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Covid : quand la France snobe les savoir-faire de Marseille ! #1

Par Olivier Martocq, le 5 février 2021

Journaliste

Le camion qui sert de PC opérationnel à l'unité COMETE.

Depuis septembre, grâce à des prélèvements dans les eaux usées, les marins-pompiers de Marseille prévoient six jours à l’avance l’évolution locale de la pandémie de Covid. Le procédé qu’ils ont développé et affiné n’a pourtant pas servi de modèle au niveau national. Les autorités ont préféré investir trois millions d’euros dans un nouveau réseau, OBEPINE, qui a le plus grand mal à fournir des données. Cet exemple d’ostracisme est le premier volet de notre nouvelle série.

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Drôle de climat quand même ! « Vendre » aux médias nationaux des sujets mettant en avant le savoir-faire d’acteurs marseillais dans la gestion de la crise du Covid relève de la gageure. Chaque fois que je propose aux rédactions de Radio France ou du Figaro ce type de reportage, il faut que je développe, argumente, prouve. Il y a un « effet Raoult » qui dessert la ville, reconnaissent les scientifiques et les médecins. Tout comme les politiques à la tête de collectivités : Renaud Muselier, Martine Vassal ou encore Michèle Rubirola toujours en charge de la santé à la Mairie. Ces derniers se décrètent malgré les critiques du Ministère de la santé, unanimement solidaires du patron de l’IHU Marseille Méditerranée.

 

La super traque des marins-pompiers de Marseille
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« Un travail d’égoutier »

« La collecte est un travail d’égoutier », raconte le patron de l’unité COMETE (acronyme de COvid Marseille Environnemental Testing Expertise). À la différence de la quarantaine d’hommes du bataillon des marins-pompiers de Marseille détachés pour cette mission, Alexandre Lacoste n’est pas militaire mais ingénieur en chimie analytique. « Ça n’est pas spectaculaire. On récupère l’eau dans le collecteur, ensuite on l’analyse », commente-t-il.

À sa demande, les techniciens de la métropole ont dressé une cartographie de tous les bassins versants des quartiers de Marseille. Soit 37 points névralgiques, en plus du collecteur central situé sous le stade Vélodrome. Ce sont les relevés hebdomadaires de ces eaux usées qui permettent d’analyser la situation sanitaire quartier par quartier. Depuis le camion qui lui sert de PC opérationnel, Alexandre Lacoste montre sur un écran toute une série de cartes et de statistiques : « Nous pouvons suivre l’évolution du taux de concentration du virus et anticiper à six jours l’évolution de l’épidémie ».

 

Semaine 5, Marseille passe au rouge !

La courbe de la concentration hebdomadaire du virus dans les eaux usées s’est brusquement redressée la semaine dernière (25-31 janvier), passant de 695 à 2 271 Copies/ml. Sur la carte découpée par secteurs, le rouge a gagné une grande partie du centre-ville et des quartiers nord. Autant de données immédiatement transmises à l’Agence régionale de santé (ARS) qui peut ensuite relayer les informations auprès des services spécialisés.

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Le rouge a gagné une grande partie du centre-ville et les quartiers nord

« C’est compliqué et lourd en termes de logistique, reconnaît le contre-amiral Patrick Augier, le chef du bataillon. Mais avec ces prélèvements dans les eaux usées, on détecte tous les variants répertoriés aujourd’hui. » Les échantillons sont chaque jour envoyés dans divers laboratoires, à commencer par l’IHU Marseille Méditerranée. Charge aux scientifiques de séquencer, mettre au point les machines qui discriminent ou encore trouver des réactifs efficaces face à chaque nouvelle apparition de variant. Pour l’instant, aucune souche mutante n’a été détectée. En revanche, le variant anglais toucherait désormais près de 20% de la population dans certains quartiers.

 

OBEPINE boude ! Pau et le Morbihan viennent en formation !

« Cette cartographie en temps réel permet d’anticiper à six jours et de se focaliser sur les secteurs exposés », conclut l’amiral. Pour gagner la course contre la montre, l’option retenue en présence d’un cluster est d’analyser par cercles concentriques. Égouts du quartier, puis rues, puis immeubles. Dans les grandes cités qui comptent des centaines d’appartements, les marins-pompiers enchaînent alors avec des prélèvements de surfaces. Sur les rampes, les poignées de porte. Puis testent les habitants des étages où la Covid est présente. L’objectif est d’isoler les malades pour prévenir la contagion. « Il faut pouvoir intervenir immédiatement, c’est une guerre de mouvement », analyse le contre-amiral Augier. Agacé, mais retranché derrière le devoir de réserve.

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La colonne rouge qui représente la semaine 5 de 2021 augure d’une nouvelle flambée de Covid

 

Le millefeuille français, toujours indigeste

Alexandre Lacoste lui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat : « Notre modèle fonctionne mais en raison de l’empilement administratif français, des susceptibilités des différents ministères et administrations, notre pays s’est montré incapable de le généraliser »… De fait, le réseau OBEPINE (OBservatoire ÉPIdémiologique daNs les Eaux usées) désormais en charge de la surveillance épidémiologique du virus ne reconnaît toujours pas le savoir-faire déployé à Marseille. Ce consortium de recherche critique la méthode au motif que les prélèvements quotidiens et donc les variations au jour le jour ne seraient pas significatifs.

Seuls la ville de Pau, dont le maire François Bayrou a été convaincu, et le département du Morbihan ont envoyé des techniciens se former à Marseille. Renaud Muselier, qui a proposé à toutes les villes de la Région Sud qu’il préside de l’adopter, note que la plupart lui ont emboîté le pas. Et que les prévisions se sont toujours révélées justes ! ♦