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Dans le Var, moutons et vignes font bon ménage

Par Frédérique Hermine, le 15 mars 2021

Journaliste

Dans le Var, de plus en plus de viticulteurs font appel à des bergers pour qu’ils viennent faire pâturer leurs moutons entre les vignes durant l’hiver. Un échange de bons procédés à même de faire renaître une économie parallèle. Qui participe aussi à l’amélioration de la biodiversité.

 

Ils avaient quasiment disparu dans le dernier quart du XXe siècle avec l’utilisation peu raisonnée des produits phytosanitaires, des engrais chimiques et des herbicides. On dénombrait pourtant 170 000 brebis dans le Var dans les années 50. Dans une économie globale, les bergeries fournissaient alors l’engrais pour les vignobles et les oliveraies.

 

Une économie locale informelle
Dessine-moi des moutons… dans les vignes 2
@CERPAM

Vingt ans plus tard, les moutons n’étaient plus que 70 000, n’ayant plus grand-chose à brouter dans des vignobles bien propres où aucun brin d’herbe ne devait plus dépasser. Le vitipastoralisme était carrément redevenu anecdotique sur le département au début de ce siècle. « Hormis un petit noyau de viticulteurs qui continuaient à travailler avec quelques éleveurs depuis des décennies, la relation s’était délitée avec le développement d’une viticulture intensive et le recours facile aux désherbants », souligne Garance Marcantoni, en charge du dossier à la Chambre d’Agriculture du Var.

« Le vitipastoralisme fait pourtant partie de notre histoire et d’une économie locale informelle relevant surtout d’un accord oral entre éleveur et viticulteur, reconnaît-elle. La pression foncière et l’urbanisation ont aussi freiné la pratique car les troupeaux qui descendaient des Alpes et du nord du Var ne trouvaient plus d’hébergements sur place. Par ailleurs, les néo-vignerons n’avaient pas l’habitude de ces pratiques. Ils estimaient en outre qu’il était difficile de trouver des éleveurs ‘sérieux’. Certains débordements dans les vignes n’avaient pas aidé ». Autant de freins qui ont limité la pratique pendant plusieurs décennies.

 

Parcelles à l’étude

Ces dernières années, la diminution des herbicides, l’abandon du recours aux engrais organiques (pas seulement dans les vignobles bio) et le retour à l’enherbement ont sonné le retour des brebis.

Dessine-moi des moutons… dans les vignes
©Cerpam

Le Cerpam (Centre d’Études et de Réalisation Pastorales Alpes-Méditerranée), en collaboration avec la Chambre d’Agriculture du Var, se lance alors dans une étude sur les pratiques du vitipastoralisme. Il faut en estimer l’impact, en particulier sur les sols, la qualité des raisins et les rendements, la vigueur des vignes, leur sensibilité aux maladies et leur résistance à la sécheresse.

Une vingtaine de parcelles sont étudiées à la loupe sur deux terroirs différents du Centre Var et de la Plaine des Maures sur le littoral. « Les paramètres pédologiques et météorologiques étaient très variables. Mais il est apparu que la meilleure combinaison était celle d’un enherbement naturel avec des pâturages successifs sur plusieurs années, commente Alice Bosch ingénieure pastoraliste au Cerpam. Le fait de racler l’herbe et le léger piétinement des brebis favorisent une flore de qualité, notamment l’apparition de légumineuses comme le trèfle riche en azote. Cela enrichit la biodiversité avec davantage d’insectes et donc en conséquence d’oiseaux, de chauve-souris… ».

 

 

Pour l’éleveur, une ressource gratuite et écoresponsable

L’étude a démontré que le pâturage des vignes en hiver pouvait représenter plus de 50% de l’alimentation du troupeau sur la période et même 20% de la ration annuelle des brebis. Une ressource gratuite et écoresponsable pour l’éleveur. Quant aux vignerons, ils y gagnent des passages de tracteurs en moins, un amendement de leurs vignes, une diminution des intrants et fertilisants, et même la suppression des herbicides. D’où une recrudescence des demandes ces dernières années. Et une organisation des vignerons entre eux pour pouvoir offrir suffisamment de surfaces à brouter sur un périmètre restreint. « C’est clairement un système gagnant-gagnant », estime Garance Marcantoni.

 

Fertilisation organique

Quelques conditions préalables sont nécessaires à l’arrivée d’un troupeau dans un vignoble. À commencer par la mise à disposition, non seulement de parcelles de vignes, mais aussi d’une mosaïque paysagère environnante en bois, haies, oliveraies… En particulier si l’éleveur n’a pas de structure d’hébergement à proximité. « Elle est primordiale pour le repli des bêtes en cas de météo défavorable, explique Julien Castell du domaine Castell-Reynoard à Bandol. Car il est indispensable de sortir les moutons des parcelles s’il pleut, pour éviter le tassement des sols. Sinon ils font de la poterie, surtout sur des sols argileux. L’idée est de toute façon de ne pas les laisser trop longtemps au même endroit ».

Dessine-moi des moutons… dans les vignes 3
© Domaine Castell-Reynoard

Les viticulteurs doivent, bien sûr, ne pas utiliser de produits chimiques dans leurs vignes. Et, après la taille, limiter les sarments laissés au sol sous peine de les voir éparpiller. « La vigne est plus fertile avec cet apport de matières organiques, même si ça ne suffit pas à remplacer complètement les engrais de printemps. Et à condition surtout de sortir les brebis des vignes avant fin mars car elles adorent les bourgeons », complète Fabien Brotons du Clos de l’Ours, à Cotignac.

 

Consulter les bergers

Les éleveurs travaillent en majorité avec des filets mobiles, un tiers gardent les brebis et les autres utilisent les deux méthodes. Les bonnes pratiques passent par un accord préalable entre les parties pour définir l’organisation, la durée et les conditions requises. « L’idéal est de discuter avec les bergers en amont pour savoir par exemple quoi planter quand ce n’est pas un enherbement naturel, insiste Jean-Pierre Rolland, chef de culture des Domaines Bunan, à Bandol. Les moutons n’aiment pas l’herbe trop grasse et les vignerons ne veulent pas d’herbes trop résistantes qui concurrencent les vignes l’été. L’idéal est un mélange de légumineuses et de céréales. »

Dessine-moi des moutons… dans les vignes 4
@ Cerpam

« Depuis que les moutons viennent dans les vignes, poursuit-il, nous avons vraiment vu les sols changer ; ils sont plus aérés, plus vivants et plus faciles à travailler. On est loin du vignoble à nu où, pendant cinquante ans, il ne fallait aucune herbe entre les rangs ».

Au dernier recensement en 2019, on comptabilisait dans le Var 4 500 hectares pâturés à 85% en enherbement naturel avec un potentiel de 35 000 hectares de vignes et d’oliviers pour 7 millions de « journées-brebis ». De quoi nourrir au moins 40 000 bêtes de novembre à mars. La demande des viticulteurs ne cessant de croître, le vitipastoralisme pourrait de nouveau être en vogue. ♦