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Inceste #3 : traiter les agresseurs pour éviter la récidive

Par Marie Le Marois, le 20 janvier 2021

Journaliste

La société a le devoir d’accompagner les victimes d’inceste. Mais si elle veut enrayer ce fléau, elle doit également soigner les auteurs, aussi innommables soient leurs actes. Depuis 2010, l’hôpital Lapeyronie à Montpellier prend en charge ces ‘’monsieur Tout-le-monde’’, dans le déni et parfois eux-mêmes victimes dans leur enfance. Cette unité pionnière est également à l’initiative d’un numéro vert à destination des adultes attirés sexuellement par les mineurs. 

 

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La colère. Quand Feriel Alouti, sa co-autrice lui a proposé le sujet, la première réaction de Fanny Fontan fut la colère. Comment des médecins peuvent-ils aider les auteurs alors que les victimes « doivent se débrouiller toutes seules » ? Comment peuvent-ils « faire du bien à des personnes qui font du mal » ? Pour cette autrice-réalisatrice, c’était « un peu la double peine pour les victimes ».

Elle sortait alors à peine de son magnifique documentaire intimiste ‘’N’en parle pas, c’est un secret’’, sur le parcours de résilience des « survivants » d’inceste. Il lui était impensable de passer du côté des agresseurs. Encore moins d’envisager l’humain derrière ces monstres. Dans l’image collective, la seule réponse au « pire crime, moralement et socialement » est de les « castrer » ou les mettre en prison à vie. Pour purger l’horreur. Pour protéger nos enfants.

 

[voir l’extrait de N’en parle pas, c’est un secret, film intimiste de Fanny Fontan sur l’inceste ]

 

Accompagner les auteurs est d’utilité publique
inceste-réalisatrice-auteur
@patrick Gherdoussi. Fanny Fontan, réalisatrice  »Le sous-sol de nos démons »

La rencontre avec Magali Teillard-Dirat, psychologue clinicienne, et Mathieu Lacambre, psychiatre, a achevé de la convaincre de réaliser un documentaire. 

Ces deux spécialistes en criminologie et victimologie travaillent au CRIAVS de Montpellier. Ce Centre Ressources a créé en 2010, à l’hôpital Lapeyronie, une unité de soins pour les personnes présentant des déviances ou perversions sexuelles.

Le nombre de consultations n’a fait que doubler tous les deux ans avec, aujourd’hui, plus de 400 personnes suivies. Le Dr Lacambe prévient que ce chiffre risque d’exploser en 2021 : « plus de passages à l’acte en raison du confinement et plus de condamnations avec toutes les médiatisations. »

 

La répétition des violences sexuelles repose sur le silence

Au contact de ces professionnels hors normes, à la fois engagés et seuls dans leur combat, Il est apparu à la réalisatrice que soigner les auteurs est  « d’utilité publique ». Une évidence devenue une urgence. Si « on les plonge dans l’abîme, comment éviter la répétition ? »

Car l’histoire le montre : les violences sexuelles sur mineur ne datent pas d’hier et se répètent indéfiniment, sans que rien ne modifie cette spirale infernale. Car elle repose sur le silence. « Un système silence « , pour reprendre Dorothée Dussy, anthropologue et auteur de l’ouvrage Le berceau des dominations, anthropologie de l’inceste. Au fond, il existe une culture de l’inceste comme il existe une culture du viol.

 

La parole se libère

La parole se libère depuis quelques années et révèle l’agresseur tapi sous des personnalités connues  – le photographe David Hamilton, l’écrivain Gabriel Matzneff, l’entraîneur Gilles Bayer, le sculpteur Paul L’évêque ou le constitutionnaliste Olivier Duhamel. Il existe aussi des agresseurs moins connus, mais tout aussi abjects, comme le chirurgien Joël Le Scouarnec.

C’est avec la vague #metooinceste, qui déferle depuis le 16 janvier, que le grand public prend vraiment conscience de la banalité de ce mal. Elle est née suite à la parution du livre de Camille Kouchner, ‘’La Familia grande’’. Un livre terrifiant et bouleversant qui apporte un éclairage nouveau sur les tentacules du silence (voir bonus).

 

Un crime de lien qui touche toutes les familles

Ces violences sexuelles sont commises dans 80% des cas dans le cercle familial. Mais contrairement à certaines réactions qui affluent depuis les révélations de Camille Kouchner, ces abus ne sont pas liés à une époque (Mai 68), une couleur politique (‘’gauche caviar’’) ou un milieu social (‘’intelligentsia parisienne’’).

C’est un ‘’crime de lien’’ qui touche toutes les familles. Tout comme le silence de la victime et l’omerta familiale qui en découle. Il est vrai, en revanche, que la libération sexuelle a permis à des personnalités d’assumer au grand jour leur attirance pour les enfants et de l’étaler sur la place publique. Avec, comme conséquence, la banalisation de cette déviance. Dans le documentaire de Fanny Fontan, deux auteurs confient que les propos de Matzneff les ont « influencés ». Glaçant.

 

Démystifier le monstre pour comprendre et prévenir

Qui se cache derrière ces hommes ? En cherchant les raisons qui les ont poussés à commettre de tels actes, le risque n’est-il pas d’humaniser ces monstres ? Pour Fanny Fontan, « essayer de comprendre, ce n’est pas excuser mais prévenir ». Décortiquer le passage à l’acte peut en effet éviter sa répétition et, par ricochet, permettre aux victimes de se réparer.

Pour être au plus près de la réalité, la réalisatrice a suivi une dizaine d’agresseurs pendant un an, en prison et à l’hôpital Lapeyronie. Elle en filmera finalement quatre, « le plus souvent enfermés dans leur déviance ». Trois ont effectué leur peine de prison, le quatrième est en attente de son procès.

Le Dr Lacambre précise que les personnes reçues « sont majoritairement en obligation de soins. C’est-à-dire condamnées à un suivi psychiatrique. Mais 20% viennent librement. Soit parce qu’elles ont terminé leurs obligations judiciaires mais n’ont pas mis fin à leurs troubles, soit parce qu’elles ont conscience d’un problème » (voir parcours de soin en bonus).

Fanny Fontan filme ces hommes en train de se confier à la psychologue Magali Teillard-Dira, au deuxième sous-sol de l’hôpital – « un endroit enfoui, enterré, à l’abri des regards ». Tout un symbole qui souligne « qu’on ne veut pas les voir ». De ces mois en immersion est né un magnifique documentaire : ‘’Le Sous-sol de nos démons’’.

 

Ces « monsieur Tout-le-monde » sont rarement des pédophiles
Extraits de  »La Familia Grande » de Camille Kouchner

La première chose que la réalisatrice pointe est que « les gros pervers », les « prédateurs ou marginaux », sont minoritaires. La plupart de ces hommes sont bien intégrés socialement, ont un métier, une vie de famille, des hobbies, parfois des enfants.

Ils ne sont pas fous, « ne sont pas atteints d’une maladie quelconque ». Et ont une autre sexualité, normale, adulte. Ce dernier aspect les différencie des pédophiles dont la sexualité est unique, axée uniquement sur les prépubères.

Ce sont par ailleurs des « mecs bien », bons pères, maris, professeurs. Dans son livre, Camille Kouchner parle de ce beau-père qu’elle aimait « comme un père ». « Il m’encourageait pour tout. Il me portait, me rassurait, me donnait confiance ».

 

Ce sont nos pères, nos frères mais aussi nos mères

Ainsi, les agresseurs « ne sont pas des monstres mais nos pères, nos frères, nos oncles… », égrène Fanny Fontan. Ce crime est perpétré en majorité par des hommes, 95% selon une note de l’ONDRP.

Dans les faits, la proportion de femmes agresseurs est plus importante, selon les associations. Ce sont nos mères, nos sœurs, nos grand-mères ou grands-tantes, comme en témoigne Sophia Antoine. Sous couvert de soins, l’auteur assouvit ses pulsions en pratiquant des toilettes intimes trop fréquentes, prises de température inutile…« C’est du Nursing pathologique », précise Randal Do, présidente de l’antenne marseillaise Face à l’inceste.

 

Un phénomène difficile à enrayer car subtil

L’inceste féminin est le plus grand des tabous (‘’les femmes ont la fibre maternelle, elles ne peuvent par faire ça’’; ‘’ce n’est pas possible, elles n’ont pas de pénis’’….), comme l’explique parfaitement le psychiatre Jean-Michel Darves-Bornoz. Il en résulte que les victimes ont davantage de difficultés à réaliser qu’elles sont victime d’inceste, d’avantage de difficultés à en parler. Encore moins à déposer plainte.

Fanny Fontan en convient : cette réalité de ‘’Monsieur et Madame Tout-le-monde’’ « fait peur ». Mais en même temps, si on ne l’intègre pas, on passe à côté de ce phénomène « d’autant plus grand et difficile à résoudre qu’il est subtil ».

 

Petit à petit, ça dérape
# Inceste 3 : traiter les agresseurs 2
 »N’en parle pas, c’est un secret », documentaire de Fanny Fontan sur les victimes.

Le mécanisme reste « toujours un peu le même ». Ces hommes et femmes prennent soin de leur proche. Leur donnent le bain, les emmènent à l’école, au poney, au ciné. Et puis, petit à petit, « ça dérape ». La limite, « le voyant rouge », ne s’allume pas. Et le geste devient insidieusement sensuel puis sexuel. Sans contrainte, souvent en douceur, « rarement avec brutalité ».

Parmi les agresseurs sexuels, il y a ceux qui pensent avoir « une relation particulière avec un enfant », détaille Mathieu Lacambre – ils se sentent proches, amoureux, c’est leur préféré… D’autres agissent « par opportunité » – ils se sentent seuls, manquent d’affection, prennent l’enfant qu’ils ont ‘’sous la main’’.

Dominée par son affection et sa confiance en celui qui l’agresse, la victime se laisse faire. Et les auteurs croient qu’elle donne son assentiment. « Je pensais que, comme elle ne disait rien, elle était consentante », explique l’un d’entre eux dans le documentaire de Fanny Fontan.

 

Les agresseurs sont souvent dans le déni

Nombreux sont les ‘’incesteurs’’ à être dans le déni, « mécanisme de défense, de protection », précise Mathieu Lacambre. Pour eux, ils n’ont pas fait de mal. Pas violé. Sentiment parfois conforté par le conjoint. Dans le cas de Camille Kouchner, sa mère, épouse de l’agresseur déclare lorsque le secret éclate que son fils n’a pas subi de sodomie mais« des fellations, c’est quand même très différent ». Et plus tard : « Il n’y a pas eu de violence. Ton frère n’a jamais été forcé. Mon mari n’a rien fait. C’est ton frère qui m’a trompée ». Retournement des rôles : la victime devient alors la coupable, celle qui séduit.

Tant qu’ils sont dans le déni, « les agresseurs ne prennent pas conscience de ce qu’ils font », affirme la thérapeute Simone Sabatié (spécialiste psycho-corporel, psychogénéalogie et constellations familiales), formatrice à l’association Stop aux Violences Sexuelles. Ils sont dans l’illusion – se persuadent qu’ils sont amoureux, par exemple.

Leur stratégie pour asseoir le silence varie – de la complicité (‘’c’est notre secret à nous’’) à la menace (‘’si tu parles, ta mère ne le supportera pas’’). En passant par le chantage (‘’si tu viens, je t’aiderai à faire tes maths’’). Parfois, aucun mot n’est nécessaire.

 

 

Poser des mots pour éviter le passage à l’acte

# Inceste 3 : traiter les agresseursIl est essentiel que l’inceste ait une réponse judiciaire, pour protéger le mineur bien sûr. Mais aussi pour que victimes et auteurs soient reconnus comme tels par la société. A défaut de l’être par l’agresseur lui-même (voir la répression de l’inceste en bonus). Mais le traitement de l’abus sexuel des enfants ne peut pas trouver de réponse dans la seule répression. Le parcours de soins, obligatoire pour toute condamnation, permet aux auteurs « englués dans leur déviance » de confier pour la première fois leurs actes.

« La difficulté pour eux, c’est de parler. Car si le secret s’impose à la victime, c’est le cas aussi pour l’auteur. La honte, la culpabilité consolident le secret », souligne Mathieu LacambreAlors quand il peut libérer sa parole, « c’est le soulagement ». Et le début d’un processus de guérison. « Quand on met des mots, on évite la plupart du temps les actes ».

Libérer la parole permet de conscientiser leur problème. Passer du déni à l’acceptation des faits. Mettre à distance. Déconstruire le passage à l’acte pour éviter la récidive. Réaliser les dégâts physiques et psychologiques sur la victime. Et peut-être s’excuser auprès d’elle pour toute la souffrance infligée. La meilleure des réparations.

 

Comprendre la genèse de cette déviance sexuelle et la déconstruire

Dans le documentaire, quand son patient évoque son « fantasme et son désir pour les petites filles », Magali Teillard-Dira lui indique que « ce n’est pas arrivé comme ça ». Le fantasme s’est créé à un moment donné dans sa trajectoire de vie.

L’idée alors est de conduire l’agresseur à « mettre bout à bout » son histoire autour de son penchant, pour comprendre sa genèse. Le patient évoqué plus haut évoquera son enfance dans un établissement religieux « où quelqu’un l’a approché ». Cette révélation ne surprend guère la psychologue : « pas mal d’auteurs sexuels ont subi des agressions durant leur enfance ».

 

Des auteurs souvent eux-victimes dans leur enfance
Dr Lacambre, psychiatre au CRIAVS de Montpellier

Une fois sur trois, les auteurs d’abus sexuels sur mineurs ont eux-mêmes été victimes, rapporte Mathieu Lacambre. Certaines études parlent de 50%. Mais ils ne s’en souviennent pas forcément, souvent en raison d’une amnésie post-traumatique (APT), mécanisme de défense qui fait disparaître tout souvenir de la mémoire.

« Plus l’enfant est jeune, plus il va être soumis à cette amnésie », observe Simone Sabatié de Stop aux Violences Sexuelles (voir atelier pour les auteurs dans bonus). Elle estime de son côté que « les auteurs ont vécu dans la plupart des cas, si ce n’est pas tout le temps, des agressions sexuelles dans leur enfance ou adolescence ».

Tue, cachée, enfouie, cette enfance bafouée n’a pas été réparée et a figé la victime dans cette position, qui peut alors développer des comportements déviants. Car, au moment de l’agression, explique Simone Sabatié, quel que soit l’âge, il se produit la plupart du temps un phénomène de sidération clouant la victime sur place. Ses émotions et ses sens sont bloqués.

 

Les victimes reçoivent de plein fouet une énergie meurtrière

La victime reçoit de son agresseur, explique Simone Sabatié, « une décharge ‘’d’énergie meurtrière’’ qui impacte son psychisme mais surtout son corps ». Comme une cocotte-minute, cette énergie meurtrière implose de l’intérieur. Ce qui peut donner des maladies auto-immunes ou des scarifications, « tout ce qui va détruire le corps ».

Cette énergie meurtrière peut également exploser à l’extérieur. La victime va reproduire ce qu’il a lui-même vécu, « souvent au même âge et souvent de la même façon ». Cette donnée n’exonère en rien leur responsabilité. « Elle permet juste de donner des explications », insiste Magali Teillard-Dira.

Pour que ses patients ne restent pas figer dans une posture et puissent changer, elle ne cesse de leur dire que ce n’est pas parce qu’ils ont été dans une position de victime qu’ils sont obligés d’y rester. « Vous pouvez décider de changer de place. De la même manière que vous pouvez transformer vos fantasmes ». Elle insiste également sur le fait qu’ils ne doivent pas se voir comme un monstre, mais comme une personne ayant commis des actes monstrueux.

 

Evolution positive des soins…
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Un documentaire réalisé par Fanny Fontan sur les agresseurs sexuels de mineurs

Certains auteurs évoluent positivement dans leur parcours de soins à l’hôpital Lapeyronie. Ils comprennent la gravité de leurs actes, que ce n’était pas de l’amour, que la victime n’était pas consentante, qu’ils la détruisaient. Qu’ils la ‘’trompaient’’. « Le poney, le sport, l’école, c’est normal. Les attouchements, c’était en trop », observe l’un d’entre eux

Un autre réalise que son sentiment amoureux pour sa victime était une illusion. Qu’il confondait amour et sexualité. Que « finalement, la manipulation, c’est une autre [forme] de violence ». Qu’il n’aimerait pas être à la place des parents.

La psychologue approuve ces prises de conscience : « vous poser des questions signifie que vous êtes sur le bon chemin ».

 

… et pulsions

Toute la difficulté pour ces ‘’repentis’’ est ensuite de lutter contre leurs pulsions. Ils souffrent de leur déviance et craignent de repasser à l’acte, « expliquent que si c’était si simple à combattre, ils n’auraient pas tour perdu : famille, boulot… », rapporte Fanny Fontan.

L’un des auteurs de violences, qui continue à venir bien qu’il ne soit plus sous obligation de soins, est « désespéré ». N’en voit pas « le bout », malgré la prise d’Androcur (médicament destiné à réduire les pulsions sexuelles). Un autre : « je suis en lutte. C’est une guerre permanente ».

Alors, possible guérison ? « Je ne continuerais pas mon métier dans le cas contraire », soutient Le Dr Lacambre. Pour les auteurs d’agressions sexuelles incestueuses pris en charge, la récidive est de 1 à 3% dans les cinq ans (période critique). A contrario, les auteurs d’agressions pédophiles pris en charge récidivent de 10 à 12%, et ceux qui ne le sont pas, de 20 à 25% dans les cinq ans (le pédophile homosexuel avec violence étant le pire profil).

 

 

Agir à la source pour éviter que les auteurs ne passent à l’acte
Inceste-prévention-agresseur
Plateforme téléphonique à destination des personnes attirées sexuellement par les mineurs

Pour enrayer le fléau des abus sexuels sur les enfants, le plus efficace est d’agir à la source. Il faut accompagner les victimes pour qu’elles puissent se réparer et qu’elles ne deviennent pas à leur tour bourreau.

Il faut également intervenir auprès des personnes souffrant d’attirance sexuelle sur mineur avant qu’elles passent à l’acte. Mathieu Lacambre relate que, le plus souvent, les agresseurs avaient demandé de l’aide mais sans trouver de réponse, ni de ressource. « Les praticiens ne sont pas formés ou ne veulent pas accompagner ce type de public. Parce que c’est un crime immoral ou parce qu’ils ont peur d’être responsables d’une récidive », déplore Fanny Fontan.

Ces hommes et femmes se retrouvent alors seuls avec leur démon. Selon le psychiatre, si on prend la moyenne des études sur le sujet, 5 à 10 % de la population générale ont des pensées ponctuelles à connotation sexuelle envers des enfants.

 

Une ligne d’écoute à destination des personnes attirées sexuellement par les enfants

Avec le soutien des équipes des CRIAVS, le Dr Lacambre a mis en place en novembre 2019, une ligne d’écoute nationale et anonyme, à destination des personnes attirées sexuellement par les enfants. Ce dispositif permet d’évaluer et réorienter les appelants vers des soignants, dans 52 départements pour le moment (voir bonus). Depuis l’ouverture de cette plateforme téléphonique, il y a eu 1200 appels dont 105 qui ont abouti à une prise en charge.

Pour reprendre les propos du Dr Lacambre, une personne prise en charge, « c’est une victime ou plusieurs victimes en moins ». ♦

 

Bonus [pour les abonnés] – Le documentaire ‘’Le Sous-sol de nos démons’’ – Parcours de soin pour les auteurs de violences sexuelles (AVS) – Unité de soins pour les AVS à Lille, Bordeaux, Perpignan et Montpellier – Ligne d’écoute sur tout le territoire – Un nouvel éclairage avec le livre  »La familiale grande » – Les mesures urgentes à prendre – Des ateliers thérapeutiques d’escrime pour les auteurs – Répression de l’inceste –

  • Le documentaire de Fanny Fontan et Feriel Alouti ‘’Le Sous-sol de nos démons’’ – Sélectionné au festival international du documentaire FIPA DOC, il sera diffusé courant 2021 sur France 3 et Médiapart. La réalisatrice espère avoir réussi à dépasser la difficulté du sujet, à savoir « démystifier les agresseurs sans trop les humaniser ». Elle a essayé de ne tomber ni dans l’antipathie, ni dans la sympathie. Mais d’osciller entre les deux. Comme le font les soignants de l’hôpital Lapeyronie avec les auteurs d’abus sexuel.

À travers ce jeu d’équilibriste, elle nous révèle l’impuissance de ces hommes face à cette force du mal qui les dévore et leur volonté d’y mettre fin. Mais sans jamais éluder leurs actes monstrueux. Elle nous révèle également l’importance de former les soignants pour qu’ils nous protègent de nos démons. Traiter ce sujet a permis à Fanny Fontan, touchée intimement par le sujet de l’inceste, de « calmer un peu la douleur ». Elle espère qu’il en sera de même pour toutes les victimes.

 

  • Parcours de soin. Les auteurs de violences sexuelles (AVS) sont souvent condamnés à des soins obligés en milieu ouvert (injonction de soins), après une peine de prison. L’unité de l’hôpital Lapeyronie propose entretiens individuels avec un psychologue ou un psychiatre ou parfois les deux, traitement médicamenteux, groupe de parole, thérapie familiale systémique et parfois rencontre auteurs-victimes.

 

  • Il existe 27 Criavs (Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles) en France. Mais seuls Lille, Bordeaux, Perpignan et Montpellier proposent des soins pour les auteurs d’agression sexuelle.

Le Criavs de Montpellier forme depuis dix ans, des professionnels. Pendant une journée, Magali Teillard aide éducateurs, assistantes sociales, infirmiers et psychologues à saisir le passage à l’acte. Et tente de leur expliquer comment les auteurs fonctionnent pour mieux les accompagner. Ce Criavs participe par ailleurs à la formation des professionnels pour la plateforme nationale et d’écoute.

Enfin, le Criavs de Montpellier a écrit un livre ‘’Les violences sexuelles ‘’ et créé une boîte à outil de prévention des violences à caractère sexuelle et sexiste : la BOAT.

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  • Le dispositif de la plateforme nationale d’écoute à destination des personnes attirées sexuellement par les mineurs a déjà fait ses preuves : elle existe en Angleterre depuis 1992 et en Allemagne depuis 2000.

Sur les 1200 appelants, 340 sont restés en ligne jusqu’à ce qu’un professionnel décroche. L’objet des appels ? 46% pour attirance sexuelle pour mineurs. 20% pour images pédopornographiques. 3% sont victimes de violences sexuelles. 10% des agresseurs sexuels sur mineur, 2% des témoins. « Et le reste sont des familles d’auteurs, de victimes, mais aussi des professionnels qui ne savent pas comment agir face à l’inceste  », précise le Dr Lacambre. Le hic, ce sont les personnes dans le déni de leur attirance. Ceux-là n’appelleront pas à l’aide.

52 départements sont couverts pour le moment, avec treize sites CRIAVS. L’objectif est de mailler tout le territoire.

 

  • Le livre ‘’La Familia grande’’ apporte un nouvel éclairage sur les conséquences de l’inceste : les ravages sur les proches de la victime. Comme Camille Kouchner dans le cas de son frère violé, ils se sentent à la fois impuissants et coupables de ne pas avoir su protéger. Eux aussi sont enfermés dans ce silence qui atteint leur vie de femmes et d’hommes et, par ricochet, leurs enfants. Un silence d’autant plus violent lorsqu’il est nié par les adultes. Ce livre montre également l’effet dévastateur de la négation de ce drame par la mère et son choix de soutenir son mari plutôt que ses enfants. Comme dans la plupart des cas dans ces histoires, les victimes deviennent les coupables, ceux qui ont détruit la famille. Et les coupables, les victimes.

 

  • À la lecture du livre et de tous les autres qui l’ont précédé sur le sujet, il apparaît urgent de :

Former sur l’inceste tous les professionnels en contact avec des enfants (pédiatre, infirmier scolaire, policier…) pour qu’ils puissent accueillir, entendre et accompagner la parole des victimes. Car « Un enfant qui se confie et qui n’est pas entendu ne parlera plus jamais », prévient Randal Do, présidente de l’antenne Marseille de Face à l’inceste.

Abolir la prescription pour les personnes qui voudraient déposer plainte. Car parfois il faut toute une vie pour se libérer de l’emprise des siens et parler. Sans compter les victimes qui souffrent d’amnésie traumatique (la mémoire refoule tous souvenirs pour se mettre en mode survie). Pour rappel, la loi prévoit qu’une victime mineure peut porter plainte pour ‘’viol commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime d’une autorité de droit ou de fait’’, jusqu’à 30 ans après sa majorité. Mais ce délai de prescription allongé à vingt ans en 2004 puis trente ans en 2018, n’est pas rétroactif. La loi est donc inapplicable aux faits antérieurs. Ainsi « Victor« , le jumeau de Camille Kouchner âgé de 45 ans, ne peut plus porter plainte contre son beau-père.

Intégrer les cousins et cousines dans les auteurs d’inceste. Les viols et attouchements sexuels sont considérés comme incestueux dès lors qu’ils sont commis sur une personne mineure par un ascendant (père, mère, grand-père, grand-mère). Mais également un conjoint, une conjointe, une sœur, un frère (même mineur), un oncle, une tante, un neveu, une nièce, des parents d’adoption, un tuteur… Mais pas les cousins et cousines.

Établir un âge minimum de non-consentement en cas d’inceste. En France, il n’en existe aucun (l’âge du consentement est différent de la majorité sexuelle). Résultat, on se retrouve avec « des juges qui martyrisent un enfant pour savoir s’il était consentant ou pas », s’insurge Randal Do de Face à l’inceste.

 

  • Des ateliers thérapeutiques Escrime sont proposés par Stop aux Violences Sexuelles, notamment en centre de détention. « Les auteurs, victimes de violences sexuelles dans leur enfance, peuvent décharger leur ‘’énergie meurtrière’’, encadrés par des thérapeutes », explique Simone Sabatié, psychologue et formatrice à l’association.

 

  • Répression de l’inceste : à l’exception du viol commis sur un enfant de moins de quinze ans, qui est puni de vingt ans de réclusion criminelle quel qu’en soit l’auteur, les infractions sexuelles sont en général sanctionnées plus sévèrement lorsqu’elles sont commises par « un ascendant, légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime » : 20 ans de réclusion criminelle pour le viol lorsqu’il est commis sur des victimes âgées d’au moins quinze ans.
    – 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende, pour les agressions sexuelles autres que le viol commises sur des victimes âgées d’au moins quinze ans.
    – 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour les agressions sexuelles autres que le viol commises sur des victimes âgées de moins de quinze ans.
    – 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende, au lieu de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende, pour les atteintes sexuelles commises sur des victimes âgées de moins de quinze ans.

Le problème est que peu de dépôts de plainte aboutissent, surtout lorsque les faits sont anciens. « La justice restauratrice peut être alors une solution », ajoute le Dr Lacambre.