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Laisser la nature sauver les tortues d’Hermann

Par Agathe Perrier, le 14 septembre 2021

Journaliste

Photo d'illustration © Pixabay

Il y a tout juste un mois, un incendie a ravagé 7 000 hectares du massif des Maures, dans le Var. Les caméras de toute la France se sont alors braquées sur cet espace naturel, et particulièrement sur l’un de ses habitants, la tortue d’Hermann. Si environ 40% de sa population a péri dans les flammes, les spécialistes ne sont pas inquiets. L’espèce pourra régénérer à une condition : laisser la nature renaître de ses cendres.

 

C’est un triste spectacle que la plaine des Maures n’avait plus connu depuis 1979. Le lundi 16 août dernier, un incendie s’est déclaré dans ce « hotspot » de biodiversité. Pendant plusieurs jours, les flammes se sont propagées à vive allure, embrasant tout ce qui se trouvait sur leur passage. N’épargnant ni la végétation ni les 240 espèces protégées qui y vivent. À l’image de la tortue d’Hermann, seule tortue terrestre de France. La réserve naturelle des Maures est l’un de ses derniers bastions dans l’Hexagone (voir bonus). Le grand public s’est depuis lors pris d’affection pour ces reptiles aux carapaces brûlées, tout comme il s’était ému devant les images de koalas déshydratés lors des incendies ravageant l’Australie fin 2019.

 

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Une tortue d’Hermann calcinée après l’incendie dans le massif des Maures en août 2021 © DR
L’espoir malgré le drame

Un mois après, le bilan est dramatique : 70% de la réserve naturelle des Maures a été parcourue par l’incendie. Mais une « bonne surprise » apparaît toutefois derrière ce tableau noir. « Seulement, entre guillemets, 40% à 45% des populations de tortues d’Hermann ont été retrouvées mortes. Contre 90% à 95% en 2017 suite à l’incendie sur les caps de Saint-Tropez », compare Sophie Séjalon, déléguée adjointe au Conservatoire du littoral en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Cela s’explique par le fait qu’un grand nombre de tortues s’étaient enterrées à cause des fortes chaleurs les jours précédant l’incendie. De plus, le feu est passé très vite et a finalement peu chauffé le sol. Les individus ensevelis sont donc ressortis indemnes. Les plus calcinés ont paradoxalement été ceux qui se trouvaient à proximité des cours d’eau, et donc à découvert. Les spécialistes ont néanmoins bon espoir de voir les populations se régénérer dans les années à venir. À condition que certaines dispositions soient respectées.

 

 

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La plaine des Maures après l’incendie d’août 2021 © DR
Laisser la nature renaître par elle-même

Et la première d’entre elles est de ne rien faire. Des mesures d’urgence dans ce sens ont été lancées directement après l’incendie. Par les spécialistes mais pas que. « Des dizaines de personnes se sont portées volontaires pour donner un coup de main. Elles ont participé au recensement et au sauvetage des tortues », raconte Sophie Séjalon. Hydratation des survivantes, soins aux blessées, pointage des décédées… Une aide précieuse et bienvenue qui n’est plus de mise aujourd’hui. « La pluie est tombée depuis donc les tortues s’hydratent par elles-mêmes. Pour la nourriture, elles se débrouillent avec la végétation restante. Tout n’a pas été entièrement brûlé, le feu a laissé des poches vertes ». Une aubaine pour l’ensemble de la biodiversité du site.

Reste maintenant à laisser la nature renaître de ses cendres… et l’empêcher de flamber à nouveau. Pour que les populations de tortues se reconstituent, le Conservatoire du littoral estime en effet qu’il ne faut pas plus d’un incendie tous les 40 ans. Le dernier dans la plaine des Maures remonte justement à 42 ans en arrière, en 1979. « Les pompiers ont d’ailleurs réussi à préserver une zone qui n’avait pas été touchée à cette époque et où se trouve un gros noyau de tortues. On a espoir que ces individus essaiment dans le reste de la réserve où les populations ont été mises à mal », confie l’experte. Et permettent à l’espèce de se régénérer naturellement.

 

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« Les tortues ne sont pas des animaux domestiques », rappelle Sophie Séjalon © AP
Les fausses bonnes idées pour aider les tortues

Si les spécialistes ont évidemment apprécié la forte mobilisation de la population autour des reptiles varois, ils mettent en garde contre les fausses bonnes idées qui ont émergé. Comme relâcher sa tortue dans la plaine des Maures pour la repeupler. « On a de très forts doutes sur la capacité des tortues captives à s’adapter au milieu naturel. Surtout, elles peuvent être porteuses de germes et transmettre des maladies à leurs congénères sauvages », expose Sophie Séjalon. Sans compter ce que les experts nomment la « pollution génétique ». Nombre de tortues en captivité sont le fruit d’hybridations, à savoir des mélanges entre différentes espèces. Reproduire ces métissages avec les tortues d’Hermann de la plaine des Maures pourrait bouleverser leurs capacités d’adaptation en milieu naturel. Cela vaut d’ailleurs de façon générale !

D’autres bonnes âmes ont proposé d’adopter une tortue pour la mettre dans leur jardin afin de la préserver des menaces. « Il faut déjà préciser que c’est interdit car la tortue est un animal protégé. Un jardin est de plus loin d’être suffisant pour son bien-être puisque son domaine vital est de 10 hectares ». Pour rassurer les plus inquiets, il est bon de rappeler que le métabolisme des tortues leur permet de vivre des semaines sans boire, ni manger, notamment pendant leur hibernation. Elles sont adaptées à de telles conditions depuis des millions d’années… même si de notre point de vue d’humain cela semble impossible. « Les tortues ne sont pas des animaux domestiques », appuie l’experte. Et de conclure avec cette image éloquente pour convaincre les plus dubitatifs : « Avoir une tortue dans son jardin est aussi cruel que garder un poisson rouge dans un bocal ». ♦

 

Bonus 
  • La tortue d’Hermann en danger – La tortue d’Hermann est actuellement l’un des reptiles les plusmenacés à l’échelle européenne et mondiale. Son déclin s’est amorcé très tôt en Europe occidentale(Italie, France, Espagne) où son maintien devient de plus en plus précaire. En France, l’espèce ne subsiste plus qu’enCorse et, en effectifs réduits, dans le Var. Les mesures mises en œuvre pour la préserver n’ont pas permis d’enrayer le processus de déclin, dû à des causes multiples : urbanisation et aménagement du littoral méditerranéen, incendies de forêts, collecte illicite de spécimens, abandon des pratiques agro-pastorales traditionnelles. « Si des mesures efficaces ne sont pas mises en œuvre dans les meilleurs délais, on peut craindre la disparition de la dernière population continentale et le déclin rapide des populations de la Corse », peut-on lire dans le Plan national d’actions en faveur de la tortue d’Hermann (2009-2014).

 

  • Quelques recommandations au cas où vous croiseriez une tortue – Si elle est en bonne santé, il faut la laisser tranquille ! Surtout ne pas la déplacer, ni la prélever. Si elle est vivante mais blessée, il est demandé de noter sa localisation exacte avant de l’emmener au Centre de soin de la faune sauvage de la SOPTOM situé au Village des Tortues à Carnoules. Dans le cas où la tortue est décédée: ne pas la toucher, la laisser sur place, prendre une photo et la localisation exacte, puis la transmettre à contact@soptom.org.

 

  • Je ne veux plus de ma tortue. Si vous détenez une tortue en captivité et que vous souhaitez vous en séparer, contactez le Village des Tortues de Carnoules. L’établissement les recueille sur rendez-vous. Plus d’infos en cliquant ici.