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Chirurgie par les orifices naturels : une technique innovante

Par Marie Le Marois, le 4 février 2021

Journaliste

Le Dr Olivier Marpeau pratique la cœlioscopie par voie basse depuis octobre

Passer par les orifices naturels pour éviter les incisions de la peau est une technique innovante en plein développement depuis 2019. Pratiquée avec un optique et une caméra, cette chirurgie permet de réduire douleurs et complications postopératoires. J’ai assisté à une ablation de l’utérus en direct avec le Dr Olivier Marpeau, chirurgien-gynécologue à l’Hôpital Privé de Provence à Aix.

Écouter cet article en podcast – 8 minutes

 

Ce vendredi matin, dans la salle d’opération, infirmières et chirurgiens s’affairent. Ils préparent le matériel, disposent les instruments sur la table, cernent la zone à opérer d’une étoffe appelée ‘’champ opératoire stérile’’. Tandis qu’au centre trône la patiente, totalement endormie. Elle est sous la surveillance de l’anesthésiste qui guette sur écran le moindre problème – « saturation (en oxygène NDLR), problème cardiaque…», égrène Aurélie, l’infirmière.

 

Fibromes utérins

La femme plongée dans les nimbes de l’anesthésie générale « est âgée de 49 ans et souffre de fibromes », commente le Dr Marpeau d’une voix assurée et chaleureuse.

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Schéma avec fibromes dans la paroi de l’utérus

Ces tumeurs bénignes développées dans la paroi utérine lui provoquent saignements réguliers et douleurs. Il y avait bien un traitement efficace avec le Lutéran mais le médicament a été retiré du marché en raison d’un risque élevé de tumeur cérébrale bénigne. « Les saignements de la patiente ont repris ».

 

Ablation de l’utérus

Seule option dans son cas : l’hystérectomie, soit l’ablation de l’utérus. Le chirurgien va l’enlever entièrement, avec le col et les trompes de Fallope. « Elles ne servent plus à rien alors que certains types de cancers des ovaires viennent de ces conduits ». Il laisse toutefois les ovaires, « pour que la patiente puisse avoir ses hormones naturelles ». Et éviter donc une ménopause brutale, avec bouffées de chaleurs inévitables.

 

[lire notre article sur une autre technique chirurgicale innovante, un bras robotisé qui soigne l’épilepsie réfractaire]

 

80 000 hystérectomies en France chaque année

L’hystérectomie est l’une des interventions les plus pratiquées en chirurgie gynécologique, avec 80 000 femmes chaque année en France. Initialement, elle était réalisée par laparotomie, c’est-à-dire en ouvrant le ventre de la patiente. Puis des techniques moins invasives se sont développées : la chirurgie par voie vaginale, sans cicatrice, et la chirurgie par voie cœlioscopique. Cette technique consiste à introduire les instruments chirurgicaux à travers la paroi abdominale, par de petites incisions de moins d’un centimètre. Le chirurgien introduit une caméra par le nombril. Et insuffle de l’air dans la cavité abdominale pour créer un espace permettant une vision panoramique.

 

Limites des techniques chirurgicales initiales
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Cœlioscopie abdominale

Cependant, l’intervention par voie vaginale pose parfois problème car l’accès peut être difficile et la vision du chirurgien limitée. Dans le cadre d’une hystérectomie par cœlioscopie abdominale, par exemple, il visualise l’utérus et les différentes structures anatomiques, mais cette technique provoque « des douleurs quand même », parfois des « hématomes » et toujours des cicatrices. Sans compter qu’opérer par cette technique, installé à côté de la patiente avec la caméra en face, « n’est pas du tout ergonomique » pour le chirurgien.

 

Complications de l’hystérectomie

L’hystérectomie peut également entraîner des complications, « hémorragiques et urétérales ». Le chirurgien entrevoit difficilement les uretères séparés de l’utérus et du vagin par un simple tissu. Au nombre de deux, ces conduits permettent de transporter l’urine du rein à la vessie. Sans que personne ne s’en rende compte, ils peuvent être coupés ou abîmés. « Et là, catastrophe, 48 heures après, l’urine se répand dans le ventre et on est obligé de réopérer ».

 

[La cœlioscopie (cœlio = cavité abdominale et -scopie = regarder) est une technique chirurgicale pratiquée avec un endoscope . Cet instrument est composé d’un tube optique muni d’un système d’éclairage. Couplé à une caméra vidéo, il peut retransmettre l’image sur un écran]

 

Opération par le vagin avec la cœlioscopie

Chirurgie sans cicatrice en passant par les orifices naturels 5Le Dr Marpeau choisit d’opérer cette patiente par voie vaginale avec cœlioscopie : le v-NOTES. Ce quadragénaire, Aixois depuis douze ans, pratique cette nouvelle technique depuis le 21 octobre au sein de l’Hôpital Privé de Provence, après s’être formé au CH de Clermont-Ferrand. D’abord développé en Belgique, encore peu répandu en France, le v-NOTES (vaginal natural orifice transluminal endoscopic surger) combine les avantages de la voie vaginale (absence de cicatrice et réduction des douleurs postopératoires) et celles de la cœlioscopie (contrôle visuel, complications limitées).

 

Patient et chirurgien gagnants

Par conséquent, tout le monde est gagnant : les chirurgiens opèrent confortablement et passent moins de temps à opérer. Les patientes combinent « absence de cicatrice et récupération rapide ». Elles peuvent en effet sortir le soir même de l’hôpital, contre « quatre-cinq jours d’hospitalisation » avec les autres techniques chirurgicales.

 

Des instruments nommés ‘’Alexis’’ et ‘’Gel point’’
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Le Dr Olivier Marpeau (à gauche) et son aide opératoire avec l’écarteur Alexis (blanc) et Gel Point (rose).

Tout d’abord, après avoir introduit une sonde urinaire, le Dr Marpeau délivre petit à petit le col de l’utérus en ouvrant le vagin de manière circulaire et en le libérant de ses premières attaches.

Puis il installe un écarteur puissant appelé ‘’Alexis’’. En gros, c’est un anneau souple qui se déploie entre l’extérieur et l’intérieur du ventre. Il permet « d’écarter les tissus, d’installer le dispositif et de maintenir l’étanchéité ».

Sur cet écarteur, le chirurgien fixe un ‘’Gel point’’ (gaine de plastique et de silicone dotée de trois canaux opérateurs). Puis remplit le ventre avec un peu de gaz pour créer de l’espace.

 

Une caméra et deux instruments introduits par voie naturelle

Avec ce dispositif, le chirurgien peut introduire dans le corps la caméra et deux instruments. L’un est une pince de thermofusion de type voyant, c’est-à-dire qu’elle serre les tissus, les scelle grâce à la chaleur et les coupe sous l’action d’une gâchette. Il utilise l’autre pince en cas de problème, comme une coagulation à réaliser rapidement.

Avant que l’opération débute, l’aide opératoire remonte avec la caméra à l’intérieur du ventre, en passant en avant ou en arrière de l’utérus, le plus haut possible pour explorer toute la cavité abdominale (Marcelle a vu le foie de la patiente !).

 

Des fibromes très visibles
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Pendant l’exploration, le Dr Marpeau, regard fixé sur l’écran, vérifie qu’il n’y ait pas de kystes aux ovaires ou d’adhérences (tissus qui collent entre eux de façon anormale). Grâce à cette technique, il peut les visualiser et les traiter dans le même temps, « alors qu’en voie vaginale ‘’classique’’, sans cœlioscopie, je ne pourrais pas bien les voir ni les traiter facilement ».

Rien de tout cela pour cette patiente, mais les protubérances blanches que sont les fibromes se distinguent nettement. L’opération peut alors débuter. Progressivement, le chirurgien libère l’utérus de ses attaches puis l’extrait du corps. Il referme ensuite le vagin.

 

Contre-indications
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Ablation en direct de l’utérus

Le chirurgien peut réaliser la cœlioscopie par voie naturelle, même si l’utérus est trop gros. « J’utilise alors des techniques de ‘’morcellation’’ pour le sortir » par le vagin.

Elle n’est en revanche pas pratiquée en cas de cancer de l’utérus, car les cellules cancéreuses risqueraient de se disperser dans le corps. Dans ce cas sont pratiquées la laparotomie ou coelioscopie abdominale classique.

 

…et indications

Le v-NOTES est en revanche indiqué pour d’autres pathologies comme la chirurgie des ovaires et des trompes. Le Dr Marpeau, qui l’a déjà pratiqué une dizaine de fois, espère qu’il pourra l’être à terme pour traiter descente d’organes, cancer de l’utérus et endométriose.

 

45 minutes d’opération

L’opération a duré à peine 45 minutes. Après avoir passé une heure en salle de réveil, la patiente pourra boire dès son retour dans la chambre, puis dîner plus tard. Si elle n’habitait pas loin de l’hôpital, elle aurait pu le quitter le soir même. Le Dr Marpeau, lui, enchaîne les opérations, comme chaque vendredi. Au programme, incontinence urinaire et cancer du sein. ♦

 

[pour les lecteurs qui veulent assister à l’opération, voici le lien de la vidéo : img-7513_dEmEUfyG]

 

Bonus
  • Chirurgie sans cicatrice en passant par les orifices naturels 6Le v-NOTES s’inscrit dans le programme RAAC (récupération améliorée après chirurgie) prôné par le Haute Autorité de la Santé. C’est une approche de prise en charge globale permettant de « limiter l’impact sur le patient par le chirurgien, récupérer plus vite et limiter les complications », explique Olivier Marpeau.

 

  • La Chirurgie Endoscopique par les orifices naturels appliquée au cancer du rectum (ETAP ou TaTME) – l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille pilote un essai national évaluant cette nouvelle technique très prometteuse. Les premiers résultats seront disponibles début 2022.
  • Le fibrome utérin est la tumeur non cancéreuse la plus fréquente chez les femmes en âge de procréer. On estime qu’il touche de 20% à 40% des femmes caucasiennes. Et jusqu’à 50% des femmes afro-américaines de plus de 35 ans ont des fibromes utérins. Après 50 ans, cette proportion passe à 70 % chez les femmes caucasiennes. Et à 80% chez celles d’origine africaine. Cependant, plus de la moitié de ces fibromes n’entraînent aucun symptôme, il est donc difficile d’estimer le nombre exacte de femmes atteintes. En savoir plus sur Passeport Santé.