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Les Marseillais retrouvent leur paradis perdu

Par Marie Le Marois, le 10 août 2021

Journaliste

La cascade des Aygalades,

[redif en lecture libre] Les Aygalades est le second fleuve côtier de Marseille. Son lit naît dans le Massif de l’Étoile et se jette dans la mer au niveau d’Arenc. Pourtant, peu le connaissent. Autrefois, ses rives étaient un lieu de villégiature pour la bourgeoisie marseillaise, avant de devenir inaccessibles et polluées. La pugnacité de collectifs et d’associations a permis d’en valoriser quelques tronçons. Ce fleuve n’est pas une légende, je l’ai vu couler de mes propres yeux.

 

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Julie De Muer, guide des Conférences Sauvages, au départ du sentier

En empruntant le nouveau sentier, sous la Cité des Arts de la rue, j’ai la sensation de descendre dans les entrailles du paradis. Ce paysage est tellement inattendu quand l’environnement d’en haut n’est que béton et circulation. Le sol est jonché de feuilles mordorées, des figuiers bordent le sentier, les flots libèrent un délicieux glouglou. J’imagine aisément les Marseillais venant pique-niquer le dimanche au début du XXe siècle. Avec Julie De Muer, coiffée de sa triple casquette d’Hôtel du Nord, du Bureau des guides du GR2013 et du collectif des Gammares (bonus), je m’offre même le luxe de traverser la rivière pieds nus pour atteindre la berge d’en face.

Quelques mètres plus loin se découvre la cascade. Haute de neuf mètres, elle est sublime. C’est ici que je mesure toute sa majesté. Avant que le site ne soit défriché et revalorisé grâce à un chantier d’insertion porté par La Cité des Arts de la Rue, il était enseveli sous un amas de végétation et de détritus. Jeté dans les oubliettes de la mémoire.

 

(Re)découvert en 2007

Comment a t-on pu abandonner cette merveille ? Raymond Ciabattini, président de l’Association des Amis des Aygalades, évoque « l’urbanisation et l’industrialisation galopante fin XIXe ». Mais ce qui en a sonné définitivement le glas, ce fut la construction de l’autoroute A7 à Marseille, en service dès 1951. Le fleuve, dont le nom d’Aygalades signifie littéralement ‘’eaux abondantes’’ (mais qui s’appelle également Caravelle à Septèmes), est alors relégué au rang de poubelle, dévié, assaini ou canalisé à certains endroits. Rendu invisible, notamment sous l’autoroute et dans le quartier d’Arenc. Sa source, elle, est cannibalisée par une usine et polluée par une autre (bonus). Raymond, avec d’autres dont Christine Breton, conservatrice du patrimoine et co-fondatrice d’Hôtel du Nord, a commencé à débroussailler en 2005 un chemin pour atteindre la cascade. « Une découverte. Plus personne ne s’en souvenait », raconte t-il encore ému.

 

Travail de mémoire
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La Cascade en 1911

Au départ, ces explorateurs se sont intéressés à la cascade comme élément du patrimoine du quartier des Aygalades, au même titre que l’église, la savonnerie du Midi et la grotte-ermitage située sur la rive droite de la rivière. Tous témoignent d’une époque où le quartier des Aygalades était un village cossu avec une dizaine de châteaux et bastides (château des Aygalades, château Falque…), ses collines, fontaines, sources, et sa bourgeoisie qui venait y chercher de la fraîcheur. « Les Aygalades étaient la seule arrivée d’eau, avec l’Huveaune et diverses sources, avant la création du canal de Marseille », rappelle Julie De Muer, mon guide.

« L’histoire de la rivière est également spirituelle : Marie-Madeleine, qui venait des Saintes-Maries de la Mer, se serait abritée dans la grotte-ermitage avant de rejoindre la Sainte-Baume. Il reste des vestiges de l’ermitage du XIIIe siècle, qu’on peut voir depuis l’autoroute ». N’y voyez aucune nostalgie de la part de Julie. Mais connaître l’histoire du quartier, « ouvrir l’imaginaire », permet aux habitants de se mobiliser pour leur territoire.

 

Sauver le fleuve

L’intérêt pour le patrimoine s’est propagé à l’environnement. En réduisant le fleuve à une poubelle, la ville s’est privée d’un poumon vert. En 2017, l’association MerTerre a été mandatée par Euromed 2 (bonus) pour diagnostiquer les déchets du ruisseau des Aygalades. Bilan ? « Une catastrophe. Nous avons remonté le cours d’eau sur 2,5 km à partir du boulevard du Capitaine Guez et trouvé 79 m3 de déchets. C’est énorme ! », lâche la fondatrice, Isabelle Poitou. Riverains, professionnels du bâtiment, industriels y jettent ni vu ni connu leurs déchets : électroménager, pots de peinture, emballages, vêtements… (lire le récit de la balade Toxic Tour#2).

Soigner le fleuve, c’est aussi sauver la Méditerranée. Comme nous l’avait expliqué dans nos colonnes Isabelle Poitou de MerTerre, les déchets descendent vers la mer par les bassins versants, et donc par les Aygalades. En cas de pluies diluviennes comme en novembre, la rivière déborde, charriant avec elle tous les détritus laissés sur ses rives jusqu’à la mer. Puis la mer vient vomir sur son littoral ce qu’elle n’arrive pas à digérer.

 

Mobilisation des citoyens
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les Ayglades en eau. Hélas, ce n’est pas toujours le cas.

La tâche est immense. Mais depuis quelques années, des citoyens à Septèmes-les-Vallons et Marseille se mobilisent le long du fleuve, via des opérations de nettoyage. La dernière était ‘’la balade du Capri Sun’’ du nom de cette boisson à la mode qui colonise les berges. Organisée en mai par le Bureau des guides du GR2013, dans le cadre de l’opération Calanques Propres et le sillage du tout nouveau collectif des Gammares, elle a relié le début du fleuve aux Aygalades et réuni 300 personnes. Au-delà d’une utile action de nettoyage, elle a donné naissance à des récits. Prendre soin du fleuve, des berges et des arbres permet de créer des îlots de fraîcheur urbaine, purifier l’air, favoriser la biodiversité et la circulation des espèces. Celle des hommes aussi.

 

Revalorisation du territoire

Nous emmener découvrir les Aygalades, son histoire et sa complexité, c’est la mission que s’est fixé chaque premier dimanche du mois le Bureau des Guides. Cela a démarré en 2015, avec « un vieux fantasme » : remonter le fleuve jusqu’à sa source. « Nous l’avons fait en deux jours et en bottes avec les artistes du collectif SAFI, des écologues, les associations d’habitants et les responsables des futurs aménagements en aval du ruisseau », raconte Julie De Muer. Cette aventure a généré pleins d’histoires et des « Conférences Sauvages » (bonus). Julie en est le guide et Raymond, un des conférenciers.

Les citoyens se mobilisent de plus en plus autour du fleuve, et la création en 2019 du collectif Les Gammares en est la preuve : il rassemble une dizaine d’associations, structures et habitants souhaitant le raconter et le protéger. Peut-être qu’un jour, les Marseillais pourront à nouveau se rafraîchir l’été à l’ombre des figuiers. Et les enfants du quartier, s’ébattre dans l’eau. Pour reprendre les propos de Raymond : « Là où il y a de l’eau, il y a de la vie » ! ♦

*article publié le 29 novembre 2019

 

* Nos soutiens 9parraine la rubrique « Environnement » et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus  
  • Conférences Sauvages. La cascade est sur le terrain affecté par la ville à la Cité des Arts de la Rue qui, peu à peu, restaure accès et cheminement au ruisseau dans cette parcelle. Il est possible de l’admirer tous les premiers dimanches du mois au cours de Voix d’eau, cycle de conférences sous la Cascade des Aygalades. Une série de points de vue pour entendre parler du territoire de l’eau et plus particulièrement du devenir du ruisseau. Inscriptions ici.

 

  • Qui pollue les Aygalades ? – La Caravelle (nom des Aygalades à Septème) puise ses sources dans le Massif de l’Étoile avant de converger en un fleuve à la lisière de Septèmes et Bouc-Bel-Air. Or, à cet endroit-là exactement se trouve l’entreprise Lafarge, installée depuis 1958… Extrait du récit de la balade Toxic Tour#2 ‘’Lafarge y exploite une carrière et une cimenterie. Au fil du temps, la carrière a excavé la roche formant peu à peu deux lacs constitués des multiples sources du vallon. Ces lacs sont plus bas que le niveau naturel du ruisseau et ont de fait capté l’eau et fortement bouleversé le débit, l’eau n’étant plus versée dans le lit que par pompage, en fonction des niveaux d’eau de ces bassins de rétention à vocation industrielle. Quant à l’eau qui coule sous nos yeux, elle est également très liée à un usage industriel, celui de la société SPI Pharma qui fabrique des produits pharmaceutiques notamment à base de sels d’aluminium’’. Julie De Muer, qui était de cette balade, confie que depuis deux ans, grâce à la commune de Septème qui est très active, l’industrie Lafarge effectue des lâchers d’eau l’été pour nourrir les arbres « mais il n’est pas question de plus pour le moment », se désole-t-elle.

 

  • La Gazette du Ruisseau et projets de valorisation

‘’La Gazette du Ruisseau – des nouvelles du fleuve côtier ’’ est réalisé par le collectif des Gammares. Ce journal papier est distribué gratuitement deux fois par an dans les structures sociales, culturelles et les commerces du quartier. Parmi les projets à venir, de multiples balades proposées par le Bureau des Guides et la coopérative d’habitants Hôtel du Nord. Notamment pour relier, à partir du ruisseau, le plateau de la Viste, Saint Antoine ou le Parc Billoux. Et pourquoi pas un jour aboutir à une variante du GR2013 ?

 

  • Euromed 2 veut rouvrir les Aygalades – L’idée de cette opération de rénovation urbaine est de rouvrir le fleuve sur 2 km du Parc Billoux jusqu’à la mer dans le cadre du projet d’un parc (voir ici). La question posée par le collectif des Gammares reste la réalité de la restauration du fonctionnement écologique du ruisseau en prolongement de cette opération.