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Cryothérapie : se soigner à -110°

Par Marie Le Marois, le 11 janvier 2021

Journaliste

À l’heure où les températures hexagonales avoisinent les zéro degré, difficile d’imaginer les vertus du froid. S’exposer aux températures négatives serait pourtant bénéfique pour notre santé et la médecine s’y intéresse de plus en plus pour traiter certaines pathologies. En témoigne le développement de la « cryothérapie corps entier », qui propose une immersion entre -110 à -130°. Un outil controversé, en pleine évolution scientifique. Enquête en chambre froide.

 

Après un examen médical approfondi, les extrémités du corps protégées (maillot, bonnet, gants, chaussures), me voici devant le dispositif « cryothérapie corps entier » du Grand Large, centre de rééducation fonctionnelle à Marseille. Il est composé de trois chambres froides, assurant une acclimatation progressive du corps. Après un passage simple dans la première chambre à -15,9°, le technicien responsable m’invite, tout en me surveillant, à rester 20 secondes dans la deuxième à – 59,4° puis, plus longuement, dans la troisième à -113°. Comme on me l’a indiqué, je marche et respire calmement par la bouche. Avec l’étrange sensation d’être un poulet congelé, poils hérissés.

 

Choc thermique

Cette première séance a duré en tout deux minutes et vingt secondes. Un temps court en soi mais terriblement long avec cette température aussi extrême. Tous ceux qui ont testé le procédé l’assurent : elle est de mieux en mieux supportée au fil des séances et peut même provoquer une accoutumance.

La cryothérapie, autrement dit le soin par le froid (du grec kruos [cryo-], froid), est reconnue depuis Hippocrate, mais la cryothérapie corps entier (CEE) reste récente (voir bonus). Arrivée en France depuis dix ans à peine, elle fonctionne toujours de la même manière : le corps est en contact avec un froid intense et bref (trois minutes maximum) dans une pièce fermée. Il existe une version Corps Partiel (CCP) qui laisse la tête à l’air libre.

Le but recherché ? Le choc thermique, qui diminue brutalement la température cutanée. Les vaisseaux sanguins se rétractent alors puis se dilatent après la CEE. Résultat, « la microcirculation est stimulée, les cellules sont nourries et drainées, ce qui permet aux organes d’être bien alimentés », explique le docteur Philippe Blanchemaison, angiologue et phlébologue, adepte de la nage en hiver. S’ensuit « une cascade d’effets secondaires », explique le Dr William Vanbiervliet du centre Le Grand Large : actions anti-inflammatoires, antioxydantes, antalgiques mais aussi libération d’endorphines et stimulation du système immunitaire.

 

Action majeure sur le système nerveux autonome 

Pour faire court, ce spécialiste en médecine physique et de réadaptation, membre de la Société française de cryothérapie corps entier, explique à ses patients que la CEE va en quelque sorte provoquer « un « reset » puis un reformatage de leur système nerveux autonome, parfois perturbé ». Et réguler la variabilité cardiaque, « facteur prédictif de l’espérance de vie ».

Ces patients souffrent principalement de capsulites rétractiles, de spondylarthropathie ankylosante (SPA), de fibromyalgie, d’algodystrophie, de lombalgie chronique et, pour une poignée, de sclérose en plaque (SEP). La CEE agit sur la douleur, l’inflammation, l’humeur, l’immunité, le sommeil. Et parfois, là où le patient ne s’y attend pas. Ainsi, Thomas, qui a bénéficié de 20 séances prescrites par son médecin généraliste pour sa lombalgie, n’a ressenti aucune amélioration. En revanche, il a noté des effets inattendus sur sa capsulite – « mon épaule avait davantage d’amplitude » – et ses insomnies – « je dormais comme un bébé ».

 

Pourquoi pas des bains d’eau glacée, tout simplement ?

Au réseau PACA SEP, association pour les patients atteints de sclérose en plaque, si on recommande le froid pour agir directement sur les symptômes sensitifs, musculaires et même la fatigue (a contrario, sauf exception, la chaleur accentue les symptômes), on ne conseille pas la CEE, « trop contraignante pour un effet temporaire ». Il est aussi efficace, selon l’association, de prendre un bain ou une douche froide qui évite un déplacement fatiguant « et c’est gratuit ». Certains centres de soins proposent même des chapelets de bouteilles d’eau glacée à poser sur le corps. Sophie, professeure des écoles atteinte d’une sclérose en plaque, ne peut plus se passer de ses bains de mer glacée à Marseille. Elle a beau ne plus avoir de défenses immunitaires à cause d’un traitement sévère, elle n’est jamais malade, « même pas un rhume alors que je suis en contact avec des enfants ». Elle note également que la nage booste ses muscles et son moral.

[(re)lire aussi notre article Le froid, un ami qui vous veut du bien]

Le choc thermique de la CEE est plus important
Dr Vanbiervliet
Le Dr William Vanbiervliet

Le Dr Vanbiervliet ne sous-estime pas les bienfaits de ces méthodes naturelles mais insiste sur le « choc thermique plus violent et l’immersion céphalique » (ndlr : de la tête) de la CEE. Au centre Le Grand Large, la CEE est par ailleurs conventionnée par l’assurance maladie. Le médecin affirme qu’en cinq ans d’empirisme, il a observé des effets positifs dans tous les cas, et très peu de négatifs. Pour l’année 2016 dans le service du Grand Large (analyse en cours pour la période 2017- 2019), seuls 4% des patients ont souffert « d’effets indésirables mineurs » tels des gelures locales, céphalées et allergie au froid. Il balaie ainsi le rapport de l’Inserm de 2019 sur la CEE qui rapporte « peu d’effets bénéfiques prouvés et des effets secondaires réels ». L’utilisation tout azimut de la cryothérapie corps entier ou partiel par des centres non médicaux, à des fins de bien-être ou d’esthétique (mais, non, la CEE ne fait pas maigrir !) dessert cet outil. Sans compter qu’il peut être utilisé à mauvais escient (contre-indications non respectées, dépassement des trois minutes…). Il n’existe en effet en France aucune règlementation concernant son exploitation.

 

Des études encore incomplètes

Si ce quinquagénaire affable reconnaît que certaines études mériteraient d’être menées, notamment sur la capsulite rétractile, il souligne les conclusions favorables récemment publiées sur le syndrome dépressif et la fibromyalgie (études polonaises). Ainsi que sur la spondylarthrite axiale (étude du Pr Thao Pham menée fin 2018 à l’hôpital Sainte-Marguerite de Marseille). La Société française de cryothérapie corps entier, dont il est membre, mène aussi de son côté des études.

Contrairement à certains de ses confrères, qui estiment « qu’il n’y a pas de preuves suffisantes pour conseiller la CEE », le Dr Anne Galinier, rhumatologue, n’hésite pas à prescrire des séances de cryothérapie depuis « trois-quatre ans » à ses patients souffrant de spondylarthropathie ankylosante (SPA) et de fibromyalgie. Selon elle, il faut être « pragmatique quand ça marche ». La CEE diminue notamment l’intensité de la douleur sur un « ressenti global », qui perdure après les séances. « Mais ça marche peut-être mieux pour la SPA et pas sur tout le monde ». Dans tous les cas, la CEE complète un traitement médicamenteux et ne remplace jamais les anti-inflammatoires.

 

Le témoignage de patients

Julie a suivi pour sa spondylarthropathie ankylosante une cinquantaine de séances pendant trois ans, réparties sur trois séjours d’hospitalisation. Ses symptômes ? « Articulations super inflammatoires, surtout aux chevilles. Sacro-iliaques comme des sciatiques. Et tendinites un peu partout ». La CEE n’a pas agi sur les articulations, contrairement aux infiltrations, « mais clairement sur mes autres symptômes ». D’autres bénéfices secondaires sont survenus : « Je dormais mieux. Même psychologiquement, j’allais mieux ». La jeune fille de 28 ans projette de refaire une cure de CEE mais cette fois-ci à titre préventif. Pour éviter d’autres crises, propres à cette maladie.

Mounia, elle, n’en revient toujours pas des effets de la CEE qui lui ont « sauvé l’épaule ». Après un accident de voiture, cette maman de trois enfants souffrait d’une « fissure au stade 3 et d’un tendon déchiré ». Au bout d’un an de kiné, l’opération est envisagée « mais le rhumatologue de l’hôpital de la Timone m’a proposé la cryothérapie et je me suis lancée ». Pendant trois mois, sauf le week-end, elle a suivi des séances de CEE, deux minutes au début, puis trois. « Parfois, c’était vraiment une souffrance, mais je tenais moralement car on était deux. On parlait, chantait, le temps passait plus vite ». En novembre, le scanner a parlé : l’épaule de cette quinqua est remise.

 

Une prise en charge globale

Si la CEE est bénéfique pour la plupart des patients, il ne faut pas attendre « un miracle », insiste le Dr Vanbiervliet. Mais associée à d’autres prises en charge, elle est « très intéressante car elle les potentialise ». Autrement dit, selon ce médecin qui préfère le terme de « cryoréhabilitation » à celui de cryothérapie, cet outil augmente les effets des autres soins. Ainsi, dans le cas de Mounia, l’effet analgésiant de la CEE lui a permis de rééduquer son épaule avec le kiné, juste après les séances, pendant trente minutes. Sur l’obésité, « où l’on commence à avoir des études intéressantes », la CEE associée à un reconditionnement à l’effort est une plus-value. Idem pour la capsulite rétractile associée à la balnéothérapie. Bien entendu, les résultats sont réels si la cure se compose de 10 à 30 séances, effectuées tous les jours, suivies dans un centre de soin, encadrées par un médecin (les contre-indications sont réelles – voir bonus) et surveillées pendant les trois minutes (contrôle visuel, voire auditif).

Pourquoi -110° et pas -60° ? Faut-il différencier la durée des séances entre hommes et femmes ? Il reste encore des inconnues et des bénéfices à démontrer. Mais la cryothérapie corps entier demeure une piste thérapeutique non chimique  prometteuse. ♦

 

 

Bonus – Histoire de la cryothérapie – Indications validées – Contre-indications

  •  Histoire de la cryothérapie – La thérapie par le froid remonterait au moins à l’Antiquité. Hippocrate (460-377 av J.-C), médecin grec considéré comme le père de la médecine, aurait préconisé l’utilisation de la glace comme antidouleurs, anti-inflammatoire et anti-œdème. La cryothérapie a pris ensuite plusieurs formes : poche de glace, bombe de froid, bain de mer glacé, bain ou douche froide, gilet rafraîchissant, serviette hygiénique glacée… Le concept de la cryothérapie corps entier (CEE) a été réalisé par un rhumatologue japonais, le Pr Yamauchi, qui utilisait cette méthode pour traiter des patients porteurs de pathologies inflammatoires. Les pays du nord et de l’est, notamment la Pologne, se sont rapidement emparés de cet outil qui fonctionne à l’azote liquide. En France, c’est par la voie sportive, d’abord en 2008 (essais au CERS Capbreton) puis 2009 (acquisition par l’INSEP) qu’il est apparu. Cette technique était avant tout destinée à la récupération des sportifs de haut niveau. Mais rapidement, d’autres bienfaits médicaux ont été constatés : rôle analgésique, vasomoteur, anti-inflammatoire, cognitif…

 

  • Indications validées (Cf Centre de rééducation fonctionnelle Le Grand Large)

– Rhumatisme inflammatoire et notamment la spondylarthropathie ankylosante – spasticité musculaire avec notamment la sclérose en plaque
– Neurodermites, psoriasis et lichen plan
– Récupération musculaire chez les sportifs

Certaines indications restent à confirmer par des études scientifiques rigoureuses :

– Lombalgie
– Fibromyalgie
– Troubles du sommeil et/ou dépression
– Asthme
– Inflammations tendineuses et lésions musculaires – Migraines