plancher pelvien, qui se traduit par un effondrement de l’utérus, de l’urètre, de la vessie et du rectum – ndlr).

L’opération réparatrice l’a beaucoup affaiblie et ébranlée. Mon quotidien a alors été profondément modifié. Depuis, je me rends chez elle chaque matin après avoir déposé ma fille Faustine, 7 ans et demi, à l’école. De 9h à 11h30, je reste à ses côtés. Tout est bien rodé : je me douche et m’habille chez elle, je prépare mon repas et celui de ma fille, je travaille depuis mon ordinateur. Puis j’essaie de repasser dans l’après-midi. Je vis entre mon domicile et le sien, avec mes différents cabas. Ma voiture a pris des airs de caravane ! Mais grâce à notre organisation, à 98 ans, elle peut continuer à vivre à son domicile.

 

Quand votre grand-mère a fait une chute pendant le premier confinement, tout s’est alors compliqué…

Être aidant est parfois vécu comme une richesse 2Oui, le 13 mars dernier, je l’ai trouvée étendue à terre mais consciente. Ça a été le début d’un cauchemar, une hospitalisation en pleine période de Covid, ma grand-mère abandonnée à des infirmiers masqués. En trois semaines, elle a connu trois hôpitaux. À partir du moment où les visites n’ont plus été autorisées, elle est devenue très confuse, a fait une nouvelle chute et s’est cassé la clavicule, son poids est tombé à 24 kg… Un médecin nous a enjoints de la ramener à son domicile. Nous avons équipé l’appartement d’un lit médicalisé, d’un fauteuil avec bassin et trouvé deux auxiliaires de vie. Mamie a retrouvé ses esprits et l’appétit.

 

Se tourner vers une maison de retraite ou un Ehpad n’a jamais été envisagé ?

On l’a évoqué avec ma mère et ma tante, pour balayer aussi vite cette possibilité. C’était une évidence, un principe : elle a toujours été avec nous, il est hors de question de la confier à d’autres que nous. Mais il est vrai que le maintien à domicile peut avoir un coût exorbitant. Dans notre cas, il n’y a aucune aide financière, c’est une prise en charge collective par toute la famille, à laquelle s’ajoute une partie des économies de ma grand-mère.

 

Comment ce choix impacte-t-il votre vie ?

Cela implique une gestion quotidienne, des choix qui concernent la vie professionnelle, péri professionnelle, la vie sociale, les relations publiques… que les journalistes ont souvent et que je néglige beaucoup.

Du côté de ma vie privée, par chance, j’ai un époux très compréhensif – on ne se choisit pas par hasard ! Il est assez solitaire, travaille beaucoup de son côté, ce qui me laisse des plages de temps à accorder à ma grand-mère. Et ce que je vis avec elle m’enrichit plus que toute autre chose !

C’est sans doute pour ma fille que c’est le plus dur. Petite, Faustine passait toutes ses après-midis chez sa mamie, qui fait vraiment partie de sa vie. Mais depuis que son état s’est dégradé, je pense que c’est moins léger pour elle, raison pour laquelle j’ai écrit ce livre : afin de lui demander pardon d’une certaine manière. Pardon de lui imposer mon choix, cette présence d’une personne très âgée et en souffrance. Mais c’est aussi la séance de psy que je n’ai jamais eu le temps de m’accorder !

 

Quel est votre regard sur la place et le traitement réservé à nos aînés ?

Être aidant est parfois vécu comme une richesse 3Il faut dire stop à l’étanchéité générationnelle, à l’égoïsme. Il est nécessaire de les regarder, de les prendre en main. En 2060, un Français sur trois aura plus de 60 ans. Qu’est-ce que nos enfants feront de nous ?

Je pense donc qu’il faut donner un statut aux aidants familiaux, avec un salaire. Afin que la voie de la solidarité intergénérationnelle devienne la voie d’excellence.

 

Pourquoi ce titre « Courage au cœur et sac au dos » ?

Nathalie Levy : Quand j’étais jeune, ma mamie me disait cette phrase quand elle voyait que je traversais une période de flottement, ou quand j’étais en petite forme. Je pensais qu’il s’agissait d’une formule de son cru et puis j’ai découvert que c’était un chant patriotique lorrain de la fin du XIXe siècle ! ♦

* « Courage et sac au dos », 19,90 euros. Ed du Rocher, octobre 2020.

 

Les aidants veulent une vie normale