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Vivre chez soi malgré une maladie de Charcot

Par Agathe Perrier, le 21 juin 2021

Journaliste

Guilhem Gallart, alias Pone © DR

Trakadom veut aider les personnes atteintes de la maladie de Charcot à vivre chez elles plutôt qu’à l’hôpital. À la tête de cette association, Guilhem Gallart. Son nom vous dit quelque chose ? Rien d’étonnant. Sous le pseudo « Pone », il a été l’un des fondateurs du groupe de rap marseillais Fonky Family. Lui-même touché par cette pathologie neurodégénérative, alité depuis cinq ans, il mène un double combat : contre la maladie et aux côtés des autres patients et leur famille.

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C’est un « bad boy » – en référence au titre d’un album et d’un single de la Fonky Family – au grand cœur. Guilhem Gallart, ou Pone pour les fans du groupe marseillais, a beau être tétraplégique, alité et intubé, il n’en demeure pas moins actif afin d’aider ses pairs. Ceux qui, comme lui, ont vu leur vie chamboulée par la maladie de Charcot. Aussi connue sous le nom de sclérose latérale amyotrophique (SLA), elle se traduit par une perte des neurones qui commandent notamment la marche, la parole, la déglutition, la respiration. Elle mène en d’autres termes vers la paralysie totale. « Quand on me l’a confirmé en 2015, ça a été un tsunami », confie Pone, âgé aujourd’hui de 48 ans (voir bonus).

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Pone est l’un des membres fondateurs du groupe de rap marseillais Fonky Family © DR

Deux ans après ce diagnostic, il est hospitalisé en réanimation suite à une détresse respiratoire. C’est là qu’il fait le choix de la trachéotomie. « En gros, on vous alimente en air via un tube qui s’insère sous votre gorge. Pas très ragoûtant, je vous l’accorde, mais c’est indolore et c’est le prix à payer pour vivre », explique-t-il sur son site La SLA pour les nuls. C’est également à ce moment qu’il opte pour la gastrostomie, un trou dans l’abdomen pour amener de la nourriture directement dans l’estomac. « Fuck la mort ! »,défie-t-il. Tous ne font pas ce choix, synonyme bien souvent d’un placement en institution. Pas pour Pone, qui a demandé dès le début à retourner chez lui. Et souhaite désormais offrir cette possibilité à tous.

 

La formation au cœur du projet

Pone a ainsi fondé début 2021 l’association Trakadom avec les docteurs Thierno Bah et Sylvain Garnier. Objectif premier : permettre aux patients de vivre à domicile en formant tous les proches – soignants comme famille – aux soins liés à la trachéotomie. « C’est tout à fait possible à condition que ces personnes accompagnent le projet de vie du patient. L’expérience de Guilhem le montre et a servi de point de départ au projet », expose Sylvain Garnier, médecin réanimateur au CHU de Nîmes.

Lors de son hospitalisation en 2017, Pone a passé deux mois en réanimation dont un à préparer les démarches pour son retour à domicile. « Le parcours de soins à la maison est compliqué étant donné que personne n’y est formé. Mon cas a été d’autant plus singulier que j’ai été le premier patient du département à rentrer chez lui avec une trachéotomie ventilée », explique-t-il.

Ses journées ont longtemps été rythmées par les allées et venues des soignants, auxiliaires de vie et infirmiers. Mais ça, c’était avant. Depuis un an, c’est sa femme Wahiba qui réalise ces soins car le cabinet d’infirmiers qui s’en occupait jusqu’alors s’est retiré. « La tarification des actes à domicile fait que ce n’est pas rentable pour eux de s’occuper de tels patients. C’est pourquoi notre projet est important : il peut répondre à des problématiques extrêmement humaines qui dépendent de contingences très matérielles », souligne Sylvain Garnier.

 

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Pone communique aujourd’hui grâce à ses yeux et un logiciel de poursuite oculaire © DR
Un projet à partager

Outre la formation de l’entourage des patients, Trakadom s’est investi dans d’autres missions. « On s’est rendu compte qu’il fallait aussi travailler sur la manière d’aborder les patients et familles quand ils arrivent en réanimation, afin de les accompagner et de les rassurer pour garantir leur sécurité psychologique », glisse le médecin. Un champ d’actions amené à être davantage étoffé par la suite, en fonction des retours des patients. Comme le fait remarquer Sylvain Garnier : « Ce projet n’aura jamais de date de fin. À chaque avancée, on devra résoudre de nouvelles problématiques ».

L’objectif est ensuite de partager l’expérience engrangée avec le personnel hospitalier des autres établissements français. Car, aujourd’hui, les retours à domicile concernent si peu de patients que les soignants avisent sur le tas. « L’idée est de créer une sorte de « mode d’emploi » de solutions préétablies. Tout n’est évidemment pas transposable mais on peut penser que certaines choses qui marchent à Nîmes fonctionneraient aussi ailleurs ». Les premières formations aux soins liées à la trachéotomie à domicile devraient en tout cas démarrer en septembre prochain.

 

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La pochette de l’EP « Listen and donate », dont l’artiste est à l’origine du visuel © DR
La musique comme financement

Outre la création de son association, Pone travaille sur la rédaction de trois livres. Il a également monté un label avec un ami où il a signé récemment un jeune artiste marseillais. Pour mener de front tous ces projets, il dispose d’un logiciel de poursuite oculaire. « Il s’agit d’une petite barrette que l’on place sous l’écran d’un ordinateur et qui va analyser les mouvements de nos yeux pour piloter ce dernier. Nos yeux deviennent la souris », précise-t-il. Il possède aussi un logiciel de synthèse vocale : il écrit et l’ordinateur parle pour lui. « Sans ces formidables outils, je serais coupé du monde », reconnaît-il.

Grâce à ces technologies, Pone peut toujours s’adonner à sa grande passion : la musique. Il a notamment composé et mixé un album, uniquement avec ses yeux, en 2019. Et ce 18 juin 2021, il sort un EP baptisé Listen and donate (écoute et fais un don en français). L’ensemble des fonds récoltés par les ventes seront intégralement reversés à son association Trakadom. Ainsi que les droits d’auteur générés par les écoutes via les comptes premium des plateformes telles que Spotify, Apple Music, Deezer ou encore Youtube. « Vous comprenez ce qu’il vous reste à faire », glisse l’artiste, décidé à se faire entendre, même sans sa voix. ♦

 

* Le FRAC Provence parraine la rubrique société et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus 

[pour les abonnés] – Les coulisses de cette interview – À propos de la maladie de Charcot – Le livre-témoignage de David Ledun « Prisonnier de mon corps » –

  • Les coulisses de l’interview avec Pone – Guilhem Gallart est trachéotomisé. Cela signifie qu’il est intubé et qu’il ne peut plus parler. Il entend et comprend par contre parfaitement. Vivant à Gaillac, près de Toulouse, et moi à Marseille, l’interview s’est donc faite à distance. Et de façon insolite : je lui posais mes questions par mémo vocal et lui me répondait par écrit grâce à son logiciel de poursuite oculaire. Afin de ne pas le couper dans ses réponses, il m’écrivait « fini » pour me signifier que je pouvais passer à la question suivante. L’échange a ainsi duré deux heures. Encore merci Guilhem d’avoir pris le temps de me répondre malgré ces contraintes logistiques.

 

  • Les origines de la maladie de Charcot – Selon l’institut du cerveau : « Pour 1 patient sur 10, l’origine de la maladie est due à une mutation génétique héréditaire. Dans la grande majorité, 9 patients sur 10, la maladie apparaît après une mutation spontanée d’un gène ». Elle toucherait 7 000 personnes en France et 1 000 nouveaux cas seraient diagnostiqués chaque année. L’espérance de vie des patients est de 2 à 5 ans suivant l’apparition des premiers symptômes. Quant à l’âge de début de la maladie, il se situerait vers 60 ans. Pour en savoir plus sur cette maladie et comment vivre avec, Pone partage son expérience sur son site La SLA pour les nuls.
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  • « Prisonnier de mon corps » par David Ledun (Ed Amphora 2020) – David Ledun, ancien motard de la gendarmerie de l’Hérault vit depuis cinq ans avec cette maladie incurable, qui l’empêche de bouger et de parler. Il raconte cette épreuve bouleversante depuis son fauteuil médicalisé, en communiquant avec deux journalistes grâce au mouvement de ses paupières et un ordinateur. Ce passionné de sport évoque la stupeur et les larmes de la découverte de sa maladie puis le changement brutal et contraint de la paralysie. Il revient sur les difficultés physiques et mentales qu’il doit surmonter au quotidien. Mais aussi et surtout les moments heureux et les émotions vécues dans cette épreuve partagée avec sa femme et ses trois fils. Une lutte familiale contre la fatalité pleine d’amour et d’énergie.