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Les pistoles ne comptent pas pour des prunes

Par Frédérique Hermine, le 24 décembre 2020

Journaliste

photo @DR

Les prunes de Brignoles, aussi appelées pistoles, faisaient partie autrefois des 13 desserts du Noël provençal. Elles ont failli disparaître mais renaissent depuis quelques années grâce à quelques passionnés. 

La prune de Brignoles avait disparu des marchés de Provence depuis longtemps. La faute au chocolat qui a conquis les palais en quête de nouveaux goûts à partir du 18e siècle. Mais aussi à la difficulté de préparation des prunes. Sans compter la concurrence de pruneaux plus faciles à produire à Tours ou Agen. Comme d’autres spécialités locales comme la figue de Marseille ou le calisson d’Aix. La faute aussi à la désertion des comtes de Provence qui venaient dans la région en villégiature, aux récoltes aléatoires à cause du mistral…

 

Tout ça pour des prunes !
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pruniers Musée Brignoles©F.Hermine

Ou la faute à la légende qui veut que les 8 000 pruniers du seigneur de Vins aient été coupés par les villageois mécontents parce qu’il ne s’acquittait pas de l’impôt. La prune de Brignoles avait pourtant acquis une belle notoriété au fil des siècles. Les croisés derrière Saint-Louis auraient rapporté ces prunes de Damas après l’échec du siège de la ville. D’où l’expression « tout ça pour des prunes ! ». François 1er en passant par la Provence en 1538 pour aller rencontrer Charles Quint à Nice se voit offrir les fameuses prunes séchées de Brignoles. Elles avaient alors été baptisées pistoles car une fois travaillées et séchées, elles avaient la même forme et la même couleur que la monnaie frappée dans l’empire de Charles Quint. Le roi en commandait régulièrement. Preuve en est, un bon pour 600kg retrouvé dans les archives royales !

Le duc de Guise, qui avait été gouverneur de Provence, piochait souvent dans son drageoir ces « gâteries » qui n’étaient autres que des pistoles. Dans le jardin du Luxembourg, l’inventaire garde la trace, depuis Catherine de Médicis, du perdrigon violet ou prune de Brignolles (autre fois avec 2 l). Le nom de perdrigon faisant sans doute référence au perdigau ou perdigon (perdreau en provençal) au jabot violet.

Louis XIV en avait également fait planter par La Quintinie dans le potager du roi à Versailles, après avoir visité ses provinces du Midi en 1660. Autant d’anecdotes ou de légendes qui émaillent son histoire. Qui témoignent de son commerce autrefois florissant, mais qui ne l’ont pas empêché de disparaître.

 

Une timide relance
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Pistoles©DR

Les pistoles nécessitent un savoir-faire particulier. Les prunes qui ne sont pas des prunes de bouche doivent être épluchées minutieusement avec un couteau en osier ou en canne, mises à sécher sur des clayettes à rentrer tous les soirs, dénoyautées manuellement et retournées régulièrement avant d’être aplaties. Une préparation longue et laborieuse.

Le commerce des pistoles s’est donc éteint doucement à partir de la fin du 18e siècle. Jusqu’à ce qu’un ingénieur de l’Inra d’Avignon, Paul Florent, identifie cette espèce de perdrigon violet à partir d’un arbre retrouvé derrière le presbytère de Brignoles dans le Var, au cœur de la Provence verte. En 1998, il crée donc la Confrérie de la Pistole pour préserver ce symbole du patrimoine.

Marc Richard, un Brignolais passionné d’histoire, en retrouve quelques-uns chez son grand-père dans la campagne environnante. Le projet démarre au ralenti au début des années 2000 et s’accélère avec la motivation du maire de l’époque, Jean-Pierre Guercin. Celui-ci lance une étude de faisabilité pour la relance de la production, la collecte de documents et d’archives pour retracer son histoire. Puis organise la première fête de la prune de Brignoles en 2004. En 2005 est créée l’association de la prune de Brignoles qui poursuit les différents travaux engagés et commence à lancer l’inventaire. « Ce n’est pas seulement un fruit mais le symbole de l’histoire de la ville, estime Marc Richard, président de l’association. Il faut le préserver, relancer la production et surtout ne pas perdre le savoir-faire ».

 

Savez-vous planter des pruniers ?
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Marc Richard-Musée©F.Hermine

Après des travaux d’identification, l’INRA poursuit des travaux sur les génotypes des pruniers et l’association, en collaboration avec le Conservatoire Méditerranéen Partagé (bonus), réseau d’acteurs publics et privés œuvrant pour la valorisation de la biodiversité, relance la plantation (165 pruniers l’hiver dernier).

L’union coopérative Estandon devrait également inciter ses vignerons à replanter des pruniers en bordure de vignes. Deux rejetons du spécimen du presbytère repoussent depuis une quinzaine d’années dans la cour du Musée des Comtes de Provence. D’autres arbres sont également suivis par le Verger conservatoire de la Thomassine à Manosque.

Depuis le décret européen d’août 2017 sur la multiplication des variétés fruitières, l’association commercialise des pruniers à replanter entre septembre et mars, de préférence dans un jardin provençal. Plus de 1 500 arbustes, cultivés à partir des drageons, ont déjà été distribués (entre 10 et 15 euros). L’association a également signé depuis 2012 une convention avec la Mairie pour ramasser les prunes, feuilles et drageons sur le territoire brignolais. « Nous avons récolté jusqu’à 500 kg de fruits par an mais depuis 2017, nous n’avons pas eu de récolte, à cause des aléas climatiques (gel, grêle), déplore Marc Richard. Il faut reconnaître que la fleur du début du printemps, précoce et rapide, est fragile. Raison pour laquelle les pruniers, jadis, étaient plutôt plantés dans des enclos abrités ».

 

La création d’une micro-filière
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J-Ch Lafitau et M. Richard©F.Hermine

Le Conservatoire Méditerranéen a aussi financé une étude économique sur la transformation. Les premiers essais de pâtes de fruits, confitures et pistoles ont été initiés avec l’Esat de Cabasse, puis par la confiturière Christine Borg. Le pâtissier brignolais Jean-Charles Lafitau confectionne diverses pâtisseries et confiseries, dont les délicieux biscuits fourrés de Saint-Louis, à découvrir notamment lors de la fête de la prune (mi-septembre) ou à la foire de Brignoles (au printemps).

Le lycée agricole de Saint-Maximin et le campus agricole de Brignoles pourraient replanter prochainement deux hectares de pruniers au sein du parc naturel régional de la Sainte Baume. Et y créer un atelier de transformation des produits locaux.

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Saint Louis biscuit©F.Hermine

« Nous avons identifié une vingtaine de produits possibles et des contacts ont été pris avec l’Inao pour bénéficier à terme d’une IGP, précise fièrement Marc Richard. Et on a trouvé au perdrigon violet des vertus anti-inflammatoires et anti-oxydantes que n’offrent pas d’autres pruniers. Ce qui pourrait déboucher bientôt sur l’élaboration d’une ligne de produits de beauté en plus de l’alimentaire ».

À l’heure où la production arboricole française est en baisse constante depuis une décennie, la renaissance d’une nouvelle variété ne comptera pas pour des prunes, et ça n’espantera personne ! ♦

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « agriculture – alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus
  • Le Conservatoire Méditerranéen partagé – Cette association regroupe un réseau d’acteurs publics et privés spécialistes de la conservation, de l’utilisation et de la valorisation de la biodiversité cultivée de Méditerranée. Son champ d’action concerne l’agriculture et l’ensemble des patrimoines, tant génétiques qu’humains, qui l’accompagne.

Entre autres actions, le CMP prévoit d’accompagner, sur une période pilote de trois ans, la mise en œuvre de 20 projets de vergers, essentiellement basés en Provence. La finalité est de conserver et de promouvoir les variétés de terroir typiques du bassin méditerranéen, dans le cadre du développement socio-économique de ces territoires. Afin notamment de réduire la vulnérabilité des territoires et augmenter leur résilience face au changement global.