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Déchets : un casse-tête pour les îles

Par Agathe Perrier, le 9 mars 2021

Journaliste

Marseille vue depuis l'archipel du Frioul © Agathe Perrier

Les villes ont déjà dû mal à faire face à l’afflux de déchets et de pollutions diverses malgré leurs nombreux équipements – décharge, déchetterie, centre de tri, station d’épuration… Alors imaginez un peu le casse-tête de ceux qui gèrent des îles. Déchets ménagers, verts, ou issus de la pêche, eaux grises, matières fécales : à chacune ses bêtes noires. L’ONG Smilo a lancé des expérimentations dans cinq territoires pilotes à travers la Méditerranée afin d’y trouver des solutions. 

 

C’est un petit banc de terre d’à peine 1,9 km² – la superficie de Monaco environ – au large de Marseille. Un quartier à part entière qui porte le nom de son archipel : le Frioul. Une île paradisiaque… pourtant loin d’être exemplaire en matière de déchets. « Tout est problématique à ce sujet », résume sans détour Hervé Menchon, l’adjoint au maire de Marseille en charge, pour faire court, de la mer.

« Tout », c’est l’accumulation de déchets – ménagers, verts, résidus de travaux, etc. – qui ne peuvent être traités sur place et qui sont donc acheminés de l’île jusqu’au continent par bateaux (une compétence qui relève de la Métropole Aix-Marseille-Provence). Mais aussi les besoins faits en pleine nature par les touristes et vacanciers ou encore les eaux grises et usées qui ne passent pas par une station d’épuration… Bref, un condensé de difficultés qui n’est pas propre au Frioul mais partagé par bon nombre d’îles à travers le monde. Et que l’ONG Smilo cherche justement à résoudre. Elle a, dans ce but, lancé un programme dédié à la gestion durable des déchets en Méditerranée sur cinq territoires insulaires pilotes. Après une phase d’étude, des solutions ont été mises en œuvre et livrent leurs premiers résultats.

 

À chaque île sa problématique

Quel est le point commun entre les îles du Levant dans le Var, de Tavolara en Sardaigne, de Zlarin en Croatie, l’archipel des Lavezzi en Corse et celui des Kerkennah en Tunisie ? Tous sont des territoires insulaires. Et tous sont accompagnés par Smilo sur le casse-tête du déchet le plus problématique chez eux.

Les îles innovent pour mieux gérer leurs déchets 3
Photo avec légende : Les îles pilotes du programme de gestion durable des déchets de Smilo. Elles ne sont plus que cinq (bonus).

Sur l’île du Levant, l’accent a ainsi été mis sur les déchets verts, envoyés d’ordinaire sur le continent. La réflexion s’est alors orientée vers un traitement sur place. « Cela permet de supprimer le transport et d’obtenir du compost. Mais les brûler sur l’île engendre un risque d’émission de particules fines, voire d’incendie », résume Sylvain Petit, secrétaire exécutif de Smilo. Voilà pour le constat. Et les solutions ? L’ONG a aidé à l’installation sur l’île d’un broyeur à végétaux. Exit les inquiétudes liées au brûlage. L’outil est, en plus, destiné aussi bien aux services d’entretien qu’aux particuliers. Résultat, en un an et demi d’utilisation, il a permis d’éviter des émissions équivalant à 18 000 kilomètres parcourus en voiture.

Sur les autres îles du programme, les projets sont nettement moins aboutis. Démarrés en 2018, ils auraient dû se terminer en 2020. Mais la crise sanitaire est passée par là, ralentissant leur bon déroulé. Ils bénéficient donc d’une année supplémentaire.

 

 

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Dans l’archipel des Kerkennah, l’action de Smilo a porté sur les nasses de pêche © DR
Du fécalisme aux déchets plastiques

Dans les îles Lavezzi, c’est un problème d’ordre naturel qu’il est prévu de résoudre : le fécalisme à ciel ouvert. Loin d’être anecdotique dans cette réserve naturelle que visitent pas moins de 250 000 personnes par an. « On a réfléchi à différentes solutions comme des toilettes sèches ou des bateaux toilettes. Les partenaires ont cependant retenu le ramassage à la main, le plus simple et efficace à leurs yeux », expose Sylvain Petit. Ce n’est pas forcément ce qu’aurait retenu Smilo, mais cela témoigne en tout cas de la façon de procéder de l’ONG : en concertation avec les acteurs locaux. « On vient pour faciliter les échanges entre la société civile et les structures publiques et privées. Sans l’engagement des collectivités responsables, c’est difficile de mener une action. Il n’empêche que tous doivent y souscrire pour que ça fonctionne », ajoute le secrétaire général.

C’est ainsi que, sur l’archipel des Kerkennah, Smilo a réussi à mobiliser l’ensemble des acteurs tunisiens pour expérimenter une solution de collecte et valorisation des nasses de pêche, générant chaque année 600 tonnes de plastiques. « Notre travail a contribué à faire entrer les nasses dans le système de consigne de plastique déjà instauré en Tunisie. On va maintenant installer un broyeur pour traiter une partie du plastique directement sur l’île », glisse Sylvain Petit. Pour les îles de Tavalora et Zlarin, les missions de Smilo portent respectivement sur la limitation de l’impact de la plaisance et le traitement des biodéchets.

 

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L’île de Tavalora en Sardaigne © DR
Des bonnes pratiques d’île en île

Une fois les projets bouclés, Smilo pourra les promouvoir auprès des gestionnaires d’îles partout dans le monde. Car l’un des buts du programme est de faire émerger des « approches innovantes »qui pourront être répliquées sur d’autres espaces insulaires ou zones géographiques. Et pourquoi pas sur l’archipel du Frioul ? S’il n’en est pas question pour l’instant, l’ONG a en tout cas trouvé une oreille attentive auprès de la nouvelle municipalité. Cette dernière a adhéré à l’association le 5 octobre, par délibération du Conseil municipal. Objectif : obtenir le label « île durable », décrit par Smilo comme une « reconnaissance internationale des petites îles dont les efforts convergent vers une meilleure gestion et préservation des ressources naturelles ».

La Ville de Marseille s’est en parallèle lancée dans l’élaboration d’une « feuille de route » globale concernant le Frioul. Les services du patrimoine, du tourisme, de l’agriculture urbaine, de l’urbanisme et de la culture y travaillent de concert. Et un volet sur la gestion des déchets, pourtant compétence de la Métropole, y est aussi inclus. « J’ai proposé une réflexion sur la méthanisation des déchets, ceux des restaurants par exemple. L’énergie produite pourrait servir à alimenter l’île en électricité, la rendant autonome sur ce point », glisse Hervé Menchon. Une piste parmi d’autres, déjà expérimentée ailleurs en France. Un volant de bonnes pratiques à étendre progressivement au reste du monde. ♦

 

Bonus
  • Plus d’1,2 million d’euros de budget – Le programme « Gestion durable des déchets en Méditerranée » de Smilo est financé par la Fondation Prince Albert 2 de Monaco, le Conservatoire du littoral, l’Ademe Paca et l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.
  • De six à cinq îles pilotes – Smilo avait à l’origine intégré l’île de Sazani en Albanie à son programme. Là-bas se trouvent de nombreux déchets liés à l’ancienne présence militaire. Ce volet n’a finalement pas pu être retenu, bien que son nom apparaisse toujours sur la carte du projet.
  • Les autres actions de Smilo – Au-delà de la seule gestion des déchets, l’ONG a pour but d’accompagner les petites îles de moins de 150 km² qui souhaitent s’engager vers une gestion territoriale plus durable. Son champ d’action concerne l’eau et l’assainissement, l’énergie, la biodiversité, les paysages et patrimoines insulaires et donc les déchets. L’association a été créée en 2016 par le Conservatoire du Littoral.
  • Quelques mots sur le Frioul – L’archipel du Frioul comprend quatre îles (Pomègues, Ratonneau, If et l’îlot Tiboulen). Il s’agit d’un des 111 quartiers de Marseille, rattaché au 7e arrondissement. Environ 150 personnes y vivent à l’année.