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Le grand retour du pistachier en France

Par Marie Le Marois, le 1 octobre 2021

Journaliste

Pistachiers au pied de la montagne Sainte-Victoire

Grande consommatrice de pistaches, la France en importe des tonnes chaque année, parfois de l’autre bout du monde. Pourtant, la Provence était, jusqu’au siècle dernier, une terre de pistachiers. Des agriculteurs tentent de relancer cette culture qui pourrait être une solution face au réchauffement climatique.

 

Originaire d’Asie et Asie Mineure, la pistache a été introduite par les Romains sur le pourtour méditerranéen. Si sa culture subsiste encore dans de nombreux pays – citons la Grèce, l’Espagne ou l’Italie, elle a été abandonnée en France depuis un siècle. Sans que l’on en connaisse vraiment la raison. Une chose est sûre : nos concitoyens en sont friands. Cru ou grillé, ce fruit à coque riche en micronutriments accompagne souvent nos apéros. Sa saveur est douce et sa texture ferme. Notre pays en importerait entre 10 et 15 000 tonnes par an, principalement de Californie et d’Iran.

 

Une solution face au réchauffement climatique

Pistachier en Provence

@Marcelle. Jean-Louis Joseph, exploitant agricole Jean-Louis Joseph n’a pas trouvé trace de la disparition de la pistache en Provence. Mais ses recherches, notamment aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, conduisent à son existence sur les marchés de Lambesc et de Rognes encore au début du XXème siècle.

Ce vauclusien possède quatre hectares de parcelles expérimentales de pistachiers. Il les a plantées au milieu de ses vignes et chênes truffiers, en plein coeur du Parc Naturel Régional du Luberon. Pour ce terrien, né dans cette ferme, le pistachier est une merveille, tant pour sa beauté que pour ses bénéfices.

Cet arbre, appelé dans certains pays ‘’arbre d’or’’ ou encore ‘’or vert’’, croît en effet sur des sols pauvres, nécessite peu d’eau, « sauf les trois premières années », supporte de gros écarts de température, résiste au vent sec et violent et possède une longue durée de vie, « jusqu’à 300 ans ». Le fruit étant sec, il se récolte, se stocke et se transporte facilement. Le pistachier coche ainsi toutes les cases aux yeux des agriculteurs en recherche de solutions pour pallier au réchauffement climatique. En effet, face à ce phénomène inexorable, qui implique notamment « de nouvelles maladies et ravageurs », ils sont obligés d’explorer « de nouvelles cultures et façons de cultiver ».

 

Pâtissiers et confiseurs intéressés

Pistaches nougat
Nougats du Roy René

La culture de la pistache n’intéresse pas seulement les agriculteurs. Pâtissiers, confiseurs et glaciers, de plus en plus en quête de matières premières françaises et de qualité, sont intéressés par une production provençale. C’est d’ailleurs Olivier Baussan, président de la confiserie du Roy René et de Maison Bremont 1830, qui est à l’origine de cette renaissance.

En 2018, le chef d’entreprise contacte deux agriculteurs, dont Jean-Louis Joseph. « Il m’a appelé pour me dire qu’il importait plusieurs tonnes de pistaches par an et que c’était dommage car cette culture existait auparavant en Provence », résume ce passionné.

Pour relancer et réorganiser la filière – qui s’étend du plant à la valorisation du produit, en passant par la production et la récolte – les deux hommes cofondent avec d’autres exploitants agricoles ‘’Pistache en Provence’’ (voir bonus).

 

 

Réorganiser la filière

@PB

Pistache en Provence rassemble environ 80 professionnels – une quarantaine d’agriculteurs, des pâtissiers dont Pierre Hermé… – et des particuliers.

Ces agriculteurs cultivent la pistache dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence. « Et nous avons des demandes du Var, de la Corse et d’Occitanie », souligne Jean-Louis Joseph, le vice-président. L’association mène des recherches bibliographiques sur cette culture méconnue. Organise des voyages d’études dans les pays producteurs pour trouver les meilleures variétés. Effectue des essais (irrigation, intervention sur l’arbre…) Et conseille les personnes qui se lancent dans leurs premières parcelles (voir bonus).

Il est impératif de savoir, par exemple, que le pistachier est une espèce dioïque : fleurs mâles et fleurs femelles se trouvent sur deux arbres différents. Il faut donc planter « un mâle pour huit femelles » pour que ces dernières donnent des fruits (via la pollinisation).

 

Une culture encore expérimentale

pistachiers en provence
@PF. Les fruits avant ouverture de la coque.

Si le pistachier intéresse de plus en plus d’agriculteurs, sa réintroduction dans nos contrées reste fragile. Elle dépend par exemple de l’implantation des parcelles et des variétés. « Nous n’avons pas encore trouvé celles qui peuvent s’adapter en Provence », confie Jean-Louis Joseph qui en teste quatre issues de Grèce, Espagne, Australie et Chypre.

En effet, « chaque pays a sa propre variété ». Leur différence ? Période de floraison, récolte, alternance (beaucoup une année, moins une autre), déhiscence (coque plus ou moins ouverte), goût (pistache d’apéro ou de cuisine)…

Bien que l’association manque de recul – « contrairement à la réintroduction des amandiers, bien avancée », elle préconise sur notre territoire « une variété à floraison tardive et un cycle court ». Autrement dit, une variété qui fleurit après le 15 avril, date à laquelle le risque de gel est à priori écarté. La récolte a lieu quatre à cinq mois après la floraison, entre fin août et début septembre.

 

Une croissance lente

Pistache
@Marcelle. Pistachiers de Jean-Louis Joseph, plantés en 2018. En toile de fond, le sud Luberon.

Les premiers fruits à coque de Pistaches en Provence sont attendus en 2024. Le pistachier produit en effet seulement au bout de six ans, « donne une récolte pleine à huit ans et devient adulte à 12 ans », détaille Jean-Louis Joseph qui reste confiant. Un expert espagnol a en effet confirmé la bonne santé de ses arbres. Et une grappe est déjà apparue en septembre sur l’un d’eux.

Surtout, l’exploitant agricole a pour preuve différents vergers de particuliers et celui du massif de la Sainte-Victoire – cinquante arbres « magnifiques » de plus de 20 ans – qui produisent des pistaches.

L’association envisage de faire les démarches pour obtenir un signe de qualité pour sa production. Une IGP (Indication géographique protégée) ou un label rouge. Ce serait une belle récompense pour cette culture ancienne ancrée dans l’avenir. ♦

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus 
  • L’association Pistache en Provence. Georgia Lambertin (agricultrice à Venasque, pépiniériste et président de la Chambre d’agriculture du Vaucluse) et André Pinatel (agriculteur à Manosque) font également partie des cofondateurs de l’association. Olivier Baussan en est le président.
Le grand retour du pistachier en France 7
Pour tout découvrir, lisez le livre Le Pistachier, de Magali Amir.

Pistaches en Provence a favorisé en janvier 2021 la création d’un syndicat professionnel France Pistache pour accompagner pas à pas les agriculteurs. « Nous leur donnons un Itinéraire Technique, leur faisons visiter nos parcelles, orientons vers deux pépinières que nous avons référencées et qui ont été contrôlées par le SRAL (Service régional de l’alimentation) », détaille Jean-Louis Joseph.

Le syndicat France Pistache est présidé par André Pinatel. Il est également président du syndicat des producteurs d’amandes de Provence créé en 2016.

 

 

 

  • Les partenaires. La Société du Canal de Provence a placé sur les parcelles expérimentales de Jean-Louis Joseph des stations météo pour modéliser l’irrigation du pistachier. Le but étant d’ajuster les besoins en eau et d’en gaspiller le moins possible.

Le Fonds Epicurien a aidé financièrement l’association en 2020, pour développer et structurer la filière (vidéo ici).

Dès 2018, la Chambre d’Agriculture de Vaucluse a joué un rôle actif sur l’émergence de la filière Pistache. Depuis, la Chambre d’Agriculture de Vaucluse s’est organisée pour pouvoir accompagner les agriculteurs pionniers. Et sécuriser au maximum leur prise de risque technique et économique.

Le Parc naturel régional du Luberon a créé un verger expérimental à La Thomassine (Maison de la Biodiversité) à Manosque, pour tester plusieurs variétés de pistachiers et évaluer laquelle pourrait être la plus adaptée à notre région.

Autre verger expérimental : La Pugere à Mallemort.

 

  • Et ailleurs, en Nouvelle-Aquitaine. Nous avons contacté André Tesson, agriculteur à Labretonie, en Lot-et-Garonne. En 2018, il a fait le pari de diversifier ses cultures avec des fruits à coque : amandes, pistaches et noix de pécan. Ce passage aux ‘’nouvelles cultures’’ a fait, à ses débuts, l’objet d’une couverture médiatique. Si les amandiers ont déjà offert une belle production, vendue à la Ferme des 3 soleils, ce n’est pas le cas des pistachiers. Normal puisque leur plantation n’a que trois ans. Malgré cette donnée, André Tesson n’est pas confiant. « La culture reste quand même compliquée. Un collègue du Gard est d’ailleurs venu et m’a dit la même chose ».
    Cette situation n’étonne guère Jean-Louis Joseph, « Trop d’humidité. Les experts disent que les pistachiers ne donneraient pas de pistaches au dessus du 45ème parallèle. Pour nous, le 45ème passe à Valence ».