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Des avions pour repérer les passoires thermiques

Par Raphaëlle Duchemin, le 29 avril 2021

Journaliste

@Action Air Environnement

Et si en un coup d’œil vous pouviez savoir si votre maison est bien isolée ? Une porte qui ferme mal, une toiture qui laisse passer l’air, et ce sont des milliers d’euros qui s’échappent en factures. C’est justement pour aider les communes à informer les particuliers que les avions de la société Action Air Environnement sillonnent les airs. Leur outil ? La thermographie aérienne. Dernière cartographie en date, au-dessus de la communauté de communes Cœur du Var – onze villes et villages – qui souhaite sensibiliser sa population aux économies d’énergie.

 

Le jour, ils dorment sagement derrière les tôles grises du hangar de l’aérodrome de Cuers-Pierrefeu : les Cessna 337 et les Partenavia P68 attendent que la nuit tombe sur la campagne varoise… C’est à ce moment-là seulement que les bimoteurs entrent en action. Mais pour qu’ils puissent décoller plusieurs conditions doivent au préalable être réunies : des températures froides -pas plus de 6 degrés au sol-, peu de nuages pour une visibilité maximale, et que le vol s’effectue avant le lever du jour.

Une fois la fenêtre météo validée, c’est une petite équipe d’Action Air Environnement qui embarque plusieurs nuits d’affilée à bord du Piper PA-44. Cette fois, deux pilotes et un opérateur aérien montent à bord du bimoteur américain/ Leur consigne : survoler Besse-sur-Issole, Cabasse, Le Cannet-des-Maures, Carnoules, Flassans, Gonfaron mais aussi Le Luc, Les Mayons, Pignans, Puget Ville et Le Thoronet. Leur plan de route : une drôle de carte découpée par bandes, qu’il va falloir survoler sans en oublier un seul mètre carré.

 

Mieux qu’une image satellite
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Une caméra infrarouge et des détecteurs repèrent les déperditions de chaleur @AAE

Une fois à 600 mètres d’altitude, c’est à l’arrière de l’appareil que ça se passe. L’avion est équipé d’un matériel dernier cri : une caméra infrarouge et des capteurs issus de la recherche spatiale. La première prend la photo en temps réel des toitures. Pendant que les seconds sont capables de détecter avec une précision d’orfèvre l’endroit exact de la déperdition de chaleur.

Le système ultra-performant doit ensuite traduire pour nous les chiffres et les graphiques. Une fois les données relevées, il transpose ensuite les températures en couleurs.

Si le bâtiment n’a aucun problème thermique, ce sera bleu foncé. A contrario, si la carte au-dessus d’un gymnase ou d’un immeuble est rouge, il faudra envisager une rénovation.

 

Comme sur du papier millimétré

C’est ainsi que chaque petit carré de terre survolé par Action Air Environnement respecte scrupuleusement les lignes tracées sur le plan de vol. Ce patchwork sera ensuite assemblé et transmis à la commune qui a passé commande. Dans le contrat, seules les zones habitées sont prises en compte. Car même si le bilan carbone n’est pas neutre, tout est calculé pour que l’opération soit la moins polluante possible. Ainsi, sur les 450 km du territoire, exit par exemple les zones boisées pour rationaliser la campagne aérienne et n’utiliser que le carburant nécessaire. Bilan : 200 km² passés à la loupe, 10 heures de vol et 700 litres consommés.

Ce recensement a couté 29 318 euros à la communauté des communes. Mais Cœur du Var a fait les comptes : cela équivaut à 67 centimes par habitant. Un investissement sur l’avenir qui paraît infime au regard de la facture énergétique totale des onze communes, qui s’élève à 75,7 millions d’euros.

 

 

Les bâtiments municipaux donnent l’exemple
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Une partie de l’équipe @AAE

Une fois les données redescendues, la ville propriétaire de certains bâtiments peut donner l’exemple et effectuer les travaux pour ses propres locaux : écoles gymnases et salles municipales. Ensuite c’est aux entreprises et aux particuliers de lui emboîter le pas. Pour leur rendre compte et les inciter, chaque commune multiplie les réunions d’information.

Mais attention, pas question d’afficher un plan avec les zones qui posent problème. Cela aiguiserait les appétits. Pour protéger les habitants des démarchages intempestifs, tout reste confidentiel. Chacun peut venir s’il le souhaite en mairie consulter sur ordinateur ou sur papier l’état de son bien. Et décider ou non d’entamer des travaux.

 

Retour d’expérience

Si les passoires thermiques sont moins nombreuses sur le pourtour méditerranéen (7% à Toulon), l’opération a tout de même été commandée par plusieurs communautés de communes. Une grosse partie du bâti y date d’avant 1975, voire d’avant 1945. C’est le cas du Pays de Balagne en Haute-Corse mais aussi de TPM.

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Le Piper PA-44, prêt à repartir @AEE

À Toulon Provence Méditerranée, l’opération avait été lancée en 2017, en partenariat avec GRDF. Le territoire des 12 communes -à l’exception des îles- avait été survolé. La Métropole avait alors eu l’idée, pour être plus efficace, de proposer ensuite aux particuliers un guichet unique. Où récupérer, non seulement l’état des lieux de leur bien, mais aussi toutes les informations utiles pour procéder aux travaux de rénovation.

Baptisé « Bien chez soi », ce service unique en son genre dans la région fonctionne toujours. Il aide les propriétaires à identifier les travaux, à savoir à quelle porte frapper pour trouver les aides, à comprendre comment être éligible à certains dispositifs. Et grâce au travail accompli avec la Chambre des Métiers et de l’Artisanat du Var, il peut même fournir si nécessaire une liste de corps de métiers agréés.

Toutefois les sommes à engager restent conséquentes – 20 000 euros en moyenne -et peu de ménages sautent le pas. Sur les trois dernières années, un petit millier s’est renseigné, mais seulement 650 ont entrepris une réfection. « On est loin des 1000 par an que souhaitait atteindre l’ADEME, reconnaît Anabelle Maurel en charge du service habitat à TPM. Mais c’est un début. »

 

Repérer aussi les toitures adaptées au solaire
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Repérer aussi les toitures adaptées aux panneaux solaires @AAE

D’ailleurs pour poursuivre les efforts engagés, un nouveau survol doit être entrepris en janvier 2022 : un budget de 100 000 euros a déjà voté pour l’opération. Pour la rentabiliser, cette fois la détection portera aussi sur le recensement des îlots de chaleur, les déperditions notables sur les réseaux. Ainsi que le repérage des toitures les mieux adaptées aux panneaux solaires. Car c’est une lutte globale qui est engagée.

L’agglomération toulonnaise l’a bien compris, d’où l’idée de mutualiser les efforts des services aménagement, patrimoine, environnement et habitat. Elle fait aujourd’hui figure d’exemple en ayant anticipé ce que préconise le rapport Sichel (voir bonus) de la Banque des territoires. Document qui plaide en faveur d’une rénovation énergétique « massive simple et inclusive ».

Dans ce combat, la thermographie aérienne est donc une arme supplémentaire pour lutter contre les quelque 5 millions de passoires thermiques présentes dans l’hexagone. D’ailleurs les avions d’Action Air Environnement ont peu de repos. Depuis que ces diagnostics ont été lancés par l’entreprise varoise en 2015, ce sont près de 50 agglomérations en France mais aussi en Belgique qui y ont eu recours. ♦

 

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Bonus

  • Télédétection et de surveillance maritime. Les missions villes durables pour lesquelles elle fait décoller ses avions ne sont pas la seule spécialité d’Action Air Environnement. Le groupe a aussi développé des vols de télédétection et de surveillance maritime qui lui permettent de s’investir aussi bien dans le recensement des ressources halieutiques que dans le signalement des pollutions maritimes. C’est ainsi que deux appareils sillonnent en permanence le golfe de guinée. Par ailleurs, dès le mois de juin débutera au large des côtes irlandaises une campagne pour recenser les oiseaux de mer. Une demande du ministère de l’Environnement en partenariat avec l’université de Cork.

 

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Olivier Sichel @Wikipédia

Ce travail, fruit d’une « task force » regroupant tous les acteurs concernés (dont les représentants des collectivités territoriales et des bailleurs sociaux), lui avait été commandé par Bruno Le Maire et Emmanuelle Wargon. Il s’agissait en l’occurrence de repenser et de « massifier » l’offre de financement de la rénovation des passoires énergétiques, grâce à « des solutions complémentaires et nouvelles ».

Ce rapport mise sur trois principaux leviers d’action, assortis de propositions précises et concrètes. Un « accompagnement généralisé et obligatoire » des ménages par un référent. Un parcours simplifié (plateforme unique, dossier unique partagé, compte sécurisant les flux financiers, partage des données). Et un financement permettant notamment de mieux toucher les ménages modestes (avances, meilleure prise en compte des revenus, éco-PTZ…).