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Haïm Bendao, rabbin des quartiers Nord

Par Maëva Danton, le 23 mars 2021

Journaliste

Soirée match de foot pour Haïm (à gauche) et ses amis de toutes religions @DR

Matchs de football interreligieux, repas partagés, hébergement social … Rabbin dans le 14ème arrondissement de Marseille, Haïm Bendao participe à toute une série d’actions sociales. Avec la conviction que la religion ne doit pas se comprendre comme une série de dogmes, mais comme un moyen de mieux vivre, ensemble.

 

« Tu vois, tu as bien fait de me rappeler le rendez-vous une heure avant. J’avais complètement oublié », dit Haïm Bendao en ouvrant, vêtu d’une veste de sport noire, le portail de la modeste synagogue Ohel Yaacov où il officie depuis 1997.
Il a le tutoiement facile. Le parler franc. Et une gouaille toute marseillaise bien qu’il soit originaire de région parisienne. « Je suis quelqu’un de très désorganisé. C’est pour ça que je me suis marié », s’amuse ce père de sept enfants tout en préparant un café avec sa machine à dosette apparemment capricieuse. « Vous voulez une pomme ? Un biscuit ? » Puis il en revient à son manque d’organisation. « Si j’avais mieux structuré ma vie, j’aurais bien réussi ». Il soupire. « Je fais plein d’actions mais je ne sais pas les vendre ». Le café prêt, il s’assied à une table en plastique gris, juste à côté des sièges en bois où prient les fidèles.

 

Une petite communauté

« Cette synagogue s’inscrit dans le rite égyptien. Elle a été fondée en 1957 au moment de l’évacuation d’Égypte sous Gamal Abdel Nasser ».
Au départ, elle accueille un grand nombre de croyants. « Mais dans le rite égyptien qui a une vision assez ouverte de la Loi, on transmet assez peu de pratiques religieuses. On est plus dans la transmission d’une identité. De telle sorte qu’on n’a pas créé de pratiquants fidèles ».
Dans le même temps, le quartier se paupérise et ceux qui réussissent finissent par le quitter. « Aujourd’hui, on est une douzaine en semaine et environ 35 pour shabbat. Tout le monde ne ressent pas la nécessité de pousser les portes d’une synagogue. Trois heures de prière le samedi, c’est long ! » Alors pour veiller sur ses fidèles, la synagogue n’hésite pas à se déplacer chez eux.

 

« Si tu ne viens pas à la synagogue, la synagogue viendra à toi »

« Il y a beaucoup de problèmes de divorces, de troubles du comportement ou de drogue. Ce n’est pas spécifique au 14eme arrondissement. Même dans les beaux quartiers on prend de la came, sauf que là-bas c’est perçu comme un signe de réussite ».
La différence réside plutôt dans le niveau de vie des populations et dans le manque de lieux capables de créer du lien. « Avant, on avait quelque chose que j’adorais qui s’appelait la police de proximité. Aujourd’hui, on est seulement dans le répressif ». Il entend, à son échelle, combler ce vide.

« On va chez les gens, on parle avec eux, on les écoute. On leur distribue des colis. Et parfois, on sort le petit Sefer Torah [une copie manuscrite du livre sacré, ndlr] et on fait la synagogue à la maison ». Autant de manières de rompre l’isolement et d’aider des personnes à s’extirper de leur mal-être. « Pas en leur récitant des dogmes mais en réfléchissant avec eux. Finalement, je me sens plus acteur social que rabbin ».

 

Une enfance auprès d’une famille adoptive chrétienne

Ce goût de l’autre. Cette envie d’aider. Cela l’anime, à l’en croire, depuis toujours. « J’ai grandi dans le 93, à Rosny-sous-Bois. Ça craignait pas mal. Il n’y avait pas trop de confrontations religieuses. Les trafics de drogues étaient encore discrets. Mais il y avait pas mal de petite délinquance avec violence ».
Né d’un père égyptien et d’une mère tunisienne, Haïm Bendao est accueilli à un an par une autre famille qui habite la même coursive. « La mère s’appelait Madame Ruiz. Elle était d’origine espagnole. Ils étaient chrétiens et allaient à la messe. Sur la commode, il y avait un petit Jésus. Je n’aurais pas parié un kopeck que je finirais rabbin ! », dit-il en écarquillant les yeux, pensif.

 

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De gauche à droite, le prêtre Nicolas Lubrano, Haïm Bendao et l’imam Smaïn Bendjilali @DR

 

Une interprétation critique de la Torah

Pourtant à onze ans, il rejoint une yeshiva, un centre d’étude de la Torah. « C’est peut-être de la psychologie de comptoir mais je crois que j’avais besoin de retrouver une famille ». Il découvre alors les textes sacrés, non sans un certain scepticisme. « On travaillait sur les textes bruts où on parlait de goys [nom qualifiant les non-juifs, ndlr]. Ça, ça ne rentrait pas pour moi. J’ai vécu avec des chrétiens et je sais que nous sommes tous pareils. Ils nous disaient aussi que manger du cochon rend malade alors que j’en ai mangé toute mon enfance ! ».
Il en tire la conviction qu’il faut interpréter les textes en les confrontant à leur époque, aux réalités de la société. Que la religion ne doit pas servir à manier « le bâton et la carotte », mais plutôt à « faire le bien autour de soi ».
Ce message, il le diffuse en rejoignant la mouvance loubavitch. Celle-ci se donne une mission de transmettre la parole religieuse aux quatre coins du monde. « Je suis allé à Tahiti, à Los Angeles, à Porto Rico… », égraine celui qui, dans le même temps, se passionne pour l’enseignement. La série de voyages se poursuit ensuite à Brooklyn et au Canada lorsqu’il passe son diplôme de rabbin.

 

Boris Cyrulnik, Françoise Dolto, Primo Levi

En 1997, il débarque à Marseille. Coup de cœur. « J’aime la joie de vivre ici. Tu prends ta bagnole, tu vas au Vieux-Port en passant sous le tunnel, tu vois tous ces bateaux … Et l’OM ! C’est magique. Mes enfants et moi, on en est dingues ! »
Mais les problématiques auxquelles font face les habitants du 14e arrondissement sont telles qu’il se sent démuni. Il s’engage alors dans une série de formations en lien avec le social, du Bafa à un diplôme d’éducateur spécialisé.
Il se délecte également des savoirs piochés au hasard des bouquins qu’il dévore. Boris Cyrulnik, Idriss Aberkame, Françoise Dolto, Primo Levi … « J’avais trente ans quand j’ai découvert ce qu’était la Shoah. Ça a été une claque dans ma gueule. Où était Dieu à ce moment-là ?».

Avec les années, il se voit proposer d’autres fonctions, hors du quartier. « On m’a proposé la communauté d’Aix-en-Provence. Mais j’ai demandé : On fait comment avec ceux d’ici ? Et puis les costumes-cravate, les dîners avec le Préfet : très peu pour moi ! ». Il n’imagine pas quitter ce quartier populaire plein d’altruisme, de simplicité et de franc-parler.

Acteur social

Surtout, il se sent utile ici. En haut de la synagogue, il a installé une chambre avec douche pour faire de l’hébergement social. « Quand vous voyez un jeune drogué qui finit par s’en sortir, c’est magnifique. C’est ça la vraie résurrection des corps ! »

Pendant quelques années, il travaille comme aumônier dans des maisons d’arrêt. « Je rendais service à tout le monde. On se tapait des barres de rire. On faisait aussi des réunions à plusieurs avec un prêtre et un imam ».

Construire des passerelles entre religions, il adore ça. « Pas parce qu’il y a des problèmes, assure-t-il, mais parce qu’on en a envie ». Il se rend ainsi très régulièrement à la mosquée des Bleuets, dans le 13e arrondissement, où il échange avec des musulmans. « Une fois on les a accueillis ici, avec tous leurs jeunes. On leur a montré la Torah et ils ont fait la prière à l’étage ».

Pour créer du lien entre religions, il mise aussi beaucoup sur le sport. « On fait des matchs entre adultes. Mais pas mosquée contre synagogue. On se mélange, on fait plein de choses ludiques ensemble. On regarde des matchs, on fume des chichas. Dans ces moments, on n’est pas toujours dans le contrôle, ça permet de mieux se connaître».

 

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Prêtre, imam et rabbin face aux élèves du lycée Paul Melizan, pour parler espoir, pardon et haine. @DR

 

Dialoguer pour casser les préjugés

Avec sa bande tri-religieuse, il se rend aussi dans des lycées pour débattre. « On a fait des interventions sur Samuel Paty. C’était aussi décevant que magnifique ». S’il se sent en sécurité et pense que les accusations d’antisémitisme visant ces quartiers sont infondées, il a pu ponctuellement, constater quelques regards haineux. « Mais on discute et au bout d’une demi-heure, l’atmosphère se détend ».

Il déplore une ambiance propice à la peur. « Une fois, on a fait un discours sur un ring au stade Vallier avec l’imam des Bleuets, à l’occasion d’une compétition de boxe. Des journalistes étaient là mais personne n’a parlé de ce discours ». Alors que la moindre tension est selon lui montée en épingle.

Qu’à cela ne tienne. Haïm Bendao entend poursuivre le travail de fourmi entamé depuis des années avec ses confrères d’autres religions. « À une époque, on faisait des actions flash où les politiques venaient et faisaient des discours d’une heure. Je n’en ai plus trop envie ». Il préfère à l’éphémère le temps long et les liens qui s’y tissent. Durables. Solides. À même de permettre à chacun de donner et recevoir un coup de main au besoin, par-delà les différences. Et peut-être, ne serait-ce qu’à petite échelle, de balayer les peurs. ♦

 

* Le FRAC Provence parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus
  • OM et religions – Haïm Bendao apparaît en compagnie de l’imam Smaïn Bendjilali et du prêtre Nicolas Lubrano dans le documentaire L’OM sans confession. Réalisé par l’Olympique de Marseille et écrit par le journaliste Philippe Pujol, ce film de 20 minutes montre comment le football est vecteur de lien social. Capable de faire vibrer ensemble des personnes de milieux sociaux et de religions différentes.