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Série kilos émotionnels #2 : l’expérience de Chloé

Par Marie Le Marois, le 19 mars 2021

Journaliste

Chloé Hollings @Sarah Robin

De 9 à 22 ans, Chloé, 32 ans, comédienne, auteur de ‘’Fuck les régimes’’, a malmené son corps. Puis, accompagnée par Elodie Sueur-Monsenert*, photo-thérapeute, elle s’est émancipée de ses démons. Et de ses kilos.

« J’ai passé mon temps à contraindre mon corps de 9 à 22 ans. Jusqu’à ce que je réalise que mes efforts étaient vains : je ne cessais de grossir. En stoppant mes régimes, le mal-être que j’avais étouffé pendant des années a débordé. Sucré, salé, j’ai englouti tout ce qui s’offrait à moi.

Ce lâcher-prise, Élodie Sueur-Monsenert, une photographe rencontrée sur un de mes tournages, l’a accompagné. À travers son appareil photo, j’ai confronté mes peurs et exploré mon corps dénudé. Je l’ai vu sans filtre et perçu ma profonde tristesse. J’ai observé tout ce que je détestais chez moi. Ventre, cellulite, seins, hanches, cuisses. »

 

Féminité associée à faiblesse et douleur
Série kilos émotionnels #2 : l'expérience de Chloé
Chloé persiste à mettre son jean taille 36 alors qu’elle fait une taille 42. @Elodie Sueur-Monsenert

« Le fait de vouloir rester une petite fille m’est apparu clairement. Être une femme était pour moi synonyme de douleur et faiblesse. J’ai toujours connu ma mère en lutte ou assommée par les événements. Tout le temps au régime. Elle me disait que l’obésité courrait dans nos gênes. Que, petite, elle était grosse. Que sa mère la traitait de boudin. »

 

Image transgénérationnelle erronée

« Avec la kinésiologie, j’ai compris que cette image erronée de la féminité était transgénérationnelle. Toutes les femmes depuis mon arrière-grand-mère ont eu des maris dominants, perdu des enfants in utero ou en bas âge, renoncé à leur bien-être et vécu malheureuses. Elles sont mortes d’un cancer du sein, de l’utérus, en couche… J’ai beaucoup lu pendant cette période pour comprendre. Me comprendre : psychothérapie comportementale, psychanalyse, anatomie féminine et masculine, sexualité… »

 

 

Exercices de réappropriation du corps

« Les livres de la psychologue anglaise Susie Orbach m’ont particulièrement aidée. Grâce à ses exercices de réappropriation du corps, j’ai compris que si j’étais systématiquement redevenue grosse malgré mes régimes, ce n’était pas parce que je mangeais trop mais parce que ça m’arrangeait. Le bénéfice ? M’autoriser à aller mal, abandonner le rôle de la fille parfaite, joviale, toujours là pour les autres. Plus besoin de briller. J’ai compris que ma couche de protection me permettait de me rendre invisible et, paradoxalement, d’exister. De prendre ma place. »

 

Le ventre, seul contrôle

« D’où venait ce manque de confiance en moi ? J’ai grandi dans l’ombre d’un frère en grande souffrance psychologique et sur un socle instable. Mes parents ont divorcé quand j’avais 9 ans et imposé deux habitations, deux chambres, deux moitiés de semaine. Pendant cette période, j’ai commencé à contrôler mon ventre alors que je ne contrôlais plus rien autour de moi (les deux maisons, la séparation, etc.) »

 

Apprendre à aimer ses courbes
@Elodie Sueur-Monsenert, photo-thérapeute

« Au fil des mois, accompagnée du regard bienveillant de la photographe, j’ai appris à aimer mes courbes. Quelle séance mémorable lorsqu’Élodie m’a demandé de dessiner au rouge à lèvres des mots doux sur les parties de mon corps que j’insultais habituellement : ‘’I Love You’’ sur mes bourrelets, ‘’Sexy’’ sur ma cuisse, ‘’unique’’ sur ma cellulite, des étoiles, des fleurs, des coeurs.

J’ai ressenti une profonde émotion, je suis passée des larmes au fou rire. Ce fut un vrai moment de plaisir, un acte symbolique qui m’a totalement libérée. Oui, je me sentais belle et sexy. »

 

Différence entre la vraie faim et l’envie

« J’ai rangé ma balance et les vêtements trop serrés, et fait le pas d’acheter du 42. Comme je me sentais bien ! Le chant et la biodanza ont contribué à relâcher mon ventre rentré en permanence, ma poitrine étouffée et fait jaillir la puissance que j’avais contenue en moi. En retrouvant le plaisir de vivre, j’ai découvert le plaisir de manger, de choisir les aliments qui me faisaient saliver, de déguster en conscience. J’ai fait la différence entre la vraie faim et l’envie. Et d’accepter les écarts. »

 

Écouter ses sensations

« J’ai appris à écouter mes sensations et mes besoins, à avoir confiance en mon corps. Il se régule tout seul. Manger du chocolat pour me réconforter, c’est un choix que je fais. Plus un évitement. Je ne suis plus en train d’essayer d’étouffer des sentiments difficiles à digérer. Neuf mois après avoir arrêté les régimes, je me suis aperçue que j’avais fondu par le biais d’un jean. J’avais demandé fièrement une taille 42 mais la vendeuse m’a affirmé que je faisais plutôt 40 voire 38. »

J’ai eu du mal à accepter cette nouvelle, j’avais tellement travaillé à aimer mon corps. À aimer être grosse. En plus, c’était illogique, je mangeais à volonté. J’ai fondu en larme, pleuré cette petite fille que j’avais malmenée pendant toutes ces années. Et accepté la réalité : j’avais trouvé la place d’être moi, en tant que personne et femme. »

 

Voyage initiatique

« Je n’ai plus peur de ma féminité, ma sensualité et ma sexualité. Je n’ai plus peur des hommes, d’être désirée mais aussi de désirer. Plus peur de dire non, de mettre des limites entre moi et les autres, ces limites qui ont été si fluctuantes avec mon poids yoyo. J’ai l’impression d’avoir vécu un voyage initiatique au bout duquel je suis devenue adulte.

J’ai la sensation d’avoir rompu la chaîne et, surtout, d’être rentrée dans ma vie. En me débarrassant de ce qui ne m’appartenait pas, je me suis installée dans mon poids ». ♦

 

*Elodie Sueur-Monsenert consulte en cabinet ou en visioconférence. Elle est par ailleurs formatrice de la méthode photo-thérapie corporelle. Voir le reste des sublimes photos  »Chloé prend le large » ici

 

Bonus

« Je suis née à 46 ans. L’année où j’ai rencontré ma psy. Avant, j’étais l’ombre de moi-même mais je ne le savais pas. Mon beau-père a abusé de moi pendant des années et je m’étais convaincue que ce n’était pas si grave. Ma carapace s’est fissurée à la mort de mon père en 2011. C’était un protecteur inconscient, même s’il ne m’a jamais protégée.

Colère. À partir de ce moment-là, je me suis sentie mal et j’ai pris beaucoup de kilos, en plus de ceux que j’avais déjà. J’ai consulté une nutritionniste, sans succès. En 2014, j’ai fait le pas de consulter une thérapeute psycho-corporelle car je ressentais une énorme colère en moi que je n’arrivais pas à gérer. Elle m’a permis de prendre du recul avec mon histoire. Et d’en réaliser l’horreur.

Kilos protecteurs. J’ai recontacté cette petite fille de 5-6 ans jetée sur le lit qui se débattait et hurlait. Revisité toutes ces fois où, ado, il rentrait dans ma chambre la nuit. Et compris que mes kilos m’avaient servi de protection pour ne pas souffrir et remplir un vide. Au bout de six mois de thérapie, j’en avais déjà perdu une dizaine.

Je me suis délestée de  »ma merde ». En janvier, mon mal-être a ressurgi et j’ai regrossi. Il me reste des choses à régler en thérapie. Mais je suis en train de sortir de ma solitude. J’ai pris conscience de ma force intérieure et me projette, enfin. Je viens d’acheter une maison que j’aménage. Je recrée ma sécurité, mon nid. Le premier. »

*Témoignages recueillis dans le cadre d’une enquête pour Psychologie Magazine