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Une nouvelle stratégie prometteuse dans la guerre contre le cancer

Par Hervé Vaudoit, le 13 octobre 2021

Journaliste

Photo @JM Huron

La biotech marseillaise Innate Pharma explore de nouvelles pistes thérapeutiques très prometteuses pour traiter le cancer. La première pourrait déboucher très rapidement sur un nouveau médicament efficace contre les cancers du poumon et de la tête et du cou. La seconde pourrait aussi permettre de contrôler l’évolution de nombreux types de tumeurs.

 

Et si le cancer finissait par ne plus tuer personne
Eric Vivier, professeur d’immunologie à Marseille et directeur scientifique de la biotech Innate Pharma. (Photo DR)

Administrées depuis moins de 10 ans dans le traitement de certains cancers réputés très agressifs, les immunothérapies ont révolutionné la prise en charge de cette maladie dans des proportions sans précédent dans l’histoire de la cancérologie. C’est notamment le cas des cancers du poumon, dont la plupart des variantes tuaient jusque-là l’immense majorité de ceux qui en étaient atteints moins de 5 ans après le diagnostic. Aujourd’hui, certains patients porteurs de cette maladie vivent ainsi une existence quasiment normale depuis parfois près de 10 ans, c’est-à-dire depuis l’apparition de ces nouveaux médicaments que sont les anticorps monoclonaux thérapeutiques.

 

Une nouvelle voie thérapeutique

Pour autant, la recherche en immunothérapies n’en est qu’à ses débuts. Après l’immense espoir soulevé par les premières molécules de cette catégorie, on s’attendait en effet à une déferlante de nouveautés capables de venir enfin à bout de cette maladie qui fait peur à la terre entière. Las, en dépit des programmes de recherche lancés aux quatre coins du monde, très peu de nouvelles molécules efficaces sont apparues ces dernières années, la totalité d’entre elles appartenant à la famille des anti PD-1 et anti PDL-1, première – et jusque là unique – voie thérapeutique ouverte par la recherche en immunologie dans le champ des cancers.

C’est dire l’intérêt que représente la molécule développée à Marseille par Innate Pharma, la première d’une nouvelle classe de médicaments, les anti NKG2A. Derrière cet acronyme barbare se cache un des mécanismes qui empêchent notre système immunitaire de s’attaquer aux cellules cancéreuses, alors qu’il en est théoriquement capable. Avec leur candidat médicament baptisé Monalizumab, les chercheurs d’Innate Pharma ont trouvé le moyen de bloquer ce mécanisme et, par conséquent, de « réveiller » notre système immunitaire pour le diriger contre les tumeurs malignes, qu’il élimine bien plus vite et bien plus efficacement que n’importe quelle thérapie anti-cancer classique.
Rendues publiques à l’occasion du récent congrès de l’European society of medical oncology (Esmo), l’un des quatre ou cinq grands congrès annuels de cancérologie au monde, les données de l’essai clinique de phase 2 mis en œuvre par AstraZeneca, le partenaire industriel de la biotech provençale, ont confirmé l’espoir que cette nouvelle molécule avait soulevé chez les chercheurs marseillais.

 

61% de récidives d’un côté, 37% de l’autre

Et si le cancer finissait par ne plus tuer personne 1
Les courbes de l’essai clinique de phase 2 du monalizumab. En noir, la proportion de patients dont le cancer n’a pas évolué 10 mois après la fin de leur traitement chimio et radiothérapique avec la seule molécule durvalumab. En bleu, la courbe de la même catégorie de patients traités avec durvalumab et monalizumab après la fin de leur traitement chimio et radiothérapique. Dans le premier cas, c’est plus de 60% de récidive à 10 mois. Dans le second cas, c’est moins de 30%

« Lors de cet essai clinique, Monalizumab a été administré à des patients atteints d’un cancer du poumon à petites cellules de stade 3 non opérable », explique le professeur Eric Vivier, directeur scientifique d’Innate Pharma et l’un des chercheurs les plus prolifiques de la recherche phocéenne en immunologie. « Jusque-là, poursuit-il, ces patients étaient traités par chimio et radiothérapie, mais ils rechutaient très souvent dès que le traitement était interrompu. »
Dans une précédente étape, on avait administré à ces patients un premier anticorps, le Durvalumab, après l’arrêt du protocole chimio/radiothérapique et cela avait permis un premier mais timide progrès. Avec cet anticorps, 39% des patients traités avaient ainsi vu leur cancer cesser sa progression, « ce qui signifie que près de 61% avaient malheureusement rechuté, souligne Eric Vivier. Mais « en ajoutant Monalizumab à Durvalumab, ce qui était l’objet de notre étude, on a obtenu des résultats très prometteurs, assure le chercheur, puisque quasiment 73% des patients traités de cette façon n’ont enregistré aucune progression de leur cancer 10 mois après l’arrêt du traitement de chimio et de radiothérapie », soit seulement 27% de récidives à 10 mois, c’est-à-dire quasiment deux fois mieux qu’avec le seul Durvalumab.

 

 

Bonne nouvelle pour les patients, les médecins, les chercheurs et les biotech françaises

Dans combien de temps le Monalizumab sera disponible pour tous les patients éligibles ? Eric Vivier n’avance aucune date, mais souligne que « AstraZeneca vient d’annoncer le lancement d’une étude clinique de phase 3 à visée d’enregistrement, ce qui démontre le niveau de confiance que les résultats de notre essai de phase 2 leur a donné. » Quand on sait que ces essais de phase 3, préalable indispensable à l’approbation d’un nouveau médicament par les agences compétentes, nécessitent plusieurs centaines de millions d’investissement de la part des labos, on a en effet tendance à partager cette confiance. A l’image d’Eric Vivier lui-même, qui estime que ces résultats sont « une bonne nouvelle pour les patients, pourraient être beaucoup plus nombreux à pouvoir vivre normalement avec un cancer sous contrôle et sans effets secondaires supplémentaires ; une bonne nouvelle pour leurs médecins, toujours en quête de traitements efficaces et, enfin, une bonne nouvelle pour la recherche et les entreprises de biotechnologies françaises, qui demeurent quoi qu’on en dise encore très performantes au niveau mondial. »

 

Les molécules Anket, un espoir plus sérieux encore

Une nécessité d’autant plus cruciale que d’autres molécules très prometteuses méritent aujourd’hui d’être évaluées via des essais cliniques. C’est le cas notamment non pas d’une autre molécule, mais d’une nouvelle catégorie de molécules développée par Innate Pharma, lesquelles ont le pouvoir de doper le potentiel anti-tumoral des cellules NK (1) de notre système immunitaire.

Une nouvelle stratégie prometteuse dans la guerre contre le cancer 1
Le mode d’action de la molécule de type Anket développée par Innate Pharma, qui accélère la réponse immunitaire en ciblant trois récepteurs activateurs des cellules NK (natural killer) de notre immunité, qui s’attaquent ainsi aux cellules tumorales et les détruisent. Comme si on levait les freins qui les empêchent de reconnaître ces celulles comme des ennemies du corps que les NK sont chargées de défendre.

Parmi les meilleurs spécialistes au monde de ces cellules NK, Eric Vivier y travaille depuis plus de 20 ans, caressant le secret espoir de les « éduquer » afin qu’elles s’attaquent plus efficacement aux cellules tumorales. Baptisée Anket (2), cette nouvelle catégorie de molécules fait l’objet d’essais pré-cliniques depuis le début de l’année et les premiers résultats sont plus que prometteurs. « Nous avons testé une molécule à 4 têtes, capable d’activer les cellules NK de manière spectaculaire et sans précédent dans l’histoire des thérapies anti-cancer », assure Eric Vivier.

Dans le cadre du développement de cette nouvelle catégorie de molécules, Innate Pharma s’est associé à Sanofi. Une première série de résultats, fruit de cette collaboration, a été annoncée en janvier dernier. Et si ces premières données devaient être confirmées par des essais plus poussés, l’espoir maintes fois déçu de vaincre le cancer pourrait enfin se concrétiser. « Nous ne sommes absolument pas certains de pouvoir un jour guérir le cancer stricto sensu, avoue cependant le chercheur marseillais. Mais on peut en revanche espérer contrôler son évolution, comme on le fait déjà avec des  maladies chroniques comme le Sida. On pourrait alors vivre longtemps en bonne santé avec des maladies sous contrôle. »

S’il ne tue plus, ou alors exceptionnellement, ce n’est pas le cancer qui disparaîtra, mais la peur du cancer. Ce qui serait déjà une immense victoire. ♦

 

– (1) : Les cellules NK (pour natural killer) sont des lymphocytes produits par notre système immunitaire théoriquement capables de tuer des agresseurs extérieurs (bactéries, virus) ainsi que les tumeurs. Mais certains mécanismes comme les points de contrôle immunitaires les empêchent parfois de faire leur œuvre.
– (2) : Anket signifie Antibody-based NK cell Engager Therapeutics, c’est à dire « Thérapies à base d’anticorps activateurs de cellules NK »

Bonus

  • Des noms à coucher dehors qui ne viennent pas de nulle part

Les laboratoires pharmaceutiques n’ont pas le libre choix du nom lorsqu’ils développent un nouveau médicament. Quand il s’agit d’un anticorps monoclonal à visée thérapeutique, son nom se termine ainsi toujours par le suffixe « mab ». Quand cet anticorps est d’origine 100% humaine, il se termine toujours par « umab ». Et quand on a affaire à un anticorps dit « chimérique », c’est-à-dire d’origine animale et « humanisé » pour être utilisable comme médicament, on ajoute un z pour faire « zumab ». Enfin, quand il s’agit d’un anticorps monoclonal immuno-modulateur, on ajoute « li » avant les lettres qui caractérisent son origine. On peut ainsi avoir des médicaments dont le nom se termine par « lizumab » ou « liumab », selon que l’anticorps de base provient d’un humain ou d’une souris, par exemple.

Ce qui est mis devant ces lettres codifiées est en revanche laissé à la libre proposition des labos qui mettent au point les médicaments. Dans le cas de l’anticorps évoqué au début de cet article, les chercheurs n’ont donc choisi que le « Mona » de leur « Monalizumab », qui est donc un anticorps immuno-modulateur à visée thérapeutique de type chimérique.

In fine, seul le nom commercial peut être choisi librement par les propriétaires de la molécule. Le leader des anticorps monoclonaux de la famille des anti-PD-1 s’appelle ainsi Pembrolizumab dans la nomenclature, mais il est commercialisé par Merck sous le nom de Keytruda.