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Les enzymes, nouvelle arme contre les bactéries et les toxines chimiques

Par Hervé Vaudoit, le 2 février 2021

Journaliste

Elles sont développées par Gene & Green TK, une des start-up créées à l’IHU Méditerranée Infection. Ces solutions innovantes pour neutraliser microbes et armes chimiques ont éveillé l’intérêt du groupe français Proxis développement, qui vient de racheter 51% de la petite entreprise. Avec des perspectives commerciales très prometteuses.

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Pour les médecins et les scientifiques de l’IHU Méditerranée Infection, c’est déjà une victoire. En tout cas la reconnaissance de la qualité de leur travail et du potentiel commercial de leurs découvertes. Des huit start-up créées et incubées à l’IHU depuis sa création, il y a 10 ans, Gene & Green TK est en effet la première à faire l’objet d’un rachat par un groupe industriel prêt à en exploiter les brevets.

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David Daudé et Eric Chabrière, cofondateurs de Gene & Green TK

Le 18 janvier dernier, le groupe Proxis Développement, basé à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), a en effet annoncé l’acquisition de 51% du capital de cette jeune pousse fondée en 2013 par le Pr. Eric Chabrière et le Dr. Mikael Elias. Avec le soutien de la Direction Générale de l’Armement (DGA) du ministère de la Défense.

L’atout maître de Gene & Green TK ? Avoir développé, à partir des recherches conduites par les deux fondateurs, deux technologies innovantes de lutte antibactérienne et de décontamination chimique à base d’enzymes.

 

Empêcher les bactéries de communiquer entre elles…

L’originalité de la première de ces technologies, c’est de lutter contre les bactéries, non pas en les tuant, comme le font les antiseptiques et antibiotiques classiques, mais en les empêchant de communiquer entre elles et de se multiplier suffisamment pour devenir virulentes.

La plupart des bactéries utilisent en effet un système de communication, le quorum sensing – ou QS – pour synchroniser leur comportement en fonction de leur nombre dans un espace donné. Pour échanger les informations nécessaires à cette synchronisation, ces bactéries recourent à des molécules médiatrices, les auto-inducteurs (AI). Elles se signalent ainsi les unes aux autres et régulent l’expression de certains gènes, notamment ceux qui déterminent trois caractères bactériens problématiques pour l’homme. Il s’agit de la pathogénicité (en clair, la capacité d’une bactérie à provoquer une maladie), la formation de biofilm (cette fine pellicule gluante que les bactéries sécrètent pour se protéger des agressions extérieures) et le développement de résistances aux agents antibactériens.

 

…et de se multiplier
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Le quorum quenching (QQ) coupe les voies de communication des bactéries entre elles

Pour empêcher les bactéries d’exprimer l’un ou l’autre de ces caractères, voire les trois, les scientifiques marseillais ont imaginé une nouvelle stratégie. « Plutôt que de les tuer, on s’est demandé comment on pourrait les empêcher de communiquer », explique Eric Chabrière, expert en biologie structurale et chercheur renommé. C’est ainsi qu’ils ont mis au point une nouvelle méthode, appelée quorum quenching (QQ), pour couper les voies de communication des bactéries entre elles. Cela consiste à mettre en œuvre des molécules inhibitrices de QS et des enzymes qui dégradent les AI, sans toucher à la bactérie elle-même. « Puisqu’on ne les tue pas mais qu’on les empêche de communiquer, elles n’arrivent plus à se multiplier suffisamment pour devenir virulentes et ne développent pas ou peu de résistance, puisqu’on ne cherche pas à les tuer », détaille Eric Chabrière.

 

 

Neutraliser les composés ultra-toxiques

Les enzymes, nouvelle arme contre les bactéries et les toxines chimiques 2La seconde de ces technologies de rupture développées par Gene & Green TK s’appuie elle aussi sur une enzyme spécifique identifiée par les chercheurs de l’IHU. L’intérêt de cette enzyme, c’est qu’elle est capable de dégrader efficacement les organophosphorés, ces composés chimiques particulièrement toxiques qui entrent dans la composition de certains pesticides et d’agents neurotoxiques, notamment ceux utilisés comme arme de guerre. C’est le cas de l’ypérite, le tristement célèbre « gaz moutarde » qui a tué des milliers de soldats durant la Première Guerre mondiale. Mais aussi du novitchok, cet agent innervant développé en ex-Union soviétique et vraisemblablement utilisé dans la récente tentative d’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny.

Pour neutraliser ces composés ultra-toxiques, les scientifiques marseillais avaient besoin d’enzymes particulièrement résistantes aux hautes températures, aux solvants et aux détergents, mais aussi très stables, pour pouvoir être stockées à long terme en conservant toutes leurs propriétés.

 

Une poudre décontaminante…

Ces oiseaux rares, ils sont allés les chercher dans les milieux naturels extrêmes, notamment les eaux bouillantes des volcans, où des micro-organismes spécifiques les sécrètent naturellement. Le produit qu’ils en ont tiré se présente sous forme de poudre longue conservation. Il suffit de la réhydrater avant de l’utiliser directement sur les sols contaminés, sur les fruits et légumes traités aux pesticides. Ou pour décontaminer des vêtements, des objets ou une personne exposée à un organophosphoré. Pour décontaminer l’eau, le VesuTox (c’est son nom commercial) peut être ajouté aux systèmes de filtration des effluents toxiques. Il peut même être pulvérisé sur des équipements de protection (combinaisons, masques, gants, lunettes, bottes) afin d’empêcher toute contamination.

 

…mais aussi un anti-bactérien naturel

Pour ce qui concerne la lutte anti-bactérienne, les équipes de Gene & Green TK ont développé un autre produit, le VesuBact, doté des mêmes qualités qu’un antibiotique sans en avoir les inconvénients. Il peut ainsi être appliqué sur les cathéters médicaux, afin de prévenir la colonisation du tube par les bactéries et la sécrétion de biofilm, deux réactions susceptibles d’infecter un malade perfusé ou équipé d’une sonde urinaire. Ce biocide naturel peut aussi transformer un banal pansement en barrière infranchissable pour les microbes qui voudraient s’attaquer à une plaie. Sans compter ses applications dans d’autres domaines que la santé humaine. ♦

 

Bonus [pour les abonnés] Efficace dans l’industrie et l’aquaculture – Un nouveau propriétaire pour la start-up –

Efficace dans l’industrie et l’aquaculture – Dans l’industrie, par exemple, VesuBact permet de préserver les conduits d’adduction d’eau, de ventilation ou de climatisation de toute contamination, y compris par la légionelle. Mélangé à de la peinture pour bateau, il empêche les bactéries et les micro-organismes de s’accrocher sur la partie immergée de la coque, avec la même efficacité que les antifoulings chimiques bourrés de métaux lourds – ce qui intéresse beaucoup la DGA pour l’entretien des navires de la Marine Nationale.

Le VesuBact offre également une alternative aux antibiotiques et autres bactéricides utilisés en aquaculture, pour prévenir les maladies qui déciment régulièrement les populations de poissons des fermes aquacoles, en mer comme en eau douce.

Il s’avère aussi très efficace contre une partie des maladies touchant les productions de fruits, légumes et autres végétaux. Le tout en limitant le développement des résistances bactériennes et sans laisser de résidus nocifs dans l’environnement.

 

Changement de propriétaire et d’échelle

Le rachat de Gene & Green TK par le groupe Proxis Développement risque-t-il de mettre un terme aux recherches des scientifiques marseillais dans ce domaine ? « Non, assure David Daudé, Président de la petite entreprise et ingénieur en enzymologie. Pour nous, précise-t-il, rejoindre Proxis, c’est au contraire le déploiement et la mise sur le marché des produits issus de nos laboratoires en abordant l’industrialisation et les processus d’autorisations règlementaires. Cela nous permet également de valoriser ces solutions inédites substituant les biocides ou les pesticides chimiques, tout en conservant pleinement notre autonomie et notre capacité d’innovation. »

Au moment de signer cet accord de cession avec Proxis, Gene & Green TK comptait 7 salariés. Ce groupe réalise un chiffre d’affaires de 160 millions d’euros, dont 80% à l’export. Il emploie 560 collaborateurs dans 28 entreprises distinctes, possède 5 centres de recherche & développement et 7 usines de production en France et dans le monde.