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La Tour du Valat, ange-gardien des flamants roses

Par Maëva Danton, le 12 janvier 2021

Journaliste

Fondé en 1954 au Sambuc (Arles) en Camargue, l’institut de recherche La Tour du Valat a vocation à mieux comprendre les zones humides pour mieux les gérer. Parmi ses engagements : la préservation des flamants roses, symboles d’un équilibre écologique fragile. Pour augmenter ses moyens et approfondir ses recherches, une opération de parrainage baptisée « Adopte un flamant » a été lancée à l’automne.

L’hiver est bien là mais cela n’empêche pas les flamants roses de s’adonner à leur spectaculaire parade nuptiale. Baignées dans un surprenant brouhaha, ces drôles de bêtes dont les mandibules du bec semblent inversées s’adonnent à une série de figures. Qui, en se bonifiant et se diversifiant chaque année, donnent une indication déterminante pour la constitution des couples : l’âge. Car chez les flamants, on ne s’accorde qu’à un individu du même âge.

Au printemps, une fois l’œuf pondu, père et mère s’occuperont de leur progéniture. Selon une répartition si équitable qu’elle aurait de quoi faire rougir bien des couples humains ! Puis au bout d’un an, chacun reprendra sa liberté et paradera pour trouver un nouveau partenaire.

 

Une espèce menacée au sortir de la Deuxième Guerre mondiale

En Camargue, dont le flamant est devenu un des totems, ces scènes de vie ponctuent les saisons. Mais les choses auraient pu être toutes autres. Au cours des dernières décennies, l’espèce aurait en effet bien pu disparaître. Ainsi, lorsque la Tour du Valat est créée en 1954 par Luc Hoffman (bonus), l’échassier figure parmi les espèces menacées. « Après la guerre, de nombreux travaux l’ont privé de lieux où nicher », explique Jean Jalbert, directeur de l’institut. De telle sorte que pendant dix ans, les flamants ne se reproduisent plus en Camargue.

Avec le soutien de la Compagnie des Salins du Midi, la Tour du Valat décide alors de donner un petit coup de pouce à la nature. Et fait construire un îlot de 6 200 mètres carrés sur l’étang du Fangassier. Las, les flamants le boudent. Pas découragées pour autant, les deux structures décident, cinq ans plus tard, de bâtir 500 nids factices. Cette fois, le résultat est immédiat et l’îlot artificiel prend vie puisque la moitié des flamants y pondent leurs œufs.

 

 

27 000 spécimens suivis tout au long de leur vie

Une fois ce problème résolu, la Tour du Valat souhaite disposer d’un suivi au long cours des flamants qu’elle voit naître. Elle veut en savoir plus sur cette énigmatique espèce : quelle est sa durée de vie ? Comment se déroulent les migrations ?

Dès 1977, elle se lance dans de vastes opérations de baguage. Chaque année, une bague en PVC est posée autour de la patte de mille poussins, ce qui permettra de les suivre tout au long de leur vie. « Jusqu’à aujourd’hui, nous avons pu suivre plus de 27 000 individus », se félicite Jean Jalbert.

Une mine d’informations qui ouvre la porte à tout un tas de recherches. « C’est comme cela que l’on a compris que les flamants divorcent chaque année. On a aussi observé que leurs comportements migratoires sont très divers. Certains flamants sont sédentaires et restent constamment en Camargue. D’autres partent plus au sud l’hiver et reviennent l’été. On voit aussi des comportements erratiques de flamants qui changent chaque année de lieu de vie ».

La Tour du Valat, ange-gardien des flamants roses 2
Deux poussins fraîchement bagués @H. Hôte / Agence Caméléon

 

Mieux comprendre l’espèce pour mieux la protéger

Mais il ne s’agit pas seulement d’assouvir l’insatiable soif de curiosité d’une bande d’ornithologues. L’enjeu est aussi de mieux comprendre l’espèce pour mieux la gérer et la préserver, en phase avec les spécificités du territoire.

Ainsi, si le flamant est un emblème dont se targuent bien des acteurs de la Camargue, il peut aussi causer d’importants dégâts sur les rizicultures dont dépend l’économie locale. « Ce phénomène n’est apparu qu’à partir des années 1980. Nous avons finalement compris que cela était dû à l’augmentation de la taille des rizières permise par les nouvelles technologies et la suppression des haies pour l’irrigation par hélicoptère. Les rizicultures sont alors devenues de magnifiques pistes d’atterrissage pour les flamants roses ». En effet, on ne relève pas de tels dégâts sur les petites rizicultures entourées de haies car les oiseaux goûtent peu les espaces confinés. La découverte a été relayée auprès des riziculteurs. Mais il n’est pas toujours évident pour ces derniers de réadapter leurs pratiques. « Ils craignent de perdre en productivité et de devoir changer de matériel ».

Qu’importe. L’association poursuit ses recherches. Elle se penche notamment sur le microbiote des flamants, cet ensemble de micro-organismes présents dans leur intestin. Pour en savoir plus sur le rôle qu’il joue dans leur état de santé et comment il peut être perturbé par la pollution. Mais de telles recherches ont un coût. D’où la volonté de lancer à l’automne dernier une campagne de parrainage baptisée « Adopte un flamant ».

 

 

« Adopte un flamant »

De Pat, le chauvin qui ne quitte jamais sa Camargue à Nora, la grand-mère expatriée, en passant par Cupidon, le tombeur qui enchaîne les conquêtes, chacun peut parrainer un spécimen, une famille ou un flamant correspondant à des critères bien précis. En échange, il recevra des informations sur son filleul dès qu’il aura été aperçu. Mais aussi, selon son niveau de contribution, un poster BD, une brochure sur l’espèce ou encore la Gazette des flamants. « Les opérations de parrainage d’animaux sont des choses qui existent mais peu concernent de vrais individus. Grâce à notre programme de baguage qui date de plus de 40 ans, on permet aux contributeurs d’être en lien avec leur filleul ».

L’argent obtenu par la Tour du Valat permettra de financer les programmes de recherche et de conservation du flamant rose. Et d’acheter du matériel pour les observateurs du pourtour méditerranéen, gage d’un suivi qui s’adapte au comportement migratoire de bon nombre de ces échassiers.

 

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Un adulte bagué avec son œuf @Alan R. Johnson/ Tour du Valat

 

Ambassadeur des zones humides

Avec une campagne ludique misant sur la personnification des flamants, la Tour du Valat entend toucher le plus grand nombre. Y compris ceux qui ne seraient pas des mordus d’ornithologie. Car il ne s’agit pas seulement de protéger le flamant qui, s’il a été menacé il y a 60 ans, semble désormais relativement protégé. L’idée est aussi de sensibiliser à la préservation de son environnement. Les zones humides sont en effet particulièrement vulnérables face à l’activité humaine, la densification des littoraux et le réchauffement climatique.

« La montée du niveau de la mer ajoute une pression supplémentaire qui va rendre les choses très compliquées sur les sites côtiers, les lagunes et salins. La quasi-totalité des sites de reproduction des flamants sont au niveau de la mer. Et en Camargue, du fait de l’absence de marée en Méditerranée, on n’a plus vraiment d’espaces vides où faire reculer les lagunes pour que des espaces naturels se recréent. On peut penser que si rien n’est fait, les effectifs de l’espèce pourront être réduits à néant ». C’est ainsi que le flamant rose s’érige en ambassadeur de ces espaces naturels dont dépend une importante biodiversité.

En un peu plus de deux mois, la mascotte à plumes a déjà fait craquer un millier de parrains et marraines. « C’est au-delà de nos espérances », se réjouit le directeur de la Tour du Valat. Effet des fêtes de fin d’année bien sûr, mais pas seulement : « 2020 a été une année au cours de laquelle les confinements ont montré combien le lien avec la nature est important. L’opération permet de s’y reconnecter ». Et d’ajouter une touche de rose dans une actualité morose. ♦

 Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus
  • La Tour du Valat et Luc Hoffman

Créée en 1954, cette fondation à but non lucratif a pour vocation de « mieux comprendre les zones humides pour mieux les gérer ». Une gestion qui doit passer par une meilleure harmonisation entre activités humaines et nature. Car les deux sont interdépendantes. Les résultats de ses recherches, partagés à l’internationale, sont censés nourrir les politiques publiques liées à la gestion de ces milieux, en Camargue comme ailleurs.

Pour mener ses recherches, l’institut dispose d’un domaine de près de 3 000 hectares, représentant les divers habitats naturels du delta du Rhône. Une bonne part de ce site est classé en Réserve naturelle régionale. Il s’appuie par ailleurs sur une équipe de 80 salariés qui interviennent dans toute la Méditerranée.

Natif de Suisse, Luc Hoffman, passionné d’ornithologie, découvre la Camargue à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il tombe sous son charme sauvage. Il acquiert en 1948 le domaine de la Tour du Valat et y fonde l’institut de recherche.

Mort en 2016 dans sa résidence camarguaise à l’âge de 93 ans, il aura beaucoup apporté au domaine de la conservation de la nature, et ce, au niveau international.

 

  • Budget et financements

Le budget annuel de la fondation s’élève à environ 5,6 millions d’euros. 65% sont dédiés aux programmes de recherche (sur les flamants roses entre autres), 2% à sa bibliothèque.

Pour financer ses actions et son fonctionnement, elle s’appuie pour moitié sur la fondation pour la nature suisse MAVA, créée par Luc Hoffman. 25% proviennent d’organismes publics, 7% d’organismes privés divers et 5% des recettes liées aux activités du domaine (agriculture notamment).

Parmi ses soutiens publics : l’Union européenne, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le ministère de l’Agriculture ou encore le CNRS. Côté privé, elle reçoit le soutien de diverses entreprises privées. Notamment le semoulier pastier Alpina, la Caisse d’épargne régionale, les fondations Total ou encore Nature et découvertes.

 

  • Pour tout savoir du flamant rose…

Sa couleur rose est extrêmement rare dans le monde animal. Pour ce faire, les flamants convertissent les pigments de carotène contenus dans leur nourriture (crustacés, algues et invertébrés) en une belle teinte rose. Cette couleur, qui fait la renommée de cette espèce, évolue avec le plumage de l’animal. En effet, les poussins naissent gris. Après un an, ils obtiennent progressivement un plumage nuancé de gris, de blanc et de rose. Et c’est seulement à l’âge de 4 à 7 ans que les flamants acquièrent leur parure adulte où le rose domine. La Tour du Valat a conçu une brochure très informative, à consulter sur son site.