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Le tennis aère les minots des quartiers

Par Agathe Perrier, le 26 avril 2021

Journaliste

Damdji, Dayri et Lazri participent aux cours et tournois de tennis gratuits proposés par l'association AS Time dans leur quartier de Félix Pyat © Agathe Perrier

L’association AS Time propose des cours et des tournois de tennis gratuits dans les quartiers défavorisés de Marseille. Une façon de sortir les jeunes de chez eux ou de leur cité, pour leur apprendre respect, dépassement de soi et esprit d’équipe. Avec des terrains abîmés, du matériel d’occasion… mais une volonté de fer.

 

Marseille, terre de foot mais aussi… de tennis ! Si le ballon rond compte 13 000 licenciés – en faisant le sport le plus pratiqué de la ville –, la petite balle jaune en comprend tout de même 11 000. Et c’est justement d’elle dont se sert Guy Pinna pour intégrer et éduquer les jeunes des quartiers défavorisés. Cet ancien champion et animateur de tennis a créé l’association AS Time en 2002. Pendant près de 15 ans, il a simplement donné des cours de tennis à de jeunes volontaires, sans compétition. En juillet 2015, il a souhaité aller plus loin en créant le circuit ATC Zep Tour. « La différence c’est que maintenant les enfants apprennent à jouer grâce à des tournois. Ça leur inculque le respect et le dépassement de soi. Le tennis est un sport de battant. Pour gagner, il ne faut rien lâcher ».

La compétition est également un moyen de sortir les adolescents de leur lieu de vie. Kalliste, Félix Pyat, Madrague de Montredon, Panier… Les tournois sont organisés dans 32 quartiers de tout Marseille. Et, comme pour les professionnels, chaque participation fait gagner des points qui comptent pour différents classements. De quoi challenger les jeunes et récompenser l’assiduité.

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Un match au pied des tours de la cité Félix-Pyat © AP

 

Un Grand Chelem local

Guy Pinna s’est largement inspiré du fonctionnement du monde du tennis pour son ATC Zep Tour. Il y a donc plusieurs tournois dans le circuit, notamment un « Grand Secteur », le Grand Chelem local. « J’ai regroupé les quartiers aux plus grosses affluences – Félix Pyat, Kalliste, le Mail et la Viste – au sein de cette compétition. Si quelqu’un gagne les quatre la même année dans sa catégorie, il remporte une dotation de 100 euros », glisse l’animateur.

Une quinzaine de jeunes participent régulièrement aux tournois. D’autres plus sporadiquement. Il faut dire que beaucoup de familles n’ont pas de moyen de locomotion pour amener leur enfant d’un quartier à l’autre les week-ends. Guy Pinna fait donc le ramassage avec sa propre voiture les jours de matchs. Au total, 121 tournois ont déjà été organisés en bientôt six ans. Dont 40 sur la seule année 2016, le record.

 

 

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Guy Pinna, fondateur de l’association AS Time, entouré des jeunes de Félix Pyat © AP
Le sport plutôt que la play

Le dernier tournoi en date a eu lieu fin mars à Félix Pyat. Ici, les jeunes jouent à même le bitume, sur le stade du parc Bellevue, au pied des barres d’immeubles. Des lignes ont été gracieusement peintes par Euroméditerranée (établissement public d’aménagement conduisant une opération de rénovation urbaine à Marseille) qui a aussi fourni deux poteaux métalliques pour installer un filet. Le strict minimum.

L’avenir de ce court de tennis est d’ailleurs incertain puisqu’il se situe sur le périmètre du futur parc Bougainville, dont les travaux doivent bientôt démarrer (bonus). D’après Guy Pinna, l’établissement public a récemment promis de conserver le terrain. Or, les plans initiaux ne prévoient pas de le garder. Ce que confirment ses services. « Le terrain avait été installé avec notre aide mais de façon temporaire et provisoire. Il n’a pas vocation à rester sur ce site ». Précisant avoir encouragé le président de l’association à prendre contact avec les autres acteurs du territoire pour trouver un autre site à proximité.

En attendant que l’avenir se dessine, les ados de Félix Pyat profitent d’une infrastructure des plus sommaires. Le sol est brûlé à certains endroits, l’espace non grillagé ne stoppe pas la course des balles qui finissent par s’éparpiller, les abords sont jonchés de bris de verre. Les jeunes ne le voient pas – ou plus –, habitués au mauvais état de leur quartier. Dayri, du haut de ses 12 ans, ne retient finalement qu’une chose : « Le tennis ça nous permet de nous divertir, de sortir. Sinon chez nous, y’a que la Play ».

 

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Dayri, capitaine d’équipe, félicite Damdji après sa victoire en simple © AP
Du collectif dans l’individuel

Ils se contentent de peu, ces minots. Leur seule envie lorsqu’ils sont sur le court : taper des balles. « Guy, quand est-ce qu’on joue ? », ne cessent-ils justement de demander cet après-midi d’avril. Avec un seul terrain pour la dizaine de présents, les esprits et les pieds s’impatientent.

Sur le court, le match opposant Sabri à Damdji s’éternise. Si ce dernier a rapidement pris l’ascendant, son adversaire remonte dangereusement. La pression monte et le garçon perd ses moyens, envoyant la balle en faute à diverses reprises. « T’as tes chances, je t’ai pas choisi pour rien », lui lance Dayri, ami mais également capitaine. Car depuis quelques jours, Guy Pinna a lancé un nouveau tournoi, cette fois par groupes. Le but : ajouter de l’esprit d’équipe et de la cohésion à la pratique individuelle. Et c’est justement ce qui plaît à Lazri, le troisième de la bande. « À plusieurs ça donne plus l’envie, ça me motive ».

Démonstration lors d’un double aux côtés de Dayri. Bien partis, les deux compères se font rattraper par le binôme Sabri-Giovanni qui prend le large. Ça chambre sur les marches en béton nu qui font office de gradin. Le duo ne se laisse pas démonter et sauve quatre balles de match… avant de remporter la victoire. Explosion de joie, de cris. Les ados courent bras écartés autour du terrain. Une euphorie comme le sport sait en générer. Communicative. Éphémère aussi. Chacun en profite au maximum.

 

 

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À Félix Pyat comme dans beaucoup d’autres quartiers, le court de tennis est un terrain de fortune © AP
La débrouille pour s’en sortir

Comme à Félix Pyat, une infrastructure précaire est le lot de beaucoup de quartiers du nord de la ville. La Viste, avec son court flambant neuf, fait figure d’exception. Le mot d’ordre est donc à la débrouille. « J’organise les tournois là où je peux », reconnaît Guy Pinna, bien souvent sur des terrains d’athlé ou de basket. Côté matériel, c’est l’association qui s’occupe de tout. Là encore avec les moyens du bord. Les raquettes sont d’occasion, achetées un euro l’unité à Emmaüs. Quant aux balles, c’est le club CSM Tennis qui les offre. Une aide plus que bienvenue.

Guy Pinna espère concrétiser d’autres partenariats et débloquer de nouveaux financements. Il n’a reçu jusqu’à présent que le soutien de la Préfecture de Police dans le cadre du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Il attend celui du Département des Bouches-du-Rhône et de la Ville de Marseille, simples partenaires institutionnels du circuit pour le moment. L’animateur ne manque d’ailleurs pas d’idées pour la suite : signature prochaine d’un parrain de l’association – « un jeune tennisman professionnel dont le nom sera bientôt dévoilé » –, d’un autre pour fournir des raquettes, création d’un village de partenaires sur les tournois… Un investissement à plein temps à destination de ces jeunes des cités, laissés pour compte, alors qu’ils aspirent tellement à profiter de leur jeunesse. ♦

*Pour contacter l’association AS Time : citeace@gmail.com

 

Bonus 
  • Le tennis, deuxième sport le plus pratiqué à Marseille – Avec 11 000 licenciés, d’après les données de la municipalité. Juste devant, le foot, qui compte 13 000 licenciés. Suivent ensuite la voile (7 000), la pétanque et le jeu provençal (5 679) et le judo (3 766).

 

  • L’association Fête le Mur. « Le tennis contre l’exclusion » est sa devise. Fête le Mur voit le jour officiellement en 1996 à Aix-en-Provence avec l’inauguration de la première implantation. Yannick Noha en sera le Président Fondateur, devenant un  précurseur du sport social en France. Cette association d’éducation et d’insertion par le sport œuvre dans les Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville.

Outre la simple initiation au tennis, la structure a développé ces dernières années d’autres activités. Dans 
l’optique, toujours, de faciliter l’épanouissement des jeunes de l’association. Accompagnement à la compétition, initiation à l’arbitrage, formation aux métiers du sport, coaching d’insertion, tennis en fauteuil pour les jeunes handicapés… Bref, donner les moyens aux enfants des cités de réaliser des projets qui leur tiennent à cœur. Et utiliser ces outils que sont le sport et le tennis pour lutter contre toute forme d’exclusion.

Aujourd’hui, on compte 50 sites partenaires dans la France entière.

 

  • À Marseille, le parc Bougainville, quatre hectares de verdure au pied de la cité Félix-Pyat – Le parc sera aménagé sur d’anciennes parcelles d’activité, dont certaines sont actuellement en friche. Non loin du métro du même nom, il sera délimité par les boulevards de Briançon et de Lesseps. Différents espaces y sont prévus. « Détente » avec des tables de pique-nique, des ombrières ou encore des gradins. « Nature » composé de jardins. « Sportif » qui fera la part belle au basket, skate, pingpong, skate… mais pas au tennis – du moins d’après les plans initiaux. Côté travaux, ils seront réalisés en deux phases pour une première livraison en mars 2023 puis mars 2024.
    Le parc Bougainville doit être la première tranche d’un parc bien plus grand, celui des Aygalades, qui devrait s’étendre sur 10 hectares jusqu’au quartier de la Cabucelle à l’horizon 2026. Plus d’infos sur le site d’Euroméditerranée en cliquant ici.
L’emplacement du futur parc Bougainville (à gauche) et sa projection future (à droite © agence D’ICI LA)