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Le tribunal de commerce au chevet des entreprises en difficulté 

Par Olivier Martocq, le 13 janvier 2021

Journaliste

Commerces définitivement fermés dans le centre-ville de Marseille @OM

La faillite ou la liquidation judiciaire sont vécues par beaucoup de patrons, surtout les plus petits tels les commerçants-artisans, comme une marque d’infamie. Et la juridiction qui y est attachée, le tribunal de commerce n’a pas bonne presse dans cette population terrorisée à l’idée de se retrouver devant des juges. Alors que le premier semestre 2021 s’annonce mortel pour de très nombreuses entreprises, le tribunal de Commerce de Marseille ouvre des consultations dans la nouvelle « Maison de la justice et du droit ». Pour les aider à passer ce cap. De nombreux instruments existent. Encore faut-il les connaître et entamer les démarches pour se mettre à l’abri !

« Les entreprises ont été sous perfusion jusqu’à maintenant, mais cela va s’arrêter ». Marie Bagnoli, la vice-présidente de l’Union patronale des Bouches-du-Rhône (UPE13) n’a pas l’habitude d’user de la langue de bois. Joaillière, spécialiste du diamant, elle reconnaît avoir échappé à cette crise. « Il y a eu beaucoup moins de passage dans ma boutique-atelier. Mais le confinement nous a obligés à développer un site internet mieux pensé pour présenter nos collections. Et au final, les clients ont répondu ». Marie Bagnoli sait qu’elle fait partie des exceptions et demande aux pouvoirs publics d’être plus inventifs et surtout réactifs dans la période qui s’ouvre. « Car sinon, ça va être un carnage ! ». Et de fait, dans les grandes artères commerçantes piétonnes voisines du Vieux-Port, les rideaux définitivement baissés se multiplient. Avec un paradoxe : il y a chaque jour la queue sur le morceau de trottoir que se partagent les boutiques de luxe Hermès et Vuitton. Et dans la rue Paradis qui accueille des enseignes haut de gamme, aucune annonce de fermeture prochaine. En revanche, rue Saint-Ferréol, l’artère parallèle, et dans les rues transversales, les cessations d’activités des magasins moyens et bas de gamme sont légion.

 

Un été hors norme en trompe-l’œil !
Tribunal de commerce : un hôpital pour les entreprises en difficulté ? 1
Jean-Luc Chauvin @CCIMP

L’été a pu faire croire aux commerçants marseillais qu’ils étaient sauvés. Marseille a vu alors sa fréquentation touristique augmenter de 30%, avec une clientèle qui n’était pas celle, internationale, des croisières (deux millions de croisiéristes perdus en 2020) mais des Français, venus principalement des régions parisienne et lyonnaise. Résultat, les hôtels (avec un taux d’occupation record de 91%), les bars, les restaurants mais aussi de très nombreuses boutiques ont réalisé un chiffre d’affaires exceptionnel. « Pour la trésorerie de toutes ces entreprises, l’impact a été réel, mais la situation au dernier trimestre s’est considérablement dégradée », constate Jean-Luc Chauvin, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille Provence.

 

6 commerces sur 10 en danger
Le tribunal de commerce au chevet des entreprises en difficulté  1
Dans le centre-ville de Marseille @OM

Les indicateurs dont il dispose via des enquêtes auprès des commerçants indiquent que 4 commerces du centre-ville sur 10 ne passeront pas le mois de mars 2021. « Nous pensons que c’est plutôt 6 sur 10, car quand on analyse en détail les questionnaires sur la tendance au 4e trimestre, on se rend compte que dans l’habillement par exemple les patrons se montraient optimistes. Or la consommation durant les fêtes n’a pas été au rendez-vous ». L’observatoire des métiers de l’expertise comptable permet même une analyse encore plus pointue, via les télétransmissions aux différents services de l’État de données comme la TVA ou l’URSSAF. Ainsi Colette Weizman, la présidente des experts-comptables de la région Sud note, au dernier trimestre 2020, une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de 80% pour les restaurateurs, 40% dans l’habillement, et 30% pour les coiffeurs. Cette dernière catégorie illustre une modification des comportements. « Mes clients sont tous au rendez-vous », observe Abbes Mokedem, propriétaire d’un salon de coiffure situé derrière la Canebière. Avant de préciser, fataliste : « Mais les hommes laissent pousser les cheveux un peu plus. Les femmes viennent moins souvent faire des couleurs et les soins de manucure ne sont plus systématiques ».

 

Le tribunal de commerce au-devant des professionnels sinistrés

Tribunal de commerce : un hôpital pour les entreprises en difficulté ? 2
Jean-Marc Latreille

Du côté des restaurants, bars et boîtes de nuit, peu de chiffres circulent mais le tribunal de commerce s’attend à voir exploser le nombre de faillites. « Les adhérents de l’Union des métiers de l’industrie hôtelière (UMIH) sont venus manifester leur colère sous nos fenêtres », rappelle Jean-Marc Latreille, son président. « Or nous sommes là pour les aider, l’État nous en a donné les moyens ». Et le magistrat d’expliquer que les nouveaux outils déployés dans le cadre de la conciliation permettent désormais à sa juridiction de stopper des procédures de saisie, de résiliation d’exécution, ou d’accorder des délais de paiement. « Pour répondre à cette crise d’une ampleur inédite, nous avons ouvert une permanence de notre service de la prévention au sein de la Maison de la justice et du droit. Il s’agit pour nous d’aller au-devant des chefs d’entreprise inquiets à l’idée de se retrouver dans un tribunal ».

 

Deux Maisons de la justice et du droit dans le 13

En charge de la prévention dans ce même tribunal, Marc Ottaviani indique qu’il existe deux MJD : celle de Marseille ouverte depuis lundi et une à Aubagne qui traite un bassin d’entreprises important puisqu’il concerne Cassis, La Ciotat et Gémenos. « Il faut rappeler à tous les patrons que les juges des tribunaux de commerce sont des bénévoles et que ce sont eux-mêmes des chefs d’entreprise en exercice ou à la retraite. C’est important pour que s’instaure un climat de confiance ». Interviewer ces deux magistrats prend du temps car ils croient en ce qu’ils font et multiplient les exemples récents d’entreprises et d’emplois qu’ils ont pu sauver. Parmi les plus médiatiques, Altéo et Alinéa.

Tribunal de commerce : un hôpital pour les entreprises en difficulté ? 3
Le tribunal de commerce de Marseille @OM

« Le tribunal de commerce doit être perçu comme un hôpital. On y entre pour se faire soigner. La mort de l’entreprise c’est un échec », vulgarise Marc Ottaviani. Juge depuis douze ans, il comprend vite que son interlocuteur journaliste ne comprend rien aux bilans et à la comptabilité. Encore moins aux subtilités du métier d’administrateur, de mandataire judiciaire ou aux différentes procédures possibles : sauvegarde, redressement, mandataire ad hoc. Il me demande de retenir qu’il existe de nombreuses procédures qui permettent d’étaler les dettes d’une entreprise sur dix ans : « ça va soulager sa trésorerie. C’est comme si elle faisait un crédit, mais sans les intérêts ». Le message qu’il souhaite faire passer est que le tribunal de commerce est une boîte à outils au service des chefs d’entreprise en difficulté.

Cette initiative est saluée par le patronat, très inquiet de la tournure des évènements. Le couvre-feu ramené à 18 heures le 10 janvier va encore impacter les commerces. Il y a aussi cette alerte des marins-pompiers qui, via les prélèvements qu’ils réalisent chaque jour dans les eaux usées de Marseille, annoncent une flambée des cas autour du 16 janvier. « Le climat est anxiogène mais il ne faut pas baisser les bras ». La même formule, comme s’il s’agissait d’un élément de com’ concerté (ce qui n’est pas le cas ), a été employée par la commerçante et le président du tribunal qui ne se connaissent pas… ♦

 

Bonus – Une Maison de la justice et du droit, c’est quoi ? 

  • Maison de la justice et du droit (communiqué de presse de la préfecture annonçant l’inauguration officielle de celle de Marseille le 10 février prochain) – Cette nouvelle structure facilitera l’accès aux droits pour tous les Marseillais. Justice de proximité, résolution amiable des conflits, solutions alternatives aux poursuites judiciaires, actions de sensibilisation à la loi et à la citoyenneté, cet établissement municipal de près de 600m2 propose désormais un ensemble de services essentiels au sein d’un seul et même lieu.
Le Tribunal de commerce au chevet des entreprises en difficulté 
La nouvelle Maison de justice et du droit @OM

Elle rassemble en un lieu unique un grand nombre de professionnels du droit (avocats, notaires, huissiers, conciliateurs de justice) et des associations spécialisées dans des domaines aussi divers que l’aide aux victimes, la médiation familiale, le logement ou la consommation. Reçu par un greffier et deux agents d’accueil, le public, notamment le plus précaire, pourra bénéficier de consultations gratuites et confidentielles pour mieux connaître ses droits et devoirs dans tous les domaines de la vie quotidienne, engager les démarches utiles pour résoudre ses difficultés, défendre ses intérêts en tant que victime, mettre fin à un litige avec le voisinage ou régler un désaccord familial ; en privilégiant toutes les fois où cela est possible une solution amiable plutôt que la saisine de l’Institution judiciaire.

La MJD a également pour objet de renforcer la présence judiciaire de proximité et de contribuer à la prévention de la délinquance. Les délégués du procureur et les services de l’administration pénitentiaire seront présents pour faciliter l’exécution de certaines mesures judiciaires.

En savoir plus sur les MJD avec cet article.

Coordonnées à Marseille : 46 bd du Capitaine Gèze (14e) maisondudroit.marseille.fr Tél. : 04 84 52 08 81

Pays d’Aubagne : 26 Cours Voltaire, MJD Aubagne 13400 – Maison de justice et du droit (demarchesadministratives.fr) mjd-aubagne@justice.fr  Tél. : 0442369811