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Des courgettes soignées avec de la musique

Par Marie Le Marois, le 3 mai 2021

Journaliste

Photo @DR

Au pied des Alpilles, dans le sud de la France, la famille Josuan cultive huit hectares de courgettes sans produits chimiques. Pour repousser les nuisibles, ces exploitants utilisent différentes méthodes alternatives, dont la musique. Chaque nuit, depuis 2006, ils diffusent pendant sept minutes une mélodie particulière parmi les cultures. Ce procédé innovant et non invasif, appelé génodique, est désormais utilisé par près de 160 agriculteurs, vignerons, maraîchers et éleveurs sur tout le territoire.

 

Quand il reprend l’exploitation de L’Oustalet, héritée de son grand-père puis de son père, Gilles Josuan applique consciencieusement ce qu’il a appris à l’école. Dès que des nuisibles surgissent, des chenilles par exemple, le jeune homme prend « un produit dans le placard », enfile « masques et gants » et les tue.

La bascule survient dans les années 90. « Un jour, alors que je traitais comme d’habitude mes cultures avec un produit homologué, mes courgettes ont été analysées », raconte l’agriculteur au milieu de sa serre gigantesque. Le couperet tombe : ses cucurbitacées dépassent la LMR – limite maximale de résidus autorisés (voir en bonus). « Elles n’étaient pas conformes alors que je pensais mes produits sains. Je l’ai vécu comme une offense ».

 

Des pesticides aux méthodes naturelles
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@Marcelle. Gilles Josuan devant le premier boîtier Genodics qui diffuse les protéodies.

Du jour au lendemain, l’homme contrarié cherche à modifier sa façon de cultiver. Il teste différentes méthodes alternatives. Utilise du purin d’ortie comme antiparasitaire, des engrais à base d’algues, des coccinelles contre les pucerons, des araignées contre la mouche blanche (voir insectes auxiliaires dans bonus). Mais aussi du savon noir, du bicarbonate de soude…

À force de tests, il parvient, au bout d’une dizaine d’années, en 2005, à arrêter totalement les produits phytosanitaires. Il se heurte pourtant à un ennemi sur lequel aucun produit – même chimique – n’agit. Son nom ? « La mosaïque », l’une des principales maladies virales rencontrées sur la courgette de variété ancienne.

Transmise par le puceron, elle s’infiltre dans la plante tel un poison. La mort est douce : le légume se décolore puis se bossèle. La photosynthèse ne s’effectue plus, la plante arrête de grandir. Fragilisée, elle attire davantage les pucerons qui finissent par la grignoter. Gilles Josuan ne voit aucune issue, « à part regarder ses plantes mourir ». En 2006, il perd sa récolte. « J’ai dû tout arracher ».

 

 

Influence de certaines mélodies sur tout être vivant

Durant l’été, un commercial lui propose des CD sur lesquels sont gravées des mélodies spécifiques appelées ‘’protéodies’’. Elles peuvent, lui vante-t-il, stimuler ou inhiber tout organisme vivant. Même les plantes, même les virus. Ni une ni deux, Gilles Josuan, prêt à tout, place des lecteurs CD dans sa serre pour prévenir la prochaine attaque. Mais ne voit aucune évolution.

En glanant des infos sur Internet, ce persévérant tombe sur Joël Sternheimer, physicien à l’origine de ce procédé appelé ‘’génodique’’, breveté en 1992. « Je lui ai envoyé un mail pour lui dire que sa méthode ne fonctionnait pas, il m’a aussitôt appelé ». Le commercial en question s’est avéré être un ancien élève qui ne maîtrisait pas ce procédé extrêmement complexe.

 

 

La mélodie des protéines
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Joël Sternheimer dans les années 60, Docteur en physique et… chanteur Evariste.

Chacun sait que la musique agit sur notre humeur. Certaines nous apaisent, d’autres nous dynamisent. Comme si elles interagissaient avec nos cellules. Dans les années 60, Joël Sternheimer, docteur en physique quantique et musicien, se rappelle ces vieilles histoires entendues enfant ‘’la musique de Mozart donne du meilleur lait aux vaches’’.

Il décide alors de chercher la séquence de la prolactine – la protéine clé de la lactation – et trouve une suite d’ondes semblable à une suite de notes sur une partition. À l’aide d’un synthétiseur, cet artiste (il fut le chanteur Évariste) retranscrit la mélodie spécifique de cette protéine et se rend compte que c’est… du Mozart.

 

Tout organisme vivant produit des protéines en fonction de ses besoins (lactation, photosynthèse, digestion…). Ces protéines sont constituées par un ou plusieurs assemblages de 22 molécules appelées acides aminés. Quand un acide aminé s’agglomère à un autre, il émet une onde spécifique et singulière. Chaque protéine est ainsi constituée d’une suite d’ondes.

 

La musique renforce les organismes vivants…

Le chercheur indépendant en déduit qu’il est possible de stimuler tout organisme vivant en lui faisant écouter la musique de telle ou telle protéine. Et appelle son procédé la génodique – contraction de génétique et mélodique. Il explore son impact sur les plantes avec l’agronome Pedro Ferrandiz. Pendant sept ans, ils réalisent de nombreuses expériences, notamment sur la tomate.

Ils décryptent la chaîne des acides aminés des protéines clés de ce fruit puis la transposent en une musique baptisée protéodiecontraction de protéine et mélodie. Ils testent la musique durant la sécheresse de l’été 1994 sur certaines tomates associées avec l’eau. Le résultat s’avère flagrant : les feuilles de ces plants restent vertes alors que les autres, qui ont pourtant reçu la même quantité d’eau, deviennent sèches. « La protéodie a renforcé les défenses naturelles de la plante en augmentant le taux de concentration de certaines protéines », décrypte Michel Duhamel. En 2007, cet ingénieur, alors conseiller en innovation, leur propose de créer la société Genodics pour développer ce procédé efficace en maraîchage, viticulture, arboriculture et élevage (voir le coût en bonus).

 

La génodique permet d’aider à la croissance et au développement d’un organisme vivant, notamment dans des conditions de stress. Mais également de prévenir et de traiter des maladies.

 

… ou neutralise l’ennemi
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@La Garance voyageuse. Les acides aminés émettent des ondes lors de leur assemblage.

Gilles Josuan est leur premier client. Grâce à ses observations et sa ténacité, il a fait évoluer le procédé. En 2006, quand il appelle Joël Sternheimer, son problème n’est pas de booster ses courgettes. Mais de lutter contre la ‘’mosaïque’’, maladie causée par deux virus pathogènes qui lui porte le plus préjudice. Or, dans ses travaux, le physicien a observé que si la mélodie renforce les protéines d’un organisme vivant, ce procédé fait l’effet contraire quand la suite de notes est retournée : « le taux de synthèse de la protéine correspondante diminue », développe Michel Duhamel.

Autrement dit, la protéodie réduit les capacités de l’ennemi, l’empêche d’être nuisible ou de se développer. Mais ne tue pas. L’agressé cohabite avec son agresseur. Cette méthode est révolutionnaire, au sens où le vivant parle au vivant. Une bonne chose pour la plante, l’humain et l’environnement. Certains agriculteurs vont même plus loin en pensant qu’il est mieux de ne pas exterminer les nuisibles car sinon d’autres débarquent, la nature n’aimant pas le vide.

 

De la théorie à l’empirisme avec les courgettes

Pour la ‘’mosaïque’’, l’entreprise de biotechnologie décode donc la chaîne des acides aminés contenue dans les protéines de ce virus. Cette chaîne est ensuite transposée en mélodie puis inversée. L’agriculteur détient cette fois-ci les bons CD avec les bonnes protéodies. Et programme leur diffusion quand il n’y a personne aux alentours, c’est-à-dire la nuit. « Car la mélodie peut agir sur l’homme au niveau cellulaire », alerte ce quinqua qui tourne avec une équipe de dix ouvriers, quarante en pleine saison (de mai à août).

À nouveau, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Le son se perd, l’humidité stoppe la diffusion… En 2008, il reçoit le premier boîtier Genodics équipé d’une chaine hifi programmable, aujourd’hui collector. Il tire avec peine des câbles dans tous les sens sur ses huit hectares de culture, installe un boîtier par hectare comme préconisé. Mais décide d’en poser deux par hectares « à cause du mistral qui altère le son ».

 

Le saviez-vous ? La courgette est un fruit (au même titre que les tomates ou les haricots verts) car il est le produit d’une fleur. Un pied de courgette offre une cinquantaine de fruits, tout dépend des variétés.

 

Une question de dosage
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@Marcelle. Boîtier collector Genodics

Lors de ses premiers essais, il diffuse trop longtemps la mélodie, « la plante a été fragilisée et j’ai eu une attaque de pucerons. Tout est histoire de dosage ». Idem quelques années plus tard. Il voit à nouveau ses courgettes bosselées, signe du virus mosaïque. Fait des recherches dans les livres. Réalise que c’est aussi une mosaïque mais pas de la même souche. « À vouloir trop inhiber la première, j’ai ouvert la porte à la seconde. J’étais à nouveau en train de perdre mes cultures ».

Genodics lui envoie aussitôt la protéodie adaptée qu’il diffuse à la suite de la première. « En trois jours, ma culture était sauvée ». Cette expérience lui confirme que ce procédé est préventif mais aussi curatif. Aujourd’hui, ses boîtiers diffusent les mélodies chaque nuit, à minuit, pendant sept minutes. Pas une de plus.

 

Grâce à la protéodie de la prolactine, les vaches sécrètent davantage de lait et surtout de meilleure qualité. « En revanche, ce procédé est à utiliser à petite dose pour éviter la surlactation et donc l’inflammation des mamelles », Michel Duhamel, directeur de Genodics.

 

Playlist de protéodies

Il est toujours difficile d’évaluer précisément la fréquence et la durée de la diffusion. Tout reste empirique. Mais « l’avantage de la courgette est qu’elle réagit très vite, en mal ou en bien ». Maintenant que sa fille, Alizée, s’occupe du commercial et son fils, de la partie informatique, l’agriculteur passionné peut passer son temps à observer ses plantes et à compléter sa playlist de protéodies. Il en possède actuellement neuf dont une contre le champignon oïdium.

Écoutez un exemple de protéodie diffusée dans la serre de courgettes.

Tel un Dj, l’exploitant programme à distance telle ou telle mélodie depuis son smartphone, « toujours avec un temps d’écart important. L’une à minuit par exemple. Et l’autre à 5 heures du matin. Car on ne sait pas si les protéodies interagissent ». Ce passionné teste également une protéodie directement contre les pucerons mais sans effet pour l’instant.

 

Virus, bactéries et champignons
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@Genodics. Taux d’esca avec et sans diffusion de protéodie.

Michel Duhamel, président de Genodics, le confirme : les résultats sont bons sur les virus, les bactéries et les champignons. Mais sur les insectesc’est plus difficile « parce qu’ils sont mobiles, peuvent venir et partir à tout moment ». Quant à faire fuir campagnols ou sangliers, comme on a pu lui demander, impossible. « Il faudrait diffuser des protéodies en permanence ».

La société parvient tout de même à agir sur une cinquantaine de problématiques : l’esca, fléau des vignes, le mildiou, redoutable sur les tomates et pommes de terre. Ou encore la sharka, maladie dévastatrice du pêcher. Même sur ce genre de nuisible, la société rencontre parfois des échecs. Par exemple, « contre la moniliose de l’abricot, les résultats ne sont pas encore probants ».

 

Des courgettes d’avantage nutritives et gustatives

Au bout de quinze ans de tests et de rééquilibrages, le bilan est positif pour la famille Josuan. Elle produit 900 tonnes de courgettes sur une année, avec peu de perte à la clé. Vertes, jaunes, blanches, tigrées, rondes ou longues, les variétés de l’Oustalet (sans compter les fleurs de courgettes) sont reconnues dans la région pour être de grande qualité.

Des analyses ont mis à jour leurs qualités nutritives et gustatives. Elles sont plus douces et plus savoureuses que les courgettes élevées traditionnellement. Également plus concentrées en vitamines et nutriments. Ces qualités sont-elles dues au choix des variétés anciennes, à la musique ou aux cultures hors-sol de l’exploitation (voir bonus) ? « C’est un peu de tout mais je pense que la musique joue en grande partie », confie sans détour cet homme chaleureux.

 

Grâce à cet engagement dans des pratiques respectueuses de l’environnement, l’exploitation de l’Oustalet a obtenu la certification haute valeur environnementale (HVE).

 

Des protéodies pour soigner l’humain
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@Marcelle. Gilles Josuan, le premier agriculteur à utiliser la musique pour soigner ses cultures.

Les agriculteurs des alentours, longtemps circonspects, sont aujourd’hui une « bonne quinzaine » à utiliser ce procédé. Sa femme qui le prenait « pour un fou » se soigne désormais avec des protéodies pour le mal de gorge (voir bonus). L’exploitant de Mouriès, fier de ses produits « bonnes pour la santé et l’environnement », constate qu’il ne fait plus le même métier qu’à ses débuts. Il passe son temps les yeux dans ses plants. Surveille avec amour leur bien-être. Teste de nouveaux traitements alternatifs comme des décoctions d’ail et de lavande. S’assure que ses bourdons butinent bien les fleurs mâles pour féconder les femelles.

Gilles Josuan le dit tout de go : « Sans la musique, je ne produirais plus de courgettes car économiquement, je ne m’en sortais plus. J’avais beaucoup de mortalité dans mes cultures ». Aujourd’hui, près de 160 agriculteurs, maraîchers, viticulteurs et éleveurs utilisent le procédé de la génodique. Et de grands organismes sceptiques au départ, comme l’Institut de la recherche agronomique et de l’environnement (INRAE), commencent à s’y intéresser. ♦

 

*  La data au secours de la biodiversité 7 Le CEA Cadarache parraine la rubrique « Recherche» et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] Des fruits et légumes bourrés de résidus de pesticides – Les ‘’Auxiliaires’’, autres méthodes alternatives – Coût d’une protéodie – Des courgettes hors-sol – Procédé validé par la science – Protéodies pour l’humain ?

  • Limite maximale de résidus autorisés (LMR). Générations futures, qui pointe les effets graves des pesticides sur la santé (lire ici) a calculé, à partir des données officielles, les pourcentages des fruits et légumes non bios contenant des pesticides. 71,9 % des fruits et 43,3% des légumes présentent des résidus de pesticides. En tête du classement, cerises, clémentines, mandarines et raisins.

 

  • ‘’Auxiliaires’’, autres méthodes alternatives. Il existe une alternative non nocive pour lutter contre les nuisibles qui ravagent les cultures : l’utilisation d’insectes dit ‘’auxiliaires’’. Ce principe, inventé il y a 150 ans, bien avant les traitements chimiques, rétablit les équilibres naturels. L’Oustalet travaille avec cinq auxiliaires en collaboration avec l’entreprise Koppert, à Cavaillon, pour contrer ses différents ravageurs tels que aleurodes, petites mouches blanches et pucerons. Mais aussi acariens rouges et fourmis. Chaque auxiliaire cible un parasite. L’araignée va par exemple parasiter les mouches blanches en pondant dans ses œufs. Les avantages de cette solution sont « le risque zéro de surdosage ou d’empoisonnement et l’absence de pollution. Cette solution ne détruit pas non plus l’ensemble de la faune ».

 

  • Coût d’une application. Une application combine plusieurs protéodies. Chaque agriculteur peut y avoir recours moyennant la location d’un appareil (entre 500 et 700 euros) et l’achat d’une licence annuelle entre 400 et 600 euros l’application. « Si nos essais ne sont pas à la hauteur, ils sont remboursés après un protocole d’évaluation. Mais cette situation arrive très rarement ! », confie Michel Duhamel, président et cofondateur de Genodics.

 

  • Des courgettes hors-sol. Gilles Josuan a choisi de cultiver une partie de ses courgettes en culture hors-sol avec, comme substrat, la fibre de coco et un système de goutte à goutte. Ce procédé lui offre une croissance plus élevée, une diminution des attaques des nuisibles et les besoins en eau. Il possède également un système de récupération du surplus d’eau. En raison de la culture hors-sol, L’Oustalet ne rentre pas dans le cahier des charges du bio qui exige le plein champ.
  • Procédé validé par la science. Gendodics a réalisé avec un laboratoire de l’Université CY à Cergy-Pontoise une série d’expériences de laboratoire, sur plusieurs années, qui prouvent la réalité des effets d’une protéodie sur une culture de graines de pois. Les résultats de cette étude ont été publiés dans une revue scientifique : la revue Heliyon du groupe Elsevier (lire ici)

    D’autres expériences de laboratoires sont en cours, « encore plus intéressantes », selon Michel Duhamel, directeur de Genodics. « Mais les meilleures preuves d’efficacité pour nous, ce sont les résultats que nous obtenons de manière récurrente chez nos clients, depuis 13 ans. Ils sont maintenant 160 à nous manifester leur soutien en nous payant chaque année leur licence d’application de notre procédé. Le feraient-ils s’ils n’y trouvaient pas un bénéfice ? »

  • La Génodique pour soigner les humains ? Michel Duhamel explique que « des protéodies bien choisies et écoutées à bon escient peuvent bien sûr venir en aide à des personnes souffrant de diverses pathologies ». Des essais individuels sont réalisés depuis longtemps, mais par manque de moyens, l’équipe de Genodics – ils ne sont que quatre ! – n’a pas encore pu mettre en place les essais cliniques qui sont indispensables pour valider officiellement ce procédé en santé humaine.

Les succès obtenus sur des maladies virales de plantes, comme la mosaïque des courgettes, permettent « de penser que ce procédé pourrait aussi aider à réduire des maladies virales affectant les humains ». Depuis février 2020, une vingtaine de responsables d’équipes médicales hospitalières ont été contactés pour essayer de réduire le coronavirus avec des protéodies « mais aucun n’a été intéressé ».