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La grande araignée de Méditerranée sauvée par la recherche ?

Par Agathe Perrier, le 14 août 2023

Journaliste

[mer] Des chercheurs corses ont annoncé ce qu’ils appellent une « avancée scientifique et technique » : maîtriser la reproduction de la grande araignée de Méditerranée. Une méthode en réalité très naturelle, avec pour seul but de repeupler les fonds marins de cette espèce protégée de crabe. Cependant, elle ne suffira pas à contrecarrer le déclin des populations amorcé depuis plusieurs décennies.

 

Arachnophobe, ne ferme pas cette page. Si l’on va bien parler ici d’araignée de mer, il s’agit en fait d’un crabe. Un gros spécimen de 8,5 à 20 centimètres (sans compter les pattes). Connu sous le nom de grande araignée de Méditerranée – ou Maja squinado – on ne la trouve que dans ces eaux. Enfin, quand on la trouve. « C’est une espèce en déclin dont les statuts sont inquiétants », prévient Jean-José Filippi, docteur en biologie marine et responsable des expérimentations en aquaculture au sein de Stella Mare, plateforme scientifique basée en Corse (bonus). Les chiffres de capture sont en effet en baisse dans toute la Méditerranée. Ils ont par exemple diminué de moitié depuis environ huit ans dans les eaux bordant l’île de Beauté. Avant que la situation ne devienne critique, les chercheurs se sont donc lancés depuis 2019 dans la reproduction de l’espèce. Ils en maîtrisent aujourd’hui le cycle complet.

 

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Araignée de mer, « Maja squinado » © Cyril FRESILLON / Stella Mare / CNRS Photothèque

Maximiser la survie des larves

Les scientifiques de Stella Mare ne jouent évidemment pas aux apprentis sorciers. Maîtriser la reproduction n’a d’ailleurs rien à voir avec le fait de la provoquer. « On récupère des femelles adultes avec des œufs. La reproduction se réalise donc dans la nature. Lorsqu’elles pondent, on les relâche et on ne garde que les larves pour maximiser leur survie », explique Jean-José Filippi. Car le ratio dans le milieu naturel est extrêmement faible: un individu seulement arrive à survivre sur un million de larves. C’est beaucoup plus dans les aquariums corses. En 2021, les chercheurs ont réussi à obtenir 1 200 juvéniles – le stade après celui de larve – sur une dizaine de milliers de vers.

Pour y parvenir, les scientifiques surveillent les larves comme de vrais parents crabes. Température, eau, hygiène… Tout est contrôlé et vérifié afin qu’elles atteignent le stade de juvénile sans encombre. L’objectif sous-jacent est de pouvoir relâcher ces petits dans la nature pour repeupler les fonds et compenser l’activité de pêche. Mais pas n’importe comment. « Il y aura un suivi vétérinaire pour ne pas laisser partir des individus faibles ou porteurs de maladies », rassure le biologiste. Associé à un suivi génétique, afin de s’assurer que de futurs accouplements ne modifient pas le patrimoine génétique de l’espèce.

 

 

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Juvénile de langouste rouge obtenu à Stella Mare © Stella Mare / Università di Corsica / CNRS Photothèque

Ne pas jouer au loto avec la nature

Les juvéniles de grande araignée nés à Stella Mare n’ont pas encore été relâchés. Les expériences du passé ont prouvé que cette étape doit être accompagnée pour porter ses fruits. L’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) a par exemple introduit dans les années 1970 des centaines de milliers de petits homards en Méditerranée pour augmenter les stocks, sans aucun effet. Pour éviter un tel échec, les scientifiques corses vont préparer le terrain où ils relâcheront les juvéniles, en y installant des habitats de transition pouvant leur servir d’abris et de cachettes. Ils le font déjà avec l’oursin depuis quatre ans et cela fonctionne. « On s’est rendu compte, grâce à un suivi génétique, que 99% des oursins présents dans la zone de relâche proviennent de chez nous », expose Jean-José Filippi.

La grande araignée de Méditerranée n’est en effet pas la seule espèce que Stella Mare travaille à préserver. Les équipes maîtrisent aussi la reproduction de l’huître plate, du homard européen, de l’oursin violet, du denti, du corbet, de la langouste rouge. C’est malgré tout une infime part des 10 000 espèces présentes dans la Grande Bleue. Mais est-ce vraiment grave, finalement, si certaines s’éteignent ? « Laisser disparaître une espèce revient à jouer au loto avec la nature. Peut-être que ça ne fera rien ou peut-être que ça aura des conséquences très importantes », avertit le biologiste marin. Car il ne faut pas oublier que chacune joue un rôle et a une place dans la biodiversité. Retirer un pion peut avoir des répercussions en cascade. Les scientifiques corses appliquent donc le principe de prévention : mieux vaut ne pas prendre de risque et préserver l’existant.

 

 

Une solution, mais pas miracle

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Température, eau, hygiène… Tout est contrôlé et vérifier afin que les larves de grande araignée atteignent le stade de juvénile sans encombre © Cyril FRESILLON / Stella Mare / CNRS Photothèque

La diminution des stocks de grande araignée de Méditerranée a été observée dès les années 1980. Avérée les deux décennies suivantes. Entre-temps, des mesures de protection ont été prises mais n’ont pas permis d’empêcher le déclin. Si ce gros crabe ne figure pas encore dans l’inventaire mondial de l’état de conservation des espèces de l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature) – la fameuse « liste rouge » –, une pré-étude révèle qu’il serait classé « vulnérable » en Méditerranée et même « en danger » en Corse. Dans les deux cas, ces stades sont synonymes de menace.

Malheureusement, la seule maîtrise de la reproduction de la Maja squinado ne suffira pas à améliorer sa situation. « Cela dépendra de plein de petites actions. Il faudra également une régulation de la pêche et davantage d’aires marines protégées. Et ce sur l’ensemble de la Méditerranée, pas seulement en Corse, souligne Jean-José Filippi. Il est primordial de prendre conscience que l’on ne peut plus continuer d’agir comme avant ». ♦

*article publié le 16 novembre 2021

 

Bonus 

[pour les abonnés] – Quelle protection pour la grande araignée ?- L’UMS Stella Mare – Les financements de la recherche –

  • La grande araignée sous protection – La Maja squinado bénéficie d’une protection de la Convention de Barcelone, adoptée en 1976, ainsi que de la Convention de Berne (relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe), signée en 1979. Elles prévoient que la taille de pêche des crabes est de 120 mm. Pour les non professionnels, il existe des arrêtés sur le nombre et la taille des captures selon les régions – de toute façon limitée à six individus par jour et par pêcheur.
  • Stella Mare, une unité mixte de service (UMS) à la pointe – Cette plateforme scientifique de l’université de Corse et du CNRS, créée en 2011, est spécialisée en ingénierie écologique marine et littorale. Son rôle est de faire de la recherche fondamentale et appliquée, de transférer ses innovations vers le monde professionnel et de sensibiliser le grand public à l’environnement marin. L’équipe de Stella Mare se compose de 47 personnels techniques et administratifs, dont 14 ingénieurs. Ils font partie des premiers chercheurs au monde à avoir réussi à maîtriser la reproduction de la langouste et de la grande araignée de Méditerranée.
  • Les financements de Stella Mare – Pour 2020 le budget en fonctionnement et équipement de l’UMS s’élève à 379 217 euros, assumés par l’université de Corse et le CNRS. À cela s’ajoutent des financements nationaux et européens en fonction des projets.