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Le paysage, témoin et acteur de notre monde

Par Jean-Marc Besse, le 23 octobre 2021

Philosophe et historien du paysage *

Les paysages sont les témoins vivants des transformations du monde, des crises qui le traversent et des destructions dont il est le théâtre. Ils sont comme des surfaces sensibles qui donnent une signification concrète à l’expression « vivre dans le monde ». Car nous ne vivons pas dans le monde « en général » et de façon abstraite. Nous vivons dans des lieux et parcourons des espaces qui présentent à chaque fois des physionomies et des apparences singulières : nous vivons dans des paysages.

 

♦ Chaque mois, une tribune est publiée dans le cadre d’un rapprochement entre Opera Mundi et Marcelle ♦

 

Penser à partir du paysage 3
Jean-Marc Besse @DR

Les apparences du monde ne sont pas secondaires, elles possèdent au contraire une espèce de réalité propre qui nous touche, nous affecte positivement ou négativement, provoque en nous plaisir et paix mais parfois aussi inquiétude, malaise, ou colère. Autrement dit les paysages sont des réalités vécues, quelquefois très intimement. L’aspect des choses auxquelles nous avons affaire et des lieux que nous sommes amenés à habiter ou à traverser ne nous est pas indifférent. Au contraire, il soulève en nous, si peu que ce soit, des émotions physiques et mentales, en installant un certain mode d’être, et des possibilités, ou non, de vie.

 

L’état des paysages affecte l’humain

Il s’agirait donc de prêter attention à l’aspect des lieux, c’est-à-dire aux paysages. Non pas tant ou seulement pour des motivations esthétiques, mais aussi parce que l’état des paysages, ou, si l’on peut dire, l’apparence des apparences, affecte la vie humaine sur le plan individuel comme sur le plan collectif. Il y a des paysages qui rendent malades, et d’autres qui résonnent affectueusement aux désirs humains, comme des sortes de paradis. Reconnaissons que les paysages donnent forme et qualité aux existences humaines et à nos expériences du et dans le monde. Reconnaissons la place de ces expériences sensibles dans le développement de nos existences.

Mais les paysages que nous habitons ne constituent pas seulement des spectacles à contempler ou à ressentir, ils ne sont pas non plus les décors impassibles de nos actions, de nos déplacements et de nos pensées. Ils sont eux-mêmes des réalités d’espace, de temps, de matière, et les expressions jamais complètement contrôlées d’assemblages où les sociétés humaines, les plantes, les animaux, les mouvements géologiques, les dynamiques climatiques, etc., tiennent leur part. Plus encore, ils sont eux-mêmes actifs.

Penser à partir du paysage 1
Jean-Marc Besse sur le plateau de Vitrolles avec Opera Mundi @Opera Mundi

 

Les catastrophes naturelles ou industrielles

Or, les sociétés contemporaines connaissent, à des titres et des degrés divers, un moment de crise environnementale majeure, et parfois de destruction massive de leurs cadres de vie. Au-delà des conséquences du réchauffement climatique et des pollutions de toutes sortes auxquelles ces sociétés sont exposées quotidiennement, on assiste à des épisodes de plus en plus fréquents d’inondations ou à l’inverse de sécheresse, d’incendies gigantesques et de catastrophes industrielles, qui viennent régulièrement bouleverser la vie des populations urbaines et rurales qui en sont les victimes. Les paysages sont les témoins de ce monde abîmé.

Que peuvent alors être une pensée, une parole, une action, qui non seulement prendraient en compte la valeur sensible des paysages et leur puissance active, mais en partiraient, en feraient leur principe et leur règle ? Que serait le récit qui pourrait faire tenir ensemble, par exemple, les cours variés de la vie humaine, les sols, la présence des végétaux et des animaux, les formes et les usages de l’espace habité, les héritages historiques, mais aussi la qualité des eaux, de l’air, ou de la lumière ? Quelle autre histoire le paysage nous permettrait-il de raconter ? ♦

Penser à partir du paysage 2
Plateau de Vitrolles @Opera Mundi

 

En savoir plus !
  • Pour inaugurer sa nouvelle saison de conférences « Penser à partir du paysage », Opera Mundi donne carte blanche au philosophe et historien du paysage Jean-Marc Besse. Une réflexion ouverte sur l’écologie des paysages contemporains et l’habitabilité du monde. Ou pourquoi et comment penser le monde à partir du paysage ?

Les 12 et 13 novembre, Jean-Marc Besse élargira cette réflexion au Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur avec un trio féminin de talent : l’architecte et urbaniste suisse Paola Viganò, la philosophe Joëlle Zask et l’historienne de la littérature et essayiste Marielle Macé. Jean-Marc Besse Besse est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et enseigne à l’École nationale supérieure du paysage à Marseille. Vendredi 12 novembre : Présentation du dernier numéro de la revue Les Carnets du paysage 17h30 et conférence de Jean-Marc Besse 18h30 suivie d’un Apero Mundi – Entrée libre. Samedi 13 novembre : conférences à 11h, 14h30 et 17h suivies d’un Apero Mundi – Entrée libre.