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Duvivier, un modèle de viticulture durable

Par Frédérique Hermine, le 21 septembre 2021

Journaliste

À Pontévès, dans le Haut-Var, le château Duvivier se veut depuis près de 30 ans un modèle de développement durable à la mode helvète. C’est le laboratoire in situ de la méthode Delinat, première entreprise de vin spécialisée dans le commerce bio, créée en Suisse par Karl Schefer. Le domaine conjugue ainsi sans modération la vigne avec biodiversité, permaculture et agroforesterie.   

 

Le château Duvivier, terre d’expériences varoise de la société suisse Delinat, est certifié bio mais suit depuis déjà plus d’un quart de siècle un cahier des charges viticole et vinicole encore plus rigoureux que le label AB et qui comporte également un volet plus global de RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale) et de biodiversité. En 2014, Karl Schefer dont la société labellise désormais une centaine de domaines en Europe dont une demi-douzaine en France avait d’ailleurs reçu le prix européen Binding pour la protection de la nature et de l’environnement.

 

Think tank et chambres d’hôtes
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Indispensable, la mare @Frédérique Hermine

Lorsque Karl Schefer rachète en 1992 le domaine provençal, la bâtisse est en mauvais état et les vignes en friche. Le château est rénové avec une quinzaine de chambres accueillant les clients Delinat, soit 5000 co-actionnaires de cette société qui alimente en quasi exclusivité les marchés suisse et allemand. Le vignoble d’une vingtaine d’hectares, sur les coteaux calcaires à 400-460 m d’altitude, est restructuré avec la création d’un chai en 1998. Duvivier, confié pendant une vingtaine d’années à Antoine Kaufmann, s’attache à produire un vin sain. Et utilise dans le même temps les vignes comme terrain d’expérimentation pour des pratiques plus vertueuses et respectueuses de l’environnement, de la biodiversité, valorisant cépages et paysages.

Le site entouré de chênes et de champs de lavande, de thym et de romarin est déjà préservé en lisière des collines boisées du massif du Bessillon ; Kaufmann, l’un des pionniers du bio en Provence, se taille vite une réputation d’excellent vigneron et s’attache à réduire les traitements, augmenter la fertilité des sols avec des pratiques bio et biodynamiques, initie la permaculture avec du petit maraîchage et des arbres fruitiers…

 

 

Retenir chaque goutte d’eau

Lolita Roche et Erik Bergmann ont pris la suite il y a six ans après avoir travaillé dans de nombreux domaines en Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud… Le jeune couple passionné est tombé amoureux de cet écosystème. Il poursuit donc le travail entamé en bio et biodynamie, cherche à réduire l’utilisation du cuivre qui est passée de 15kg/ha en moyenne à 2 kg, développe l’agroforesterie. Notamment « pour accroître encore la biodiversité et doper la recherche sur les cépages », précise Erik.

Des bassins de rétention font désormais office de zones tampons pour des parcelles trop humides entre vignes, vergers et potager. Des « vagues » de terre ont été créées en travers des chemins pour réorienter le ruissellement des eaux pluviales vers les vignes. « Le challenge est que chaque goutte deau qui tombe sur le domaine reste chez nous, ambitionne le vigneron. Pour cela, il faut ralentir l’eau, la répartir, la récupérer et la stocker. Ça prend un peu de temps et dhuile de coude mais cest mieux que de se raccorder au canal de Provence et ça coûte moins cher ».

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Lolita Roche et Erik Bergmann, passionnés par les défis de leur domaine @ Frédérique Hermine

 

Des hôtels à insectes

Depuis 3-4 ans, Erik Bergmann cherche aussi à aller plus loin sur l’enherbement, en particulier avec la plantation de légumineuses. Ainsi qu’à accroître l’aération des sols en plantant des graminées, développer les jachères, les zones de compensations écologiques (au moins sur 12% du vignoble), la permaculture. Mais aussi replanter haies, arbustes, buissons au bout des rangs de vignes, reconstruire des murs en pierre sèche, favoriser les énergies renouvelables sur le domaine…

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Un hôtel prêt à accueillir l’un de 167 insectes recensés dans le secteur @Frédérique Hermine

Aux platanes et aux muriers centenaires se sont donc adjoints amandiers, pêchers, cognassiers… Entre les rangs, ont été installés des hotspots constitués de buissons, de plantes aromatiques (lavande, romarin) et d’arbres évidés ; des « hôtels à insectes » ont été aménagés dans de vieilles barriques, des rocailles et des pots en terre cuite avec de la paille. En 2019, Environnement-Ecologie, venu réaliser un inventaire entomologique sur le domaine, a recensé 167 insectes différents. Ils attirent de nombreux oiseaux et chauve-souris qui y ont aussi leurs abris.

 

Des cépages résistants en croissance

La charte Delinat est évolutive. Chaque année, elle se traduit par un pavé de près de cent pages, qui reprend toutes les directives. Quant à la certification, signalée sur les bouteilles par un escargot romain, elle est contrôlée par un laboratoire indépendant. Les deux jeunes vignerons ont fait évoluer les cuvées existantes toutes vinifiées en levures indigènes avec peu de sulfites. Depuis 2017, les adjuvants issus de transformation animale sont même interdits dans les vins.

Les recherches se sont poursuivies sur les cépages résistants aux maladies et aux champignons. Les premiers avaient déjà été plantés à la fin des années 90 avec 20 à 40 pieds d’une quarantaine de cépages suivis à l’époque par l’Inra, la Chambre d’agriculture et le Centre du Rosé. 1,2 ha ont été replantés en 2015 notamment avec le souvignier gris et le muscaris, 4,2 devraient entrer en production d’ici 2-3 ans. Delinat ayant préféré en 2021 se recentrer sur ses marchés historiques, suisse et allemand, pour commercialiser les 100-140 000 bouteilles par an, Lolita a quitté l’aventure.

 

 

Une palette d’idées et un changement de vision

Erik souhaiterait à terme créer une société pour développer les conseils viti-oenologiques axés sur l’agro-écologie et la permaculture. « Apprendre à des vignerons à mieux gérer l’eau, régénérer les sols, changer la conduite de la vigne, mettre en place progressivement des pratiques éco-responsables pour répondre au changement climatique, détaille-t-il. On peut s’adapter avec une palette d’idées en changeant de vision même si ça risque de prendre du temps ».

Il rêve de remodeler le paysage viticole en cassant le relief, en replantant beaucoup d’espèces et d’arbres différents sur plusieurs niveaux pour réduire la réflexion solaire du sol, y compris entre les rangs de vigne. « Il faut jouer sur la captation du carbone par le sol pour faire prospérer les micro-organismes, les vers de terre, les bactéries. Car si on augmente de 1% la matière organique sur un hectare, on peut retenir 160 m2 d’eau supplémentaire. Sans compter les racines profondes et mycorisées des arbres qui captent l’eau également et contribuent au développement du réseau d’informations et d’échanges entre les espèces. Et tout ça ne concerne pas que les vignobles en bio ; il s’agit d’abord de créer des vignobles durables ».  Il y a donc des ceps et des idées sur la planche pour réinventer les vignes de demain. ♦