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Remettre les fruits oubliés au goût du jour

Par Agathe Perrier, le 19 avril 2021

Journaliste

Photo d'illustration © Pixabay Licence

Avant que la norme soit à la standardisation des fruits, il y avait profusion de variétés en Provence et en France. Une diversité que le lycée agricole de Carpentras veut remettre sous le feu des projecteurs, en plantant notamment des arbres d’espèces méconnues ou oubliées. Et en incitant le grand public à les adopter.

 

Les fruits du terroir se perdent. Au sens figuré surtout. Prenez la pomme par exemple. Il y a 100 ans, il en existait plus de 500 variétés en Provence. Aux noms aussi insolites que poétiques : la Museau de lièvre rouge, la Glacée de Solliès-Pont, la blanche du Luberon… Des noms et des espèces oubliés, qui ne survivent plus que dans des conservatoires. Elles ont été remplacées dans les vergers par les bien connues Golden, Granny Smith ou Gala. Ces trois-là représentent d’ailleurs à elles seules 53% de la production française de pommes (bonus).

 

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La Golden est la variété de pomme la plus produite en France © Pixabay Licence
Une agriculture tournée vers la standardisation

Si on en est arrivé là, ce n’est pas par hasard. Et ça ne date pas non plus d’hier. À la fin du XIXème siècle, l’agriculture a en effet privilégié les fruits dits « passe-partout » très productifs, au détriment de la diversité. « On a abandonné les variétés anciennes car on avait besoin de fruits qui se transportent loin et facilement. Qui soient adaptés à la grande distribution et à une commercialisation industrielle », explique Alain Nicolas, enseignant d’économie au sein du lycée agricole Louis Giraud de Carpentras.

Ces nouvelles méthodes de culture et de sélection ont conduit à un affaiblissement des plantes. Le taux de nutriments dans les fruits, notamment, a baissé et leur goût s’est standardisé d’après le réseau national des Fruits Oubliés, qui œuvre pour alerter le public aux enjeux et aux initiatives de sauvegarde de la diversité fruitière (bonus). Moins de variétés impacte aussi la biodiversité et les écosystèmes. C’est pourquoi Alain Nicolas veut remettre les « fruits oubliés » sous le feu des projecteurs. À savoir les variétés anciennes mais également celles qui sont peu consommées comme les kakis, grenades, jujubes ou encore figues. Il a relancé la culture de ces arbres méconnus au sein de l’exploitation du lycée en faisant participer les élèves.

 

 

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Une partie des élèves du lycée agricole de Carpentras ayant participé à la plantation des porte-greffes © DR
Adopte un arbre !

En plus de son verger de collection et de sa parcelle d’expérimentation pédagogique comprenant des figuiers, l’exploitation du lycée agricole de Carpentras compte désormais un terrain planté d’arbres fruitiers oubliés. Des élèves en bac pro et CFA ont préparé le sol qui a accueilli des porte-greffes offerts par Jean-Luc Ouvier, pépiniériste du coin. Les greffes seront réalisées en septembre prochain afin d’obtenir principalement des cerisiers, kakis, abricotiers, pêchers et pruniers.

Pour mener à bien le projet, les variétés choisies seront faciles d’entretien et résistantes. Car le but est qu’une partie des fruitiers reste au lycée mais que les autres s’épanouissent chez des particuliers qui les auront adoptés. « Contre bons soins, ils donneront des fruits d’ici trois à cinq ans », assure Alain Nicolas. À la clé, le plaisir de cultiver soi-même et de récolter les fruits de son travail, dans tous les sens du terme.

 

 

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Les élèves du lycée aux côtés de Jean-Luc Ouvier, pépiniériste, pour préparer les porte-greffes © DR
Redonner le goût du fait maison

Outre la volonté de populariser les variétés anciennes, Alain Nicolas a un second objectif : transmettre l’envie de travailler les fruits. Jus, compote, marmelade… Il existe mille et une façons de transformer ces produits. Lui se rappelle encore aujourd’hui des confitures et fruits au sirop que préparait sa grand-mère avec les récoltes de son jardin. Des odeurs et des saveurs qui marquent. Une madeleine de Proust en somme, commune à bon nombre d’enfants qui ont eu la chance de grandir non loin d’un verger.

Ces recettes vieilles comme le monde ont été remisées au fil du temps et de la suprématie de la grande distribution. Plusieurs classes du lycée agricole apprennent donc à transformer les fruits pour réaliser des desserts avec. Des fruits oubliés, évidemment, au sens propre puisqu’il s’agit de fruits laissés à l’abandon sur les arbres. Ainsi que d’autres jugés moches et boudés par les consommateurs. Un moyen de sensibiliser la nouvelle génération au gaspillage. Et de toucher, par effet ricochet, le plus grand nombre de personnes. Comme autant de petites graines semées en faveur de la biodiversité. ♦

 

Bonus
  • Paca, première région productrice de pommes en France – D’après les chiffres 2019 de l’Agreste, le service statistique du ministère de l’Agriculture, la production de pommes en Paca représentait alors 23% du niveau national. La région est talonnée par l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine (21% chacune). Les prévisions pour l’année 2020 envisageaient une légère baisse de la production en Paca par rapport à 2019 (-2%). Une situation moins dramatique que les autres territoires – entre -5% en Centre-Val-de-Loire et -32% en Nouvelle-Aquitaine – mais inférieure au niveau moyen pour la troisième année consécutive. Au 1er octobre 2020, la production française de pommes était estimée en nette baisse par rapport à 2019 et à la moyenne des récoltes de 2015 à 2019 (-11%). Il s’agirait de la production la plus faible depuis 7 ans.
  • La France, troisième pays producteur de pommes de table en Europe – On retrouve la Pologne et l’Italie à la première et deuxième place et l’Allemagne en quatrième position. Un classement qui n’a pas bougé ces trois dernières années.
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© Agreste
  • Un réseau des fruits oubliés – Il s’agit d’une association, qui édite notamment – et depuis 1993 – une revue sur ce sujet. 40 pages chaque trimestre pour faire connaître le patrimoine fruitier et la diversité fruitière. Le rôle de cette structure nationale est de contribuer à la sauvegarde de la biodiversité fruitière.