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Street art à Roubaix : culture pour tous dans la rue

Par Régis Verley, le 6 avril 2021

Journaliste

Photo @Philippe Devulder

Roubaix, la ville « aux mille cheminées », a conservé de son passé industriel une multitude de friches, vastes murailles de briques noircies par le temps. Ici, les murs, les pignons, les fenêtres murées ne manquent pas. Normal que les graffeurs amateurs, souvent munis d’une simple bombe de peinture, en aient fait leur terrain de jeu. Normal d’en profiter pour favoriser le développement d’une culture urbaine adaptée au site. Et en même temps de modifier l’image d’une ville plus réputée pour ses problèmes sociaux que pour la créativité de ses citoyens.

 

Street art à Roubaix : la culture pour tous dans la rue 6
Photo @Philippe Devulder

De cette expérience est née l’idée de transformer la ville en un musée du « street art » à ciel ouvert. Où chaque mur pourrait porter une image. C’est ce que propose aujourd’hui l’Office de tourisme de Roubaix, au fil d’une centaine d’œuvres remarquables. Avec un circuit qui vaut le déplacement. Constance Vasse-Krebs, la responsable communication, évoque un tour de la ville réservant aux amateurs leurs meilleures découvertes. Elles sont nombreuses, depuis le portrait de Camille Claudel sur un mur proche de l’hôtel de ville, jusqu’aux fresques du collectif « des friches et des lettres ».

 

Des artistes connus comme Jef Aerosol ou Psyckose
Street art à Roubaix : la culture pour tous dans la rue
Photo @Philippe Devulder

Il en est de plus célèbres que d’autres. Car les murs de Roubaix ont attiré plusieurs des artistes reconnus dans le milieu « street art », ou en passe de le devenir : tels Nasty, Jef Aerosol, JonOne, Psyckose, Tarek Benaoum et bien d’autres. Il en est aussi de plus simples et de plus anonymes. Car la ville a résolument fait le choix de développer cette forme d’expression libre et publique chez les artistes débutants, les jeunes scolaires, les amateurs en tout genre.

« Il est peut-être exagéré de dire que nous sommes capitale du street art, reconnaît modestement Loïc Trinel, directeur de l’Office du tourisme et pilote de l’exposition. Mais on sait qu’au nord de Paris, nous sommes la ville qui consacre le plus d’efforts à le promouvoir ». Aujourd’hui, la reconnaissance du public, celle de la presse spécialisée et la venue de visiteurs viennent couronner cet effort. Dans la rue, pas de confinement. L’Office de tourisme peine donc à répondre à toutes les demandes. Le tour de la ville complète désormais la visite du fameux musée La Piscine et de ses œuvres, dont certaines répondent aux graffs de la rue. C’est le cas des deux sculptures de Camille Claudel qui y trônent en belle place.

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Photo @Philippe Devulder

 

40 000 visiteurs pour « Street Generation(s) » en 2017
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Ted Nomad @Philippe Devulder

Tout est parti d’une première opération en 2017 : l’exposition « Street Generation(s), 40 ans d’art urbain ». Elle était lancée par la Condition Publique, un établissement public de coopération culturelle (EPCC – lire en bonus). Lieu d’expérimentation, la Condition Publique a lancé un appel pour transformer le quartier du Pile en une réserve de fresques. Les artistes ont été nombreux à répondre et l’opération a attiré alors plus de 40 000 visiteurs. Elle s’est renouvelée depuis chaque année. Aujourd’hui les rues sombres et noircies par les ans de ce quartier très populaire sont tapissées de dessins et d’œuvres colorées. Un jardin urbain ouvert aux habitants est bordé de peintures, dont la plus connue est celle de Ted Nomad, une petite fille et son arrosoir.

La ville de Roubaix s’est engouffrée dans le projet. « Depuis plus de 40 ans, on observe que les murs se tapissent de dessins, raconte Loïc Trinel. Mais cette fois nous voulions aller plus loin ». C’est-à-dire passer commande à des artistes de renom. Tout en encourageant, bien sûr, les productions locales. « Les murs de Roubaix attirent nombre d’artistes, et ils s’y sentent à l’aise. La brique chaude restitue souvent mieux la couleur et permet des créations originales ».

 

À ce jour, l’Office de tourisme a recensé une centaine de fresques originales qu’elle inclut dans ses circuits. « En fait, il y en a beaucoup plus, et nous en découvrons chaque année », ajoute Constance Vasse-Krebs. Dans les écoles, dans les quartiers, dans certaines entreprises, le « street art » trouve ses prolongations. Parfois simples et naïfs, parfois grossiers, mais parfois aussi d’une grande originalité.

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Pour le développement d’une culture urbaine
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Photo @Philippe Devulder

Le festival XU, Expériences urbaines, qui se déroule chaque année avec les associations locales, valorise justement les expressions locales. La musique bien sûr, la danse ou d’autres formes d’expression. Mais le « street art » y figure en bonne place. Cette année, malgré le Covid, XU a contribué à la réalisation de dix fresques pérennes (avec les collectifs C215, Ouroboros, Lada Neoberdina…). Le répertoire s’étoffe ainsi d’année en année, associant bien souvent les villes voisines et la métropole lilloise.

Roubaix et ses associations s’efforcent d’offrir un terrain favorable aux créations locales. Les murs abondent. Mais aussi les ateliers qui s’inscrivent à l’intérieur de locaux industriels abandonnés. C’est ainsi que les ateliers RemyCo, du nom d’un peintre localement célèbre, Remy Cooghe, abrite un collectif d’artistes sur un plateau de 1 200 mètres carrés assez vaste pour toutes les expérimentations. Un lieu d’échanges, de pratiques et de formation, ouvert aux écoles et aux amateurs.

 

Soutenir et accompagner les artistes

« Nous contribuons ainsi, note Loïc Trinel, à valoriser les artistes et les œuvres. À les mettre en rapport avec des commandes ». Car le « street art » est souvent réservé à une élite mondiale suffisamment connue pour pouvoir vivre de son art. Tout le monde connaît bien sûr le nom de Bansky. Un artiste dont les œuvres atteignent des sommets de prix dans le monde des galeries. Une telle gloire n’est pas à la portée de tous. Créer une fresque coûte cher. Trouver un amateur, par le biais des appels à proposition, obtenir ainsi un début de réputation pour ensuite attirer l’attention des galeristes et des mécènes : c’est l’espoir de tous les artistes présents à Roubaix.

Street art à Roubaix : la culture pour tous dans les rues
Photo @Philippe Devulder

Entreprises, collectivités locales, architectes et urbanistes, sinon parfois des particuliers peuvent désormais trouver à Roubaix un artiste ou un collectif à même de décorer un mur, une façade ou une place.  Avis aux amateurs, « le coût d’une fresque est bien variable, note Loïc Trinel qui joue parfois les intermédiaires gracieux. De l’ordre de 100 euros le mètre carré. Un budget de 5 à 10 000 euros pour une belle fresque à inaugurer en grande pompe ». ♦

 

* Le La Villa Médicis de Cassis parraine la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] Visite virtuelle du street art roubaisien – Petite histoire du street art – Une fabrique de territoire : la Condition Publique de Roubaix –

  • À la découvert du street art roubaisien. Ça n’est pas la porte à côté pour tous, mais il est possible d’envisager une visite virtuelle. Je vous conseille celle que propose Anne Tomczak, journaliste passionnée de sa région, sur son blog « Plus au nord ».

Street art à Roubaix : culture pour tous dans la rueBeaucoup d’images aussi et d’explications sur le site de l’office de tourisme de Roubaix, ainsi qu’une carte des itinéraires à pratiquer.

 

  • Petit histoire du street art. L’art de rue ou l’art urbain est un mode d’expression qui ne date pas d’hier. Le courant muraliste au Mexique voit naître de nombreuses peintures murales. Elles pourraient avoir influencé l’émancipation de cet art à la fois libertaire et subversif après la révolution de 1910. En Russie, les fresques propagandistes envahissent les murs et signent l’arrivée d’une nouvelle ère artistique […].

Toutefois, on s’accorde à dire que le street art nait véritablement dans les années 1960 aux États-Unis. Le premier mouvement s’apparentant à l’art de rue est le « Graffiti writing ». Il est lancé par deux artistes de Philadelphie, Cornbread et Cool Earl. Souffrant d’une timidité monstre, Cornbread écrit inlassablement sur les murs de son école et de son quartier l’inscription « Cornbread Loves Cynthia ». Fou amoureux d’elle, il n’ose pas le lui dire en face ! Le street art se démocratise davantage lorsque le mot « graffiti » est inclus dans le dictionnaire de l’art brut. La reconnaissance prend forme…

La suite dans ce passionnant article « Aux origines du Street Art », paru sur le site Kazoart.

 

  • La Condition Publique. A ouvert à l’occasion de l’opération « Lille 2004 capitale européenne de la culture ». La Condition Publique occupe un très vaste espace dans ce qui fut autrefois le « Centre de conditionnement des laines et des cotons ». Ses verrières abritent notamment des expositions et des manifestations, dont la fameuse « braderie de l’art ». Une nuit au cours de laquelle les artistes locaux travaillent en public et vendent en direct leur production.

La Condition Publique est labellisée Fabrique de Territoire par l’État (programme Nouveaux lieux, nouveaux liens). Ce laboratoire créatif permet la rencontre entre les acteurs artistiques, culturels ou créatifs et les enjeux urbains, sociaux ou environnementaux. Terrain de jeu sans limite, tiers-lieu ancré dans son quartier, la Condition Publique envisage la créativité comme un levier pour l’innovation et la transition d’un territoire.