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Tarascon, son curé, ses Équatoriens et ses cours de français

Par Nathania Cahen, le 16 décembre 2020

Journaliste

Depuis 2017, plusieurs centaines de travailleurs agricoles équatoriens de Tarascon et leur familles ont appris le français grâce aux cours mis en place par la paroisse. C’est bon pour l’intégration des uns et pour l’Église des autres !

Quand on nous a raconté que le curé de Tarascon avait permis à plusieurs centaines de travailleurs équatoriens d’apprendre le français, on ne l’imaginait pas en poncho, mais pas en soutane non plus. C’est vêtu de la longue robe noire traditionnelle que le père Michel Savalli m’a reçue dans son salon. Un apparat assez traditionaliste, que viennent compenser son humour et son franc-parler. Le prêtre de la paroisse Sainte-Marthe, disert, raconte volontiers les heurs et malheurs de sa bonne ville de Tarascon, remontant au temps de sa splendeur, quand elle régnait en capitale de la Provence. En dépit de son château, sa collégiale et son patrimoine exceptionnel, l’ancienne cité bourgeoise pointe désormais parmi les communes les plus pauvres du département des Bouches-du-Rhône (bonus). La faute à la crise, à l’industrialisation, à la mondialisation, à l’échiquier économique, au mildiou…

 

Le maraîchage et ses besoins en ouvriers agricoles

Il y a néanmoins une constante économique dans ce coin de Camargue qui tutoie le Gard : le maraîchage. Bien que saisonnière, cette activité phare du territoire requiert depuis la nuit des temps des bras besogneux et du cœur à l’ouvrage. Le besoin de main-d’œuvre pour les récoltes a attiré tour à tour les Gitans, les Espagnols, les Marocains. Plus récemment les Équatoriens.

Tarascon, son curé, ses Équatoriens et ses cours de français 1Une population pousse l’autre. Quand elle s’émancipe de la misère ou plonge tête la première dans les petits trafics en tous genres. Tant il est vrai que les travaux des champs usent. Mais l’état du monde est tel qu’une nouvelle population tout aussi endurante et parfois encore moins peu coûteuse finit toujours par frapper à la porte.

Constitué d’Équatoriens, le troisième « ghetto » de Tarascon comme le surnomme le père Savalli, est apparu à partir de 2008. « À cette époque, la crise économique a frappé l’Espagne de plein fouet. Or des milliers de Sud-Américains vivaient et travaillaient là-bas, souvent comme travailleurs agricoles », rappelle le prêtre. Des sociétés d’intérim comme l’espagnole Terra Fecundis (plusieurs fois citée dans les médias à la fin de l’été pour ses clusters dans des exploitations agricoles de Provence) ont alors prospecté en France et proposé aux ouvriers agricoles équatoriens de passer les Pyrénées.

 

Une procession pour faire fondre la glace

Tarascon, son curé, ses Équatoriens et ses cours de français 2Le père Michel Savalli lui arrive à Tarascon en 2014. Selon son estimation, le triangle Saint-Rémy – Châteaurenard -Tarascon compte alors près de 9 000 Équatoriens – et quelques Péruviens, Boliviens et Colombiens. À Tarascon, ils représentent 10% de la population, soit près de 1 400 personnes. « Des hommes, petits, trapus et résistants, bientôt rejoints par des femmes, décrit l’homme d’Église. Ils ont compris que les conditions pour s’installer en France étaient plutôt bonnes, avec une attention portée au sanitaire, au social et à l’éducation ».

Par les fenêtres de certains logements, les paroissiens aperçoivent des vierges, des madones, des cierges… Certains font, au mieux, de timides apparitions à l’église. Comment les approcher ? Le 8 décembre, date de la fête de l’Immaculée Conception, une procession est traditionnellement organisée à Tarascon. « Nous nous sommes dit, pourquoi ne pas les convier ? Une paroissienne qui a vécu en Équateur a établi le contact, et nous les avons invités à se joindre à nous avec leur Vierge (la virgen del cisne, Vierge du cygne – ndlr) », se souvient le prêtre. En mai, la communauté sud-américaine est à nouveau invitée, cette fois à se joindre au pèlerinage de Notre-Dame du Château qui se tient chaque dimanche avant l’Ascension. D’un évènement à l’autre le dialogue s’établit, des liens se nouent, un baptême a lieu, le groupe latino grossit.

 

400 inscriptions lors de la première rentrée

En 2017, Henri Moucadel, un paroissien enseignant de son état (et président de l’association Frédéric Mistral) se met en tête d’organiser des cours de français. Rendez-vous est donné dans une salle du presbytère, à même de recevoir la vingtaine de candidats espérée. Ils seront plus de cent à se presser devant la porte d’une pièce bien évidemment trop petite.

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La petite armée de volontaires pour donner des cours de français.

L’opération cours de français change alors de dimension tandis qu’un écosystème d’aides en tous genres éclôt : coup de main pour les papiers, pour le logement, vestiaire et vide-greniers, paniers solidaires… La rentrée 2017-2018 enregistre près de 400 inscriptions et 23 bénévoles répondent à l’appel à volontaires. La participation des élèves se monte à dix euros pour l’année, « symbolique, mais de façon à impliquer ». Des livres, des tables et des chaises sont achetés ou donnés par les paroissiens. Et chaque mardi et vendredi à 19 heures, il y a cours. « Avec des hauts et des bas, tempère le père Savalli. Au milieu de l’hiver la plupart disparaissent pour la cueillette des oranges en Espagne ! »

Les effectifs du  » Curso Santiago  » sont moins impressionnants aujourd’hui, parce que beaucoup maîtrisent mieux le français désormais, parce que le Covid ne permet pas de remplir les salles. Mais aussi parce que la maison paroissiale est en travaux.

 

Bon pour l’intégration, et pour l’Église !

« Grâce aux cours, les Équatoriens ont gagné en indépendance : ils se débrouillent mieux avec les démarches administratives, avec leurs employeurs et sont désormais en mesure de râler ou revendiquer de meilleures conditions de travail, se félicite le ministre du Culte. Et les femmes trouvent facilement des emplois dans le domaine de l’aide à la personne ».

Le père Savalli ne cache pas qu’un peu de prosélytisme entre en ligne de compte. Les mouvements évangélistes ont conquis la plupart des Gitans, et essayent de draguer les latinos. Il faut empêcher le troupeau de se disperser, d’où la création d’une classe de catéchisme pour les primo-arrivants.

Aujourd’hui la population sud-américaine est en passe de s’intégrer – enfants scolarisés, un restaurant, une épicerie, une boutique d’esthétique tenus par des compatriotes. Des hommes qui travaillent désormais ailleurs que dans les champs et les serres. Un appel d’air pour une nouvelle génération d’ouvriers agricoles : les Sénégalais arrivent maintenant à Tarascon. ♦

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Bonus

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