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À la Belle de Mai, des habitants ligués contre la précarité

Par Maëva Danton, le 4 mars 2021

Journaliste

Trouver des solutions à des problèmes qu’ils partagent : c’est le moteur du Collectif des habitants organisés du 3ème arrondissement (ou CHO 3). Le 13 février dernier, il organisait une réunion pour passer de la gestion de l’urgence alimentaire à des solutions pérennes, qui s’appuieraient sur les savoir-faire de chacun.

Rendez-vous a été donné entre 9h et 10h ce samedi, dans une grande pièce de la Fraternité Belle de Mai aux allures de salle de classe. Sur des murs dont l’usure de la peinture trahit une pose ancienne, on trouve un tableau en ardoise accroché de travers, une affiche de dessin animé ainsi qu’une carte du monde.
Les habitants arrivent au compte-goutte. Beaucoup semblent se connaître. En témoignent les généreux check qui s’échangent.

Les quelques enfants venus avec leurs mères se regroupent autour d’une boîte de feutres ou courent d’un bout à l’autre de la pièce. Les adultes prennent des nouvelles les uns des autres. « Ça va les enfants ? Ton mari ? Toi-même ? ». Chacun apporte un petit quelque chose à manger ou boire. « Hum, ça c’est du thé comorien », se réjouit un homme d’une cinquantaine d’années à propos d’un breuvage dont les effluves épicés embaument la pièce.

 

 

Un groupe d’entraide pendant le premier confinement

Bichara est arrivée parmi les premiers, accompagnée de sa fille coiffée de longues nattes. Elle s’assied sur une chaise le temps que la petite vingtaine de participants arrive. Comme beaucoup, elle a rejoint le collectif lors du premier confinement. Après avoir reçu des colis alimentaires grâce au Groupe d’entraide créé par le CHO 3 (en lien avec la Fraternité Belle de mai et des associations caritatives), elle a eu envie d’aider à son tour.

« Ma mission était d’appeler pour savoir de quoi les habitants avaient besoin. Je leur demandais combien ils étaient à la maison, si les enfants avaient besoin de couches… Ensuite, d’autres personnes s’occupaient de trouver des solutions pour la nourriture en contactant des associations. Et il y avait un troisième groupe qui envoyait des mails à la mairie et aux autorités pour leur demander d’agir ».

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Amel, une des premières membres du Collectif @MGP

Car lorsque le premier confinement a sonné, il a frappé de plein fouet les habitants de l’arrondissement, et plus particulièrement de la Belle de Mai. Ici, beaucoup sont sans papier. Le confinement a marqué la fin du travail au noir, seul recours pour eux. Et ce, dans un contexte où les travailleurs sociaux ont été encore moins disponibles qu’à l’accoutumée.
À ce moment-là, le collectif n’avait qu’une année d’existence. « Au départ, on travaillait beaucoup sur le mal-logement, se rappelle Amel, une des premières à rejoindre le collectif en 2019. Puis L’An 02, une association d’éducation populaire (bonus), a propulsé le collectif avec des rencontres, des cafés… Il a introduit des méthodes qui permettent aux premiers concernés de s’exprimer ».

 

957 familles, une soixantaine de membres actifs

Cela a permis au CHO 3 de se structurer et de se donner une méthodologie de travail. Désormais, il représente 957 familles dont une soixantaine de membres actifs. Ceux-ci s’organisent au travers de campagnes, chacune liée à un thème, à une injustice subie par des habitants (bonus).
Une fois une injustice identifiée, on cherche à réunir un maximum de personnes dans la même situation, ce qui permet à chacun de ne plus se sentir seul. Puis on choisit une série de revendications que l’on transmet aux pouvoirs publics ou aux entreprises concernées (mairie, bailleur social, banque …).

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Après avoir identifié une injustice, le Collectif mène des actions pour interpeller les décideurs. @MGP

Si les habitants n’obtiennent pas ce qu’ils souhaitent, ils peuvent alors passer à d’autres formes d’actions ou d’interpellations. Toujours de manière non violente. Si possible drôle et médiatique, pour forcer la négociation.

 

Faire savoir aux habitants qu’ils ont des droits, même s’ils n’ont pas de papiers

Pour certains habitants, entrer au sein du CHO 3 a été l’occasion de découvrir qu’ils ont des droits. C’est le cas de Kamar-Eddine. La quarantaine éloquente, il est sans-papiers.

« J’étais fonctionnaire aux Comores, diplômé, mais j’avais un salaire misérable, raconte-t-il. Ici, je pensais que j’allais être respecté et intégré. Mais je n’ai trouvé que des blocages. J’ai donc dû me résoudre à faire des travaux non déclarés, dans des conditions très difficiles. J’étais incapable de dire non car ma famille m’attend, tout comme la grande famille aux Comores ». Il est désormais « un membre actif du CHO 3 ».

Dans ce cadre, il a bénéficié de formations pour s’informer sur ses droits. « J’ai appris que même si on accumule les impayés, on ne peut pas nous expulser comme cela de notre logement. On peut dire non, même si on n’a pas de papiers ». Prenant ainsi conscience de ses droits, il a même été jusqu’à se rendre à Paris pour participer à une grande manifestation réclamant la régularisation de tous les sans-papiers. « Moi qui avais peur de la police ! » s’amuse-t-il.

Cheminer vers l’autonomie

Comme d’autres, il a envie de voir le collectif aller vers l’autonomie. Si le groupe d’entraide s’est attelé à répondre à l’urgence l’an dernier, il vise à moyen terme à changer des choses dans la société.

Parmi ses combats du moment : l’accès à un compte bancaire pour tous ou encore l’obtention de tarifs de transports en commun réduits pour les bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (bonus). À plus longue échéance, l’ambition est de transformer la société au travers d’alternatives conçues par et pour les habitants. C’est là tout l’objet de la réunion de ce matin.
« Il y a énormément de familles en difficultés dans le quartier. Il y a peut-être des manières de trouver de l’argent et de créer nous-mêmes des ressources. D’autant que parmi nous, il y a des gens qui savent faire des tas de choses », annonce ainsi Sandra, bénévole de l’An 02 venue co-animer la réunion.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, les participants sont invités à se positionner le long d’un ruban scotché au sol. Ce ruban représente un thermomètre indiquant comment chacun se sent par rapport à sa situation familiale. « Zéro, cela veut dire que vous êtres très inquiets. Cent, c’est que vous êtes plein d’espoir », lancent les animateurs.
L’assemblée se disperse, pour se placer majoritairement entre zéro et cinquante, la zone de l’inquiétude. Kamar-Eddine se place à la dernière place. « Je suis très très très inquiet », assure-t-il.

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De nombreuses compétences à identifier @MGP

Mohamed, père de trois enfants qui porte une casquette de l’AS Monaco est en colère. « On est sept dans un T1. Je suis très déçu. On est partis de chez nous car on n’avait pas de liberté. On se disait que la France serait le pays de la fraternité. Mais à chaque fois qu’on demande quelque chose, on nous dit qu’on n’a pas le droit. Même pour un stage ! »
Parmi les rares à s’être placés entre 50 et 100, Yasmina : « Je suis en France depuis huit ans et demi. Parfois c’est dur mais je pense qu’ensemble, on va y arriver ! Inchallah ». Et l’assemblée de reprendre en chœur : « Inchallah ! »

 

Une palette de savoir-faire à valoriser

Après un premier atelier visant à mieux comprendre les difficultés de chacun et à en identifier les ressorts, les habitants sont invités à parler de leur parcours, de leurs savoir-faire et des compétences qu’ils aimeraient acquérir. Sandra, l’animatrice, note tout sur le tableau en ardoise.

Linda, toujours emmitouflée dans son grand manteau noir, parle arabe et peut proposer de la traduction. Elle aime aussi la coiffure et pourrait offrir ses services bénévolement. Taous a été professeure de mathématiques en Algérie. Malika a des souvenirs de broderie berbère qu’elle a appris au lycée. Madi sait cuisiner et il aimerait beaucoup apprendre à cultiver.

On trouve aussi des compétences en informatique, en garde d’enfants. « Moi, je sais écouter ! » déclare Amel. Plusieurs souhaiteraient pouvoir suivre des cours de français. Et une mère de famille rêverait de jouer du piano.

 

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Tour d’horizon des compétences et envies des habitants @MGP

 

Partage d’expérience pour trouver l’inspiration

Après ce moment mêlant mise en valeur de soi et rêveries, le collectif s’accorde une petite pause avant de se replacer en cercle. Pour terminer, quatre habitants prennent la parole pour témoigner d’expériences où des citoyens sont parvenus à créer leurs propres ressources. Zalata, une maman dont la tête et les épaules sont recouvertes d’un foulard vert vif, raconte ainsi comment elle a participé à une caisse de solidarité pour venir en aide à des familles sans papiers.

Sont aussi évoqués un système d’échanges de services ou encore un partenariat avec une ferme qui, contre des travaux saisonniers, fournit des paniers à des familles. De quoi inspirer les personnes en présence pour de futures actions collectives, sur la base des compétences identifiées ce matin.

 

Prochaine étape : l’action

L’heure de déjeuner approchant, les enfants commencent à s’impatienter. La formation touche à sa fin. Mais un homme a quelque chose à ajouter. C’est Kamar-Eddine. « J’ai préparé un hymne pour le CHO 3 », lance-t-il tout en se levant de sa chaise. Il propose d’en entonner un extrait. Rires de surprise dans l’assistance.
Le père de famille se concentre. Une main sur le cœur. L’autre en l’air. Poing levé. Ses yeux sont fermés. Quelques secondes et il se lance :

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Kamar-Eddine entonne un hymne rédigé par ses soins pour le Collectif @MGP

« Unité, la solidarité, Unissons toutes nos forces !
À cœur vaillant rien d’impossible
[…]
Le collectif est le meilleur chemin
De tous les jours aies le courage […] »

« Voilà, c’est un extrait » conclut-il non sans fierté, sa voix se fondant dans les applaudissements. « Vous m’avez remonté le moral ! » s’exclame Mohamed dont la colère semble s’être adoucie.

Ceux qui le pourront se retrouveront lors d’un prochain rendez-vous. Pour se préparer à l’action et peut-être s’ouvrir de nouvelles perspectives. Avec la solidarité comme mantra. ♦

 

*Tempo One, parrain de la rubrique « Solidarité », partage avec vous la lecture de cet article dans son intégralité *

 

Bonus [pour les abonnés]

Toutes les campagnes du CHO 3 – L’association l’an 02 – Les financements –

  • Les autres campagnes du collectif – Au-delà de la campagne visant à offrir aux familles une aide alimentaire ou à générer des ressources, le CHO 3 s’est engagé sur plusieurs autres thématiques. Parmi elles, la demande de tarifs préférentiels dans les transports (RTM) pour les personnes bénéficiaires de l’Aide médicale d’État, la lutte contre l’habitat indigne, ou encore une campagne assez large d’accès au droit.
    Amel, qui figure parmi les premiers membres du collectif, est quant à elle référente de la campagne Compte bancaire pour tous. « Des banques, La Banque postale notamment, refusent d’ouvrir des comptes aux personnes n’ayant pas de titre de séjour alors que cela est contraire à la loi », assure-t-elle. Par conséquent, beaucoup doivent se contenter d’un livret A, ce qui complique les transactions et la perception des aides sociales.

Pour y remédier, le collectif tente d’identifier les personnes concernées. Celles-ci sont invitées à réclamer à la banque un papier de refus. Le document est ensuite transmis à la Banque de France qui fait valoir les droits des habitants et somme une banque de leur ouvrir un compte bancaire.
Plusieurs ont déjà obtenu gain de cause. Le Collectif doit prochainement faire un point pour voir comment a évolué la situation.

 

  • L’An 02 – Installée dans le 3ème arrondissement de Marseille, cette association d’éducation populaire est intervenue auprès du CHO3 pour lui donner des outils favorisant l’expression des habitants. « L’An 02 a propulsé le collectif », assure Amel. Elle met à disposition des organisateurs chargés de centraliser l’information et de la communiquer auprès des habitants qu’elle forme par ailleurs.

 

  • Financements – Le CHO 3 étant un collectif informel, il doit s’appuyer sur l’association l’An 02 pour bénéficier de subventions publiques. Toutefois, le collectif se voulant apolitique, l’argent public n’est accepté qu’à condition que son indépendance soit préservée.