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La Compagnie Fruitière cultive aussi le social

Par Nathania Cahen, le 29 juin 2021

Journaliste

Aide à l’installation de médecins généralistes dans des centres de santé communautaires au Bénin, en Guinée et au Mali @FDDCF

La Compagnie Fruitière, entreprise marseillaise leader dans la production mondiale de fruits et légumes s’implique depuis des années dans la santé de ses salariés en Afrique. Mais avec la création d’un véritable Fonds de dotation animé par la petite-fille du fondateur, la solidarité a gagné d’autres terrains : la culture, l’éducation et l’environnement.

 

J’ai rendez-vous avec Marie-Pierre Fabre à la Friche Belle-de-Mai. Pourquoi là ? Parce que le Fonds de dotation de la Compagnie Fruitière, qu’elle préside, soutient financièrement l’artiste nigérian Emeka Ogboh à qui une grande exposition est actuellement consacrée. On se retrouve autour d’un café aux Grandes Tables. Elle ne ressemble pas à la photo posée de présidente, très naturelle avec sa chemise de lin, ses baskets et ses cheveux lâchés.

 

« Je n’y connaissais rien au mécénat, à la philanthropie… »
La Compagnie Fruitière : son fonds de dotation 1
Marie-Pierre Fabre, présidente du Fond de dotation Compagnie Fruitière @FDDCF

La Compagnie Fruitière est leader européen et premier producteur de fruits de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique. Marie-Pierre Fabre est la petite-fille de Fernand Fabre, qui a fondé cette entreprise de négoce en 1938. Elle se tient longtemps à l’écart de toute cette activité. Pharmacienne, elle tient une officine avec son mari dans la cité Félix Pyat, un quartier sinistré de Marseille, à la Belle de Mai. « Je n’ai aucun don pour le commerce. Et dans la famille, c’est plutôt la charge des hommes – mon grand-père, ensuite mon père Robert, puis mon petit-frère Jérôme… »

Mais en 2017, son père lui propose la présidence du fonds de dotation créé quelques années plus tôt. « Pour conserver la dimension familiale et faire en sorte que chacun joue un rôle dans l’entreprise, avance-t-elle. Je n’y connaissais bien sûr rien au mécénat, à la philanthropie, aux réseaux associatifs… » Alors elle cherche, lit, se documente, affine son projet, fréquente les colloques, sollicite des personnes ressources.

De cette réflexion émergent quatre thématiques : santé, éducation, échanges culturels et artistiques, environnement. À déployer principalement sur deux territoires : Marseille, et l’Afrique de l’Ouest où vivent 17 000 des 20 000 salariés de la Compagnie.

 

Un hôpital au Cameroun dès les années 1990

La dimension « solidaire » de ce producteur mondial de fruits et légumes (plus de 700 000 euros de chiffre d’affaires en 2019) se précise voilà une trentaine d’années. La deuxième génération, incarnée par Robert Fabre, est alors aux commandes du groupe. Observant la situation des équipes travaillant sur les plantations de Côte d’Ivoire et du Cameroun, il perçoit la nécessité d’améliorer l’accès aux soins de ses collaborateurs et salariés, de leurs familles ainsi que le bassin de population alentour. Un hôpital d’une centaine de lits est alors construit à Njombe (à 80 km de Douala). Dans cette zone rurale qui ne comptait que des dispensaires, la population a depuis accès à des soins de qualité, tandis que plus de 700 femmes y accouchent en moyenne chaque année.

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En Côte d’Ivoire, entre Yamassoukro et Abidjan, l’hôpital Saint-Jean Baptiste Bodo @FDDCF

« C’est le début de l’histoire sociale de l’entreprise », commente Marie-Pierre Fabre. En 2015, un second établissement, l’hôpital Saint Jean-Baptiste Bodo est édifié en Côte d’Ivoire, entre Yamassoukro et Abidjan. Géré, comme le précédent, par l’Ordre de Malte. « À côté des pathologies diverses, parfois propres à ces régions, comme le paludisme, ce qui est précieux, c’est d’une part la présence de spécialistes de gynécologie-obstétrique et d’autre part les urgences. Là-bas les routes sont en effet très dangereuses et les transports en commun, bondés. Les nombreux accidents de la circulation font donc beaucoup de victimes », souligne notre interlocutrice.

Après les services classiques de médecine, générale et gynécologie, l’ophtalmologie et l’ORL y ont fait une entrée très récente. Une première opération de la cataracte a ainsi été effectuée en mai dernier.

 

De l’art dans les écoles à la médecine dans les campagnes africaines
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Soutien au projet pédagogique de la ferme urbaine Le Talus, à Marseille, sur la prise de conscience environnementale des jeunes générations @FDDCF

Si d’aucuns soupçonnent les fonds de dotation (en général) de servir de caution ou de niche fiscale (lire bonus), leur action de terrain bénéficie à plus d’un public et leur utilité ne laisse pas de place pour le doute.

Une des premières empreintes de la nouvelle présidence du Fonds de dotation de la Compagnie Fruitière est liée à l’événement « MP2018 Quel amour ! ». Elle finance alors plus de 5 000 mallettes pédagogiques « arty » distribuées dans les écoles de Marseille. L’implication dans l’éducation passe aujourd’hui par l’école de commerce Kedge avec l’attribution de « bourses de vie » à des étudiants d’origine modeste, issus de quartiers défavorisés. Près de vingt étudiants (présélectionnés par la direction de la formation) suivent ainsi leur cursus universitaire de manière sereine, « avec un logement et une existence décents ».

Pour autant, la santé reste toujours présente. Le Fonds apporte son soutien à des organismes engagées dans la lutte contre la malnutrition infantile, des projets de recherche. Avec l’ONG marseillaise Santé Sud, c’est par exemple l’implantation de médecins en zone rurale dans trois pays africains (Guinée, Mali et Bénin). Avec un accompagnement dans les démarches administratives, la mise en relation avec les autorités locales, l’équipement informatique…

 

Près de 30 projets portés
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Des dons alimentaires (bananes) pour les populations sinistrées durant le premier confinement @FDDCF

La culture a pris une place importante dans les actions du Fonds de dotation Compagnie Fruitière. Souvent en lien avec l’Afrique, à l’image de la résidence de l’artiste camerounais Abdias Ngateu à la Friche Belle de Mai. « Cela n’a pas été facile de le faire venir, souligne Marie-Pierre Fabre. Il n’y avait plus assez de carton dans son pays pour fabriquer les couvertures de passeports ! Il a donc été très étonné de voir autant de cartons abandonnés dans les rues et les poubelles de Marseille. Cela nourrit son travail et sa réflexion sur ces villes traversées par le désordre et la précarité ».

L’environnement est la cause qui monte depuis 2020. Avec par exemple le projet d’équiper en panneaux solaires le toit d’une école hôtelière de Madagascar. Ou plus près de nous, l’intention en partenariat avec le Fonds ONF – Agir pour la forêt de replanter des cèdres de l’Atlas et des sapins de Céphalonie dans la forêt domaniale de Saint-Lambert (au nord du Luberon). « Il s’agit de diversifier la régénération naturelle par des plantations complémentaires. Car un bon taux de renouvellement permettra de composer le peuplement de demain, plus diversifié, plus riche et plus résilient aussi aux évolutions climatiques. »

Au total, près de 30 projets sont, ou ont déjà été portés.

 

 

« Le bénévolat m’impressionne »

Marie-Pierre Fabre qui consacre aujourd’hui la moitié de son temps à la fondation et l’autre à sa pharmacie, ne regrette pas son implication : « C’est extrêmement enrichissant, je rencontre des personnes remarquables. Des associations précieuses sur lesquelles s’appuyer. Le bénévolat m’impressionne. Je ne prends pas le temps d’en faire, mais j’admire ceux qui s’engagent ».

Un bilan ? « Mais il est trop tôt ! s’offusque la présidente. Je doute encore de mes choix, je me demande si on ne s’éparpille pas trop. Nous allons donc faire un audit avec un cabinet de conseil qui va nous accompagner. Nous aider à nous professionnaliser, mieux définir nos axes d’intervention. »

Parmi les cinq membres que compte sa petite équipe, trois sont des salariés de l’entreprise ayant transféré une partie de leur temps de travail sur du mécénat de compétence. « Il est important qu’un lien existe entre les deux entités, même si le Fonds de dotation est indépendant. Nous voulons partager des valeurs communes, comme l’humanisme ». De nouvelles pistes de réflexion se dessinent aussi, notamment autour de l’alimentation saine, locavore et durable. ♦

 

Bonus
  • Fonds de dotation. Le fonds de dotation est un organisme de mécénat destiné à réaliser, ou à aider un autre organisme à but non lucratif à réaliser une œuvre ou une mission d’intérêt général. La dotation initiale pour créer un fonds de dotation est fixée à 15 000 euros minimum.

À compléter avec cet article intéressant (et discutable) de la Tribune (2014) : « Les fonds de dotation, paradis fiscal de la philantropie« .

 

  • Du bon, du bio. Jérôme Fabre, PDG de La Compagnie Fruitière, à l’occasion d’une ITW au magazine Jeune Afrique en septembre 2017 : « Produire du bio n’est pas faisable aujourd’hui dans toutes nos plantations. En revanche, produire équitable est possible partout, c’est un choix sociétal, d’entreprise. J’aimerais que 30 à 40% de la production commercialisée soir en bio, équitable ou les deux ».

Le label Fairtrade Max Havelaar certifie plusieurs filiales du groupe (PHP et GEL), en faisant ainsi le premier producteur au monde de bananes issues du commerce équitable (en hectares certifiés).

 

  • Avec la Fondation de Marseille. En avril 2020, le fonds de dotation a rejoint l’opération #MarseilleSolidaire, lancée par la Fondation de Marseille. Et soutenu l’aide alimentaire pour les familles les plus fragiles en soutenant l’association Pain et Partage.