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Parade, un spectacle qui met la scène à portée de tous

Par Benjamine Lobier Milliat et Agathe Perrier, le 19 juillet 2021

Journaliste

La première étape du spectacle Parade a été présentée lors du Festival de Marseille 2021 © Pierre Gondard

La scène (comme la ville) n’est pas vraiment adaptée aux handicapés. Avec son spectacle inclusif Parade, la compagnie L’Autre Maison veut montrer qu’en réfléchissant autrement et en s’ouvrant à la différence, il est possible de leur donner leur place. Une façon aussi de faire évoluer nos idées sur la culture et le spectacle.

 

Ils sont dix-huit, âgés de 10 à 69 ans. Certains présentent un handicap physique, d’autres un handicap invisible, voire aucun. Des professionnels, et une majorité d’amateurs. Ensemble, ils forment une troupe, se produisent sur scène dans Parade, un spectacle mêlant danse, théâtre… et de nouvelles formes d’expression. Les leurs. Un langage artistique inédit et futuriste, où la mixité prime, s’efface parfois même. « Toute la chorégraphie, le texte, la musique et la scénographie partent d’une question d’accessibilité. Tous ces éléments aident les performeurs à s’orienter dans l’espace », explique Andrew Graham, chorégraphe et co-initiateur du projet porté par l’association L’Autre Maison. Sans compter la forte entraide au sein du groupe. « Les sons nous guident, mais aussi la bonne volonté de tous », précise André, non-voyant et doyen de la troupe à presque 70 printemps. C’est là tout l’esprit de Parade.

 

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Parade 2022 est une réécriture d’un ballet du 20ème siècle © Pierre Gondard
La réécriture d’un ballet surréaliste

Pour monter ce spectacle, Andrew Graham est parti de l’œuvre Parade créée en 1917 par la compagnie des Ballets russes. Ce ballet est alors le fruit d’une collaboration entre plusieurs grands artistes de l’époque, dont Cocteau et Picasso (bonus). Qualifié d’avant-gardiste, ce spectacle s’est à l’époque fait remarquer par la diversité de ses formes artistiques. Avec des danseurs habillés de machines et d’accessoires qui déforment l’aspect de leur corps et ainsi son mouvement naturel. « Comment se réapproprier ce vieux ballet du 20e siècle ? », s’est questionné le chorégraphe. Son interprétation est une réécriture de la première version jugée « surréaliste », avec une touche à la fois moderne et futuriste. « Il faut être réceptif à toute la magie qui se dégage sur scène », prévient-il en guise d’avertissement. Pour profiter pleinement de ce spectacle si particulier.

 

 

La force du collectif

Cette magie dont parle Andrew Graham s’est construite au fil des répétitions, démarrées en janvier 2021. Les dix-huit performeurs se sont réunis trois fois à raison d’une semaine entière. Ils ont travaillé par groupe, chacun apportant sa pierre à l’édifice. « Un spectacle doit reposer sur un collectif qu’il faut prendre le temps de construire. On ne doit pas leur dire exactement quoi faire, il faut aussi que les choses partent d’eux », souligne Béatrice Pedraza, metteuse en scène chargée de la direction des acteurs de Parade.

Amateurs et professionnels, valides et handicapés, tous ont d’ailleurs été logés à la même enseigne. « C’est valorisant pour nous, car ça signifie qu’ils nous considèrent capables de faire quelque chose de bien », apprécie André. Un avis partagé par Agnès, heureuse de vivre cette expérience aux côtés de sa fille Maëlle, handicapée moteur. « Je n’aurais jamais imaginé pouvoir un jour danser avec elle », confie la maman. La fillette, à l’instar de n’importe quel autre performeur, est pleinement intégrée à l’ensemble. Quand tous se regroupent pour former une chaîne humaine par exemple, cette ligne mouvante encercle Maëlle, la libère, l’entoure de nouveau dans un ballet très différent de l’ordinaire. Captivant.

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Parade mêle une hétérogénéité de profils © Pierre Gondard

 

Un spectacle pour lever les freins

Une telle hétérogénéité de profils réunie dans un spectacle relève quasiment de l’inédit. De l’exceptionnel que Béatrice Pedraza veut rendre normal. « L’objectif est de changer l’idée qu’une scène n’est réservée qu’à des personnes capables de monter dessus », expose-t-elle. D’où cette volonté de laisser les performeurs s’exprimer à leur façon. Parfois par des mouvements et des mots, mais aussi par des bruits, des cris, des respirations, des silences. « Plus il y aura de profils différents sur scène, moins les différences se verront », souligne la metteuse en scène. Les performeurs ont d’ailleurs chacun un salaire d’intermittent, tous au même niveau. Une démarche peu commune et surtout un pas supplémentaire et non négligeable pour faciliter l’employabilité des personnes en situation de handicap.

 

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La version finale de Parade sera présentée en 2022 © Pierre Gondard
« Ce n’est que le début ! »

Les 9 et 10 juillet derniers, le collectif a présenté la première mouture du spectacle à l’occasion du Festival de Marseille. Les deux dates ont affiché complet. Chose plutôt rare, le public a été amené à donner son opinion à la fin de la représentation. Cette dernière sera alors prise en compte pour la version finale de Parade, qui sera révélée en 2022. Le spectacle sera d’ailleurs cette fois présenté dans une scénographique spécialement créée – il en est pour le moment dépourvu. « Ce n’est que le début ! », glisse Andrew Graham. Pour Parade, mais aussi pour l’évolution de la place des personnes handicapées, sur scène comme dans la vie. C’est en tout cas ce que l’on peut espérer. ♦

 

* Le La Villa Médicis de Cassis parraine la rubrique « Culture » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus 
  • Un spectacle produit par le Festival de Marseille – Parade s’inscrit dans le cadre du projet européen BePart, avec le soutien du programme Europe créative de l’Union européenne et en partenariat avec KLAP, Maison pour la danse de Marseille.

 

  • La réécriture d’un ballet surréaliste – Parade est un ballet de la compagnie des Ballets russes créé en 1917. Il s’agit d’ailleurs d’une œuvre collective de commande, écrite par Jean Cocteau, sur une musique d’Erik Satie, chorégraphié par Léonide Massine et scénographié (décors, costumes et rideau de scène) par Pablo Picasso. Ce ballet sera le premier à être qualifié de surréaliste par Guillaume Apollinaire. Sa première représentation a néanmoins déclenché l’hostilité du public et de la critique. La musique a notamment été traitée de bruit inadmissible par les plus conservateurs. Les costumes ont aussi été jugés beaucoup trop grands et accusés de « casser la gestuelle du ballet ».