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Kourtrajmé, l’école qui forme les petites mains du cinéma

Par Agathe Perrier, le 8 avril 2021

Journaliste

Aminata, étudiante de la première promotion de Kourtrajmé Marseille, en plein tournage © DR

Kourtrajmé, c’est court-métrage en verlan. Après Paris, l’école de Marseille a été lancée en octobre 2020. Ici on utilise le cinéma pour insérer des jeunes éloignés de l’emploi. Les former aux métiers de l’ombre, ceux de la technique, où les besoins sont nombreux. Avec pour mot d’ordre de la pratique sur le terrain. Pour trouver sa place dans ce monde attrayant de l’extérieur, un carnet d’adresses bien rempli est en effet indispensable.

 

C’est l’histoire d’Aminata, 18 ans. Son rêve : devenir actrice. Dans son bagage, un bac gestion-administration. Qu’importe, « dans le métier du cinéma, beaucoup de pros n’ont même pas de diplôme », glisse-t-elle. Depuis octobre, elle a intégré la première promotion marseillaise de l’école de cinéma Kourtrajmé. Quand elle en sortira, peut-être décrochera-t-elle directement un rôle. Ou dans un an, trois ans. Ou jamais. Une réalité dont la jeune femme a bien conscience et que l’équipe de l’école ne cesse de leur rabâcher. « On ne veut pas vendre du rêve mais donner du travail aux gens, les insérer professionnellement. On utilise pour cela le cinéma et le monde de l’audiovisuel de façon générale », explique Mouezi Fatoumiya, responsable communication de la structure installée à Marseille, dans un immeuble de bureaux transformé en résidence temporaire d’artistes (bonus).

Aminata suit depuis cinq mois des ateliers et master classes. Elle enchaîne en parallèle les stages sur des tournages, entre un jour et une semaine. À Marseille ou ailleurs. Décoration, stylisme, production, figuration… elle a déjà touché à pas mal de choses. Là repose la philosophie de Kourtrajmé : apprendre par le geste et mettre un pied dans le monde de l’audiovisuel pour ensuite « faire son trou », comme on dit.

 

 

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Photo d’illustration © Pixabay Licence
De Paris à Marseille

Créer une école de cinéma, qui plus est gratuite, n’a pas été facile. Un projet que Ladj Ly, réalisateur et scénariste, a porté pendant plus de dix ans, faute de financements, avant de pouvoir le concrétiser. La première structure ouvre en 2018 à Montfermeil (93), commune dont il est originaire, avec l’aide de son collectif Koutrajmé, qui lui donne son nom.

L’histoire aurait pu s’arrêter « là-haut », en région parisienne. Mais la fondation Apprentis d’Auteuil a profité de la venue de Ladj Ly à Marseille dans le cadre de la promotion de son film Les Misérables sorti en 2019 – quatre Césars en 2020 et une nomination aux Oscars – pour lui proposer d’y dupliquer le concept, sans le copier-coller à l’identique (lire bonus).

« L’idée était de créer une école qui réponde aux besoins du territoire. Pas de reproduire la même chose qu’à Montfermeil. Ici, ce sont des profils de techniciens qui sont recherchés, d’où un programme tourné vers les métiers de la technique », explique Marie Antonelle Joubert, directrice de Kourtrajmé Marseille. Les premiers stages informels ont démarré en mai 2020, après le premier confinement. Les cours ont ensuite officiellement démarré en octobre dernier.

 

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Atelier son © David Sugar
La pratique comme moteur

Les élèves de Kourtrajmé Marseille ont entre 17 et 34 ans, sont souvent des précaires ou en reconversion. Certains ne connaissent rien au milieu de l’audiovisuel quand d’autres en rêvent depuis des années. Qu’importe leur expérience, tous suivent des stages pour découvrir l’ensemble des métiers existants. En parallèle, des exercices pratiques leur sont proposés ainsi que des « MasterKlass », des interventions de professionnels du secteur qui leur parlent de leur métier. « Ça permet de faire tomber les préjugés sur le monde du travail et de montrer comment les professions s’exercent concrètement. C’est bien aussi pour les étudiants de connaître les parcours car beaucoup de pros ont galéré pour arriver là où ils sont », souligne Mouezi Fatoumiya.

Sur les six premiers mois, les étudiants de Kourtrajmé Marseille ont bénéficié de 185 journées de stage. Un bon début mais qui ne colle pas avec l’objectif de deux stages mensuels pour chacun. « Les étudiants de cette promo sont trop nombreux », reconnaît Marie Antonelle Joubert. L’équipe de Montfermeil l’avait conseillée sur un effectif réduit d’une quinzaine de personnes. Il y en a le double. Ils seront donc moins nombreux à la prochaine rentrée, en 2022. Aucune mauvaise surprise cependant du côté des élèves, prévenus d’entrée de jeu que cette année serait celle du rodage. Aminata se considère d’ailleurs comme chanceuse. « Cette école nous ouvre des portes. Elle nous montre que même en venant des quartiers on peut avoir des opportunités », apprécie la jeune femme. Des occasions à saisir qui ne dépendent pas forcément des compétences, mais d’un bon réseau.

 

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Photo d’illustration © Pixabay Licence
Un monde de réseau

L’équipe de Kourtrajmé Marseille ne le cache pas. « Le but est que les étudiants puissent compter sur un début d’expérience professionnelle et un bon carnet d’adresses », admet Mouezi Fatoumiya. Le réseau, c’est le Saint-Graal dans le monde de l’audiovisuel. Ce que regrette Fabrice Céleste, script d’auteur et bénévole pour les ateliers et les MasterKlass. « Dans ce milieu, on n’est pas sélectionné en fonction de son talent mais des gens que l’on connaît. Ce qui explique que 60% de la production française soit de la m**** », dénonce-t-il. À la clé avec un stage : de nouvelles équipes rencontrées et toujours plus de contacts. Pour cette raison, ils sont la priorité de l’école.

Malgré le contexte sanitaire, les propositions ne manquent pas pour les étudiants. Certains sont même rappelés par les équipes de tournage pour un nouveau stage. Au bout de la troisième sollicitation, Kourtrajmé remet les points sur les i. « On leur explique que s’ils veulent de nouveau bosser avec un étudiant en particulier, ce ne doit plus être un stage mais un job payé », glisse Mouezi Fatoumiya. Quatre ont déjà commencé leurs heures d’intermittence rémunérées, dont deux sur un tournage de série de quatre mois. Un premier bilan provisoire qui fait dire à la direction que son modèle fonctionne.

 

 

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Photo d’illustration © Pixabay Licence
Les financements manquent à l’appel

Marie Antonelle Joubert résume la situation de Kourtrajmé Marseille en une phrase simple. « On n’a pas de problème pour trouver des étudiants ou des stages, même en période Covid. Notre seule difficulté, c’est le manque d’argent et de financements publics ». La structure, qui a le statut d’association et, depuis récemment, un agrément comme chantier d’insertion, ne bénéficie pas de subventions. « On ne rentre actuellement dans aucune case pour en obtenir alors qu’on remplit une mission de service public », ne comprend pas la directrice.

L’école marseillaise a pu compter jusqu’à présent sur des fonds propres et des dons. Une cagnotte en ligne, toujours accessible, lui a ainsi permis de récolter 50 000 euros. Mais les besoins pour une année de fonctionnement restent cinq fois plus élevés.

En tout cas, l’avenir de l’école n’est pas compromis par l’enquête préliminaire pour « abus de confiance » et « blanchiment » qui vise l’association La Cité des Arts Visuels, fondée par Ladj Ly, qui abrite notamment Kourtrajmé Montfermeil. « Ladj est seulement membre d’honneur de Kourtrajmé Marseille. On n’a pas de liens administratifs ou de mouvements d’argent avec son association », rassure Marie Antonnelle Joubert. Les partenaires de l’école marseillaise n’ont d’ailleurs pas fait d’amalgame d’après la directrice. Un soutien de taille que la structure espère voir grossir pour poursuivre son activité. Qui compte pour décentraliser le monde du cinéma, encore trop parisien. ♦

 

Bonus – Le rôle d’Apprentis d’Auteuil – L’école dans une résidence d’artistes

 

  • Le rôle d’Apprentis d’Auteuil – La fondation soutient depuis le départ Kourtrajmé Marseille. Car, dans le cadre de son programme Impact Jeunes qui soutient l’insertion professionnelle de jeunes des quartiers prioritaires (notre article ici), elle avait identifié des profils motivés par le secteur du cinéma. En plus de participer financièrement à la création de l’école, elle a orienté des jeunes qui ont été recrutés et font actuellement partie de la première promotion. Plus d’informations sur l’action globale d’Apprentis d’Auteuil sur le territoire dans notre article ici.

 

  • Installation dans une « résidence » d’artistes – Kourtrajmé Marseille a d’abord posé ses valises dans une salle du 2e arrondissement mise à leur disposition. Depuis ce mois de mars, elle a emménagé dans le bâtiment Buropolis, boulevard Romain Rolland (9e). Voué à la démolition, il accueille pendant 18 mois une « opération d’urbanisme transitoire » portée par Yes We Camp. L’objectif est d’y installer 200 artistes et une école d’infirmières de la Croix-Rouge. En parallèle, des architectes veulent éviter la disparition de cet immeuble à l’architecture évolutive construit en 1970. Il incarne aux yeux de certains une « partie de l’histoire architecturale française ». Plus de détails dans l’article de La Marseillaise en cliquant ici.
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Le bâtiment Buropolis, boulevard Romain Rolland (9e) © Agathe Perrier