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Haro sur le bitume dans les facs et les écoles

Par Hervé Vaudoit, le 26 mai 2021

Journaliste

Construite à une époque où on mettait du béton et du bitume partout, le campus de la faculté Saint-Charles, à Marseille, va être débarrassé d’une partie de ces revêtements pour laisser l’eau s’infiltrer naturellement.

Pour favoriser l’infiltration des eaux de pluie dans le sol et lutter contre la pollution, l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse a lancé un vaste programme de désimperméabilisation des sols dans toute la Région. Les campus de Saint-Charles et Saint-Jérôme, à Marseille, sont les deux sites test retenus. Mais l’opération concerne aussi les écoles, les collèges et les lycées.

Les crues qui ont dévasté les vallées des Cévennes et de l’arrière-pays niçois en septembre et octobre 2020 l’ont brutalement rappelé : quand elle tombe sur des sols imperméables, la pluie ne pénètre pas en terre. Elle ruisselle à grande vitesse en surface et s’en va grossir les cours d’eau, jusqu’à les faire déborder. Et plus ces pluies concernent des zones urbaines denses, plus les dégâts sont importants et les victimes nombreuses.
Après un bon demi-siècle de recours frénétique au béton et au bitume pour créer des routes, des parkings et des aéroports, assécher les cours d’écoles ou recouvrir les trottoirs, on commence donc à faire machine arrière.

Non seulement pour minorer l’impact dévastateur des crues, mais aussi pour aider au rechargement des nappes phréatiques, déjà fragilisées par le réchauffement climatique et le sur-pompage.

 

 

Haro sur le bitume dans les établissements scolaires de la région
Alain Sandoz, l’enseignant-chercheur qui copilote le projet (avec l’ingénieure Laure Moreau) pour le compte d’Aix-Marseille-université
De la crèche jusqu’à l’université

Longtemps négligé – quand ce n’était pas nié – par les autorités, le phénomène est aujourd’hui pris très au sérieux. En juin 2019, l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse a donc lancé un appel à projet intitulé « Un coin de verdure pour la pluie ». Avec comme objectif de désimperméabiliser en priorité les espaces extérieurs des établissements scolaires « de la crèche jusqu’à l’université », précise Annick Mièvre, directrice régionale de l’Agence de l’Eau.

Inclus fin 2020 dans son « Plan Rebond », traduction du plan de relance national post-Covid pour l’Agence de l’Eau, cet appel à projet a été gagné par Aix-Marseille-Université (AMU). Le dossier était présenté par Alain Sandoz, directeur du service pluridisciplinaire de la Faculté des Sciences, et l’ingénieure Laure Moreau. Les deux sites proposés sont les campus de Saint-Charles et de Saint-Jérôme, à Marseille. L’enjeu, c’est d’abord de mieux comprendre les dynamiques d’infiltration des eaux dans des sols débarrassés de leur revêtement de surface, via une étude de faisabilité. C’est ensuite de mettre au point un protocole de désimperméabilisation duplicable sur d’autres sites méditerranéens.

 

Infiltration naturelle et îlots de fraîcheur

Outre le problème du ruissellement, cette étude a également vocation à traiter la question du réchauffement climatique. En proposant par exemple la création d’îlots de fraîcheur là où, pour l’heure, règnent la pierre et le béton. « Ces îlots seront de plus en plus nécessaires en été, et nous avons besoin de retrouver des sols nus pour les créer ou les recréer », souligne Alain Sandoz.

Sur cette terre remise au jour, on pourra à nouveau planter des arbres et des végétaux que la pluie arrosera. Et qui fourniront ombre et humidité en période estivale, en plus de soustraire quelques tonnes d’eau au réseau d’assainissement. Ces arbres et végétaux, qui seront autant d’abris pour les oiseaux et les insectes, favoriseront aussi le retour de la biodiversité en ville.

 

Déconnecter le pluvial de l’assainissement
Haro sur le bitume dans les facs et les écoles 1
Le campus Saint-Jérôme à Marseille @ DR

Atteindre ce double objectif impliquera évidemment une meilleure gestion du drainage, du stockage et de l’infiltration des eaux de pluie sur les sites concernés. « De ce point de vue, les campus de Saint-Charles et Saint-Jérôme sont de très bons exemples, assure l’enseignant-chercheur. Ils ont été construits à une époque où on mettait du bitume partout. Le retirer fera donc une plus grande différence qu’ailleurs. » L’idée est aussi – et même surtout – de maximiser l’infiltration afin de limiter les volumes à évacuer via le réseau de collecte des eaux pluviales, qui se confond souvent avec celui des eaux usées à Marseille. « Déconnecter le pluvial de l’assainissement, c’est une priorité partout où les réseaux ne sont pas séparés, souligne Annick Mièvre. Car ce type de fonctionnement génère d’importantes pollutions des eaux. » 

À Marseille, le problème touche aussi le littoral. En cas de fortes pluies, les réseaux saturent en effet très vite et obligent à court-circuiter la station d’épuration. Ce qui revient à tout envoyer, eux de pluies et eaux usées, directement à la mer. D’où le scénario désormais classique de plages fermées à la baignade après chaque orage.

 

 

Un thème de travail pour les étudiants

L’autre aspect de ce projet d’AMU, c’est qu’il mobilise, outre une douzaine d’enseignants-chercheurs autour d’Alain Sandoz et Laure Moreau, des étudiants de plusieurs filières d’Aix-Marseille-Université. Ce travail que l’Agence de l’Eau finance à hauteur de 187 000 euros intéresse en effet l’aménagement urbain, le paysage, la biodiversité, l’hydrologie, la pédologie, la géologie… Autant de disciplines enseignées sur les campus d’AMU, y compris à Saint-Charles et Saint-Jérôme.

 

Marseille, Aix, Nice… même combat

Pour autant, l’opération ne se cantonne pas aux universités. Dans la cadre du même appel à projet, la Ville de Marseille a en effet proposé un test sur deux écoles, avant une éventuelle extension à d’autres établissements de la commune. « Nous avons aussi Aix, qui s’est engagée à traiter ses 70 écoles avant 2026, détaille la directrice régionale de l’Agence de l’Eau. Mais aussi des communes comme Les Arcs, Valbonne, Nice ou Grimaud, qui ont adopté la même démarche. »

La Région s’est également lancée, afin d’étudier la faisabilité de l’opération dans les lycées. De même que le département des Bouches-du-Rhône, le seul de Provence-Alpes-Côte d’Azur à s’être pour l’heure engagé à étudier la désimperméabilisation de ses cours de collèges. Avec à la clé des subventions de l’Agence de l’Eau couvrant 50 à 70% de la dépense, ce qui devrait faciliter l’extension de l’opération à d’autres collectivités. La Méditerranée ne s’en portera que mieux, puisque c’est elle, in fine, qui recueille l’ensemble de ces eaux, polluées ou non. ♦