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J’ai testé l’appli Clear Fashion, le « Yuka » de la mode

Par Agathe Perrier, le 29 janvier 2021

Journaliste

Pas facile de consommer responsable en matière de mode, tant les marques transparentes sur leurs procédés de fabrication sont rares ! C’est justement pour répondre à cette attente que deux jeunes femmes ont créé l’application Clear Fashion. En quelques clics, il est désormais possible de connaître l’impact humain et environnemental de 360 marques. Et ce n’est que le début.

 

Personne n’est passé à côté du buzz de l’application Yuka. Vous savez, celle qui permet de connaître la composition de nos produits alimentaires et de nos cosmétiques en scannant leur code-barres. Clear Fashion, c’est un peu pareil, mais pour la mode. « Pour donner aux consommateurs l’information sur les vêtements avant qu’ils ne les achètent », explique Rym Trabelsi, qui a cofondé cette application avec Marguerite Dorangeon, alors qu’elles étaient étudiantes.

En pratique, Clear Fashion permet à ce jour de scanner directement le code-barres des collections de 15 marques – seulement. Pour les 360 autres référencées, il faut scanner l’étiquette de composition des vêtements. L’appli propose également de rechercher directement la marque sur laquelle on souhaite en savoir plus. Un outil épuré, facile à prendre en main et riche en informations.

 

Scanne mon étiquette, je te dirai qui je suis 

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L’appli Clear Fashion permet de scanner les codes-barres de vêtements de 15 marques pour le moment © Clear Fashion

Armée de mon Smartphone, je me suis lancée dans l’inspection de ma garde-robe. Et autant dire que c’est une tâche assez chronophage. Quand on parle de « scanner l’étiquette », il s’agit en fait de la prendre en photo. L’appli déchiffre les inscriptions, demande éventuellement des données qu’elle n’a pas réussi à lire ainsi que les labels présents. On obtient alors quatre scores sur 100 : environnement, humain, santé, animaux. « Les notes sont établies par un algorithme qui évalue les pratiques de la marque. Pour les connaître, on leur envoie un questionnaire d’environ 60 points à préciser. Chaque déclaration doit être accompagnée de preuves que l’on vérifie avant de les valider », précise Rym Trabelsi. Une affirmation sans justificatif est considérée comme nulle et les points relatifs ne sont pas attribués.

Dans les faits, une marque sur deux a répondu aux sollicitations de Clear Fashion. Cela signifie que 50% des 360 évaluées l’ont été sans leur implication. « On récolte pour cela leurs informations publiques, par exemple les rapports RSE. Des ONG nous fournissent aussi des documents. On ne trouve évidemment pas tout. On contacte donc les marques en leur expliquant notre démarche et on leur laisse 30 jours pour nous répondre. Après ce délai, on publie leurs informations en mentionnant sur l’appli qu’elles n’ont pas participé ». Rien n’est immuable car, même après parution, une marque peut envoyer des informations pour tenter d’améliorer ses scores. C’est d’ailleurs le but de Clear Fashion : pousser les marques vers une totale transparence.

 

 

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Clear Fashion propose un classement des marques les mieux notées dans l’application © Clear Fashion
Des bons élèves et des moins bons

L’appli dispose d’un onglet « Top » où l’on découvre les marques les mieux notées. Aucune cependant n’a fait le « grand chelem », à savoir un 100/100 dans les quatre catégories. « L’algorithme est construit de façon à être équilibré, c’est-à-dire à déterminer les bons élèves et les moins bons. Si la méthodologie était trop stricte et que toutes les marques étaient mal notées, elles se diraient que c’est impossible de faire mieux. Le but est justement que le système les tire vers le haut », souligne Rym Trabelsi. Une recherche rapide des enseignes généralement présentes dans les centres commerciaux révèle sans surprise des scores bas, très bas. La plupart n’ont d’ailleurs pas participé à leur évaluation.

Plus de 5 000 marques au total ont été scannées par les utilisateurs depuis le lancement de l’appli en septembre 2019. Certaines seulement une fois, d’autres des milliers. L’objectif de Clear Fashion est de répondre à 90% des requêtes, soit d’atteindre entre 500 et 600 marques référencées. La plateforme entretient actuellement plutôt de bonnes relations avec elles. « Certaines ne sont pas forcément contentes, au début. Lorsqu’elles se rendent compte qu’on n’est pas là pour critiquer, mais pour les faire avancer, ça va mieux. On leur rappelle d’ailleurs que leur note dépend uniquement de ce qu’elles mettent en place », glisse la cofondatrice.

 

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Les notes de la marque marseillaise Sessùn © Capture d’écran Clear Fashion
La transparence comme moteur

À partir de 60/100 ou plus, une marque est jugée responsable. Entre 40 et 60 elle est en phase de mutation. Par contre en dessous, cela signifie qu’elle manque de transparence ou n’est pas capable de prouver ses informations.

Au vu de ces critères, la griffe marseillaise Sessùn affiche un bilan en demi-teinte (voir photo ci-contre). « C’est vrai que ça peut ne pas paraître forcément flatteur. Notre démarche est d’être avant tout transparents », expose Daphné Janssaud, chargée de RSE. La marque avait déjà lancé des audits auprès de ses fournisseurs et usines pour une meilleure traçabilité. Ce qui devrait à terme améliorer ses notes. « On échange aussi avec l’application pour que certaines améliorations sur le point d’être mises en place et qui ne sont pas prises en compte dans la notation le soient, comme l’obtention de certains labels ou certifications».

Sessùn fait également partie des 15 « pionniers » de Clear Fashion, à savoir les marques qui rendent possible le scan des codes-barres de leurs vêtements (liste en bonus). C’est plus rapide et permet d’obtenir des informations sur un produit en particulier. Cette fonctionnalité fait franchir à l’appli une étape supérieure mais nécessite un gros travail en amont pour les marques puisqu’elles doivent recenser toutes les données propres à un article. L’objectif de Rym Trabelsi est d’élargir le scan de code-barres à au moins 150 marques d’ici un an.

 

Un avenir marseillais

Avec presque 200 000 téléchargements, Clear Fashion se fait petit à petit sa place. Les deux entrepreneures espèrent déployer ensuite leur plateforme à l’international. Et même créer un visuel à coller sur les étiquettes des vêtements en magasin – à l’image du label énergétique sur les appareils d’électroménager – pour informer les consommateurs sans avoir besoin de l’appli.

Un avenir qui se passera d’ailleurs à Marseille. La majorité des 13 membres de l’équipe s’y installera en effet en mars prochain. « Avec le Covid, on a pris conscience qu’il est possible de travailler correctement sans être à Paris. J’espère que d’autres entreprises feront ce choix, à Marseille ou dans d’autres villes, pour décentraliser l’économie française », confie Rym Trabelsi.

 

 

note-vetement-clear-fashion-yukaAlors, conquise ?

C’est évident, le scan du code-barres est un vrai mieux pour Clear Fashion. Car prendre en photo l’étiquette de composition reste plus fastidieux : le résultat arrive au bout d’une dizaine de secondes ce qui est contraignant lorsqu’on veut scanner plusieurs articles. Mon utilisation restera néanmoins limitée puisque je n’achète plus de vêtements neufs depuis bientôt deux ans. Mais je la garde parmi mes applications car ma curiosité me poussera de temps en temps à vouloir en savoir plus sur certains articles, même de seconde main. Un peu comme Yuka : après avoir scanné tous nos produits habituels, on y a recours ponctuellement quand on se pose des questions sur un nouveau venu.

Je la conseille en tout cas aux « fashion victimes » afin qu’elles prennent conscience de l’impact social et environnemental du monde de la mode. En espérant que cela les pousse vers une consommation plus responsable. Car n’oublions pas que chacun d’entre nous, avec sa carte bleue, tient entre ses mains une réelle arme, à même d’amorcer ce changement ! ♦

 

Bonus 

  • Les 15 marques permettant le scan des codes-barres de leurs vêtements : Sessùn, Tape à l’Œil, Passionata, Madame porte la culotte, 1083, SKFK, Chantal Thomass, Asphalte, Picture Organic Clothing, La Gentle Factory, Darjeeling, Femilet, Ifa, Chantelle, Circle Sportswear.
  • Les financements de Clear Fashion – L’application a réalisé en mars 2019 une levée de fonds de 800 000 euros. Aucun de ces investisseurs n’est une marque de mode ou en lien avec d’après Rym Trabelsi.
  • À (re)lire : notre reportage sur Anti_Fashion, projet visant à rendre l’industrie de la mode responsable, en cliquant ici.

La mode est morte, vive la mode !