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La foncière, une solution pour pérenniser les tiers-lieux éphémères ?

Par Marie Le Marois, le 26 octobre 2021

Journaliste

Les espaces et tiers-lieux solidaires ont souvent émergé ces dernières années sur des sites mis à disposition de façon temporaire. Puis l’échéance arrive. Ce fut le cas des Grands Voisins à Paris. Ce sera prochainement le tour de Coco Velten à Marseille. Comment pérenniser ces projets innovants, reconnus pour leur utilité sociale et urbaine ? Nicolas Détrie, cofondateur de Yes We Camp, évoque la piste de la foncière collective.

 

Rien n’a changé. Ni son verbe qui mitraille ni ses idées qui fusent. Nicolas Détrie est en ébullition permanente et affiche un enthousiasme contagieux. Il a quitté ses fonctions de directeur de Yes We Camp il y a un an pour se consacrer davantage à la prospection – développement, études, nouvelles idées, nouveaux partenariats… « C’est plus facile de le faire de l’extérieur », précise-t-il, assis à une table de la cantine de Coco Velten, tiers-lieu né à Marseille en 2019. Il est cependant resté au conseil d’administration. Et, dans les faits, bosse toujours beaucoup pour cette structure considérée par la Fondation de France, un des financeurs, comme un ACDC (Acteur Clé Du Changement).

 

De l’hospitalité à l’écologie

Foncière ‘’Marseille bébé’’ pour pérenniser les tiers-lieux solidaires 1
Nicolas Détrie, cofondateur de Yes We Camp @Anaïs Ginoux

Juste avant notre interview, l’entrepreneur a échangé, à la table voisine, avec les fondateurs de Navire Avenir. Un projet auquel il participe. « C’est un grand catamaran de 65 mètres de long conçu spécialement pour l’accueil en mer des personnes migrantes », résume-t-il, pragmatique.

Avant de préciser que ce projet s’inscrit dans l’initiative de faire inscrire « les actes d’hospitalité » à l’UNESCO. Au même titre que la gastronomie française ou d’autres patrimoines immatériels dont on estime qu’ils composent notre culture.

Puis il évoque le programme européen des “100 villes décarbonées”, dont il espère prendre part, avec d’autres, à l’écriture de la candidature de la Ville. Et saisir cette nouvelle possibilité de faire exister une “équipe de Marseille”, multiple et mobilisée sur la transition écologique et sociale.

 

 

  • Yes We Camp crée depuis 2013 des “espaces communs” sur des terrains de plein air ou dans des bâtiments non utilisés. Et mêlent social, économie et culture.

 

Un modèle innovant, audacieux et efficace

Foresta
Parc Foresta @Foresta

Difficile de le suivre, tant ce visionnaire a mille desseins et une pensée en arborescence. À nous de le ramener au sujet qui nous intéresse : Yes We Camp. Un modèle innovant, audacieux et efficace mais qui soulève toutefois des questions. Comment faire le meilleur usage de tout ce qui émerge d’une période transitoire ?

Investir autant d’énergie pour tout stopper au bout de trois ans, n’est-ce pas du gâchis ? Que deviennent les occupants, en particulier ceux des centres d’hébergement d’urgence ? Si les membres de l’équipe Yes We Camp restent des « faiseurs, bousculeurs, incitateurs », comment peuvent-ils inventer ou préparer des suites aux périodes transitoires des tentatives qu’ils initient ?

 

Construire des espaces d’émergence reste l’ADN de Yes We Camp

Yes We Camp Saisons Zéro
Saisons Zéro dans l’ancien couvent des Clarisses @Yes We Camp

Pour Nicolas Détrie, la question est davantage de compléter plutôt que de changer ce modèle d’émergence. Son caractère temporaire intéresse les propriétaires de lieux vacants (bâtiments ou terrains) et permet que les projets s’amorcent avec audace et rapidité. Il a ainsi permis la création des Grands Voisins à Paris, Coco Velten à Marseille et Saisons Zéro à Roubaix (voir bonus). Son ADN – « construire des espaces d’émergence » – permet en outre d’expérimenter les usages avant d’investir. Et donc de dépenser moins.

Si on prend l’exemple du projet Foresta à Marseille (voir Bonus), « un parc avait déjà été projeté à cet endroit lors de la construction de Grand Littoral, mais le coût était élevé et le projet avait été ajourné. Notre méthode propose de commencer non pas par les gros investissements, mais par la pratique du site en l’état. Avec un aménagement progressif de l’espace que l’on choisit collectivement, au fil des usages et des activités qui se développent » (voir Bonus).

La phase d’expérimentation étant arrivée à maturité pour Foresta, des investissements plus ciblés pourront intervenir, comme « créer des chemins piétons pour accéder à toutes les cités, améliorer la signalétique et pourquoi pas une piscine en plein air ».

Chaque projet a son histoire. Et tout l’enjeu est de trouver une suite pertinente adaptée à chaque contexte. Ce que Nicolas Détrie appelle « la fin du cycle de l’audace » doit engendrer une mutation, décidée autant que possible avec les parties prenantes impliquées dans la phase temporaire de mise à disposition du site.

 

Une mutation parfois naturelle, comme pour Les Grands Voisins

Yes We Camp les Grands Voisins
Les Grands Voisins à la place de l’hôpital Saint-Vincent de Paul @yes We Camp

Prenons Les Grands Voisins à Paris. Pendant cinq ans, ce projet a accueilli en lieu et place d’un ancien hôpital plus de 200 associations, artistes, artisans, jeunes entreprises. En plus d’un foyer d’hébergement, un accueil de jour. Et toute une programmation publique avec espaces partagés, bar et restaurants.

Il a pris fin en octobre 2019 pour laisser place aux travaux du nouveau quartier Saint-Vincent-de-Paul. L’aménageur urbain a pris possession des lieux, et souhaite faire en sorte de préserver l’état d’esprit de solidarité et d’initiative collective. Le projet urbain a d’ailleurs évolué grâce à l’expérience des Grands Voisins.

L’aménageur a ainsi ajouté un centre d’hébergement d’urgence de 100 places, 5 000 m2 d’espaces d’activités économiques et artisanales, et des loyers plafonnés. Il a gardé ‘’La Lingerie’’, ancienne lingerie de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul transformé en café. Autre « héritage » des Grands Voisins, la création d’une conciergerie commune pour « garder du liant ». Dans ce cas précis, l’expérience a fait école.

L’envie collective de poursuivre l’aventure Coco Velten

Cantine de Coco Velten
Coco Velten dans les anciens bureaux de la DIRMED (Direction interdépartementale des routes)@Marcelle

La fin du projet des Grands Voisins a été collectivement acceptée « car il y avait un projet urbain défini, préexistant au projet temporaire ».

Ce n’est pas le cas pour Coco Velten à Marseille dont la convention prend fin décembre 2021. Le propriétaire – l’État – semble pour l’instant ne pas avoir de projet particulier pour ce bâtiment de 4000 m². Il est aujourd’hui occupé par des ateliers et bureaux (40 associations, entrepreneurs sociaux et artisans), un centre d’hébergement d’urgence, plusieurs salles collectives disponibles pour des activités, un toit-terrasse ouvert au public. Et une cantine culturelle ouverte au quartier, qui produit notamment des repas pour les maraudes.

Tous s’engagent à respecter les engagements pris avec le propriétaire – « c’est un label de confiance ». D’ailleurs, les locataires commencent à faire leurs cartons et le centre d’hébergement d’urgence n’accepte plus de pensionnaires.

Mais sans projet qui prendrait la suite, l’ensemble des occupants actuels manifeste une envie collective de poursuivre l’aventure. Pour continuer à vivre et travailler dans ce bâtiment, avec des partenariats nombreux qui s’affirment avec le quartier. Une étude qualitative commandée par la Préfecture auprès des occupants et habitants du voisinage a d’ailleurs fait état de « l’utilité sociale et urbaine » du projet.

 

Trois solutions pour Coco Velten

Vive les Groux à Nanterre
Vive les Groux à Nanterre sur un terrain vague @Yes We Camp

« Donc qu’est ce qu’on fait ? », interroge Nicolas Détrie qui présente trois solutions. La première est que le propriétaire maintient son attente d’une sortie des lieux à la fin de l’année et les occupants s’organisent pour vider le site et rendre les clés.

Dans la deuxième, il y aurait une prolongation de la convention temporaire, avec si possible un maintien des conditions actuelles. À savoir la gratuité du bâtiment et un soutien financier à hauteur d’un tiers du budget de gestion (voir bonus).

 

Trouver un propriétaire bienveillant et anti-spéculatif

Buropolis
Buropolis à Marseille, bâtiment de 16 000 m² voué à la démolition. @yes We Camp.

Dans la troisième, Coco Velten sort de l’expérimentation et rentre dans un cadre classique de marché, avec paiement d’un loyer. Pour celle-ci, il faut donc un propriétaire, « or l’État n’a pas vocation à l’être sur un tel site et sans projet spécifique ». Si Coco Velten a pu naître au départ, c’est parce qu’il avait été initié par le Lab Zéro – un programme d’innovation sociale développé par la Préfecture, mais qui a aujourd’hui cessé d’exister.

Pour pérenniser le projet, il faudrait donc trouver un privé qui rachète les lieux. Et se positionne en propriétaire « bienveillant » – un loyer le moins cher possible – et « anti-spéculatif ». C’est-à-dire qui s‘engage « à ne pas faire de spéculations à la revente ». Pour quelles raisons ? « Pour préserver la possibilité du projet à s’inscrire dans le long terme plutôt que d’être soumis à l’appétit d’un propriétaire qui voudrait revendre pour une plus-value, et ainsi veiller à ne pas encourager une gentrification du quartier par l’augmentation des prix immobiliers », détaille Nicolas Détrie qui, d’ailleurs, intervenait le lendemain de notre interview à Berlin pour une réunion européenne sur « l’émergence des foncières anti-spéculatives ».

 

 

Créer une foncière tiers-lieux

Foresta
Parc Foresta @Foresta

Lorsque cet entrepreneur évoque cette troisième solution, on pense immédiatement à l’Après M. Cet ancien Mac Do a été racheté par la mairie de Marseille pour que des habitants le transforment en restaurant social. « Le rachat par la Mairie a permis de sortir du blocage avec McDo et d’extraire le lieu du marché immobilier. Mais sur un plus long terme, la mairie n’a pas forcément vocation à jouer ce rôle ».

Alors pourquoi ne pas créer une Scoop – comme la Scoop Ti des anciens Fralib à Gémenos – qui permettrait d’aider les utilisateurs à racheter les lieux ? « Parce qu’ils n’en ont pas les moyens ». La troisième voie serait de créer une société foncière sociale, à l’image de la foncière Bellevilles.

 

Pour tous les espaces communs solidaires

Les Amarres
Les Amarres à Paris se déploient dans un ancien bâtiments du Port Autonome de Paris. @Yes We Camp

Cette foncière « bienveillante et anti-spéculative » pourrait aider de manière transverse, à l’échelle de toute la ville de Marseille, à créer des solutions d’achat aux côtés des occupants des lieux. L’idée est qu’elle associe des collectivités locales et des investisseurs privés acceptant des rendements très faibles. Elle serait la propriétaire des lieux, permettant aux occupants actuels de prolonger leurs engagements, tout en payant un loyer le plus bas possible.

La Caisse des Dépôts et la mairie sont mobilisées et intéressées à la création de cette entité dont Nicolas Détrie imagine déjà quel pourrait être le nom : Foncière Marseille Tiers-lieu, Marseille Transition ou pourquoi pas Marseille Bébé, expression culte tirée d’un passage de la chanson Bande Organisée. Les particuliers pourront également faire partie de cette foncière en complément et susciter « une émergence collective dans la ville ».

Les projets de Yes We Camp ont jailli dans la fragilité. Quelques années plus tard, « ils sont devenus réalité et ont créé de la valeur ». Une valeur financière et de destination, mais surtout une valeur sociale et de pratique quotidienne pour les occupants et les riverains. ♦

 

Bonus

  • Les partenaires de Coco Velten. Région Sud, Département et Préfecture des Bouches-du-Rhône, Mairie du 1&7 à Marseille, Métropole, ministère de la Culture, Euroméditerranée. « Nous sommes subventionnés pour un tiers du budget, deux tiers sont autofinancés », insiste Nicolas Détrie pour qui il est important que les projets trouvent un modèle économique construit en partie sur la capacité d’autofinancement de lieu en fonction de son contexte et de ses activités.

 

  • Foresta à Marseille. Ce terrain argileux de 16 hectares, coincé entre l’autoroute et le centre commercial Grand Littoral était en friche depuis de nombreuses années, avant que son propriétaire, la société Résiliance, ne propose à Yes We Camp de s’engager sur son site. Il est devenu aujourd’hui un “parc urbain participatif” incontournable du territoire nord, avec le développement d’une gestion partagée avec une programmation très riche : activités (karaoké, chantier collectif…), ateliers (four & argile, boxe…), repas partagés, poney, jardin potager, radio…  Il n’y avait pas vraiment de date de fin prévue mais, après trois ans d’existence, le projet arrive suffisamment « à maturité » pour muter. Yes We Camp et les parties prenantes du projet sont en train de créer une association dédiée à la gestion du site. Avec le propriétaire, les usagers et les partenaires comme les centres sociaux. L’association poursuivra son rôle de « liant » et de « cadre de dialogue ».

 

  • Saisons Zéro à Roubaix. L’ancien couvent des Clarisses, vide depuis dix ans, propriété de la mairie, est devenu depuis octobre 2019 ‘’un laboratoire de frugalité appliquée’’ : Saisons Zéro. L’association roubaisienne Zerm, accompagnée par Yes We Camp, a mis en place des espaces de bureaux et d’ateliers, une auberge, un atelier partagé…

 

 

  • Vive les Groues à Nanterre. La friche Vive les Groues de 9 000 m² est devenue un bel espace de verdure et d’initiative populaire. Des centaines d’arbres ont été plantés. Et une dizaine de structures artistiques et sociales ont installé leurs ateliers sur le terrain. Sont également ouverts au public buvette, chantier participatif, barbecues, jeux (pétanque, molki, basket…), banya à prix libre. 

 

  • Les Amarres à ParisYes We Camp accompagne l’Association Aurore pour l’ouverture d’un accueil de jour situé au bord de la Seine à Paris. Chaque jour, des familles, des femmes enceintes, et des hommes isolés en situation d’exil, viennent y trouver repos et soutien. Yes We Camp anime plusieurs espaces partagés afin d’accueillir de nouveaux publics sur site. Des ateliers-bureaux sont mis à disposition de structures ou associations.

 

  • L’Académie du Climat à Paris. La Ville de Paris a demandé à Yes We Camp de l’accompagner pour la création d’une Académie du Climat, dans un bâtiment de 4000m² en centre-ville. Objectifs : mobilisation d’une gouvernance collective, programmation d’événements, buvette climatique (pas de café, que de la chicorée !)