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Le bassin de Thau, éden menacé des hippocampes (et des sciences participatives)

Par Agathe Beaudouin, le 29 novembre 2021

Journaliste

Ce poisson qui nage en position verticale, possède une paille en guise de bouche et des yeux caméléons fascine autant les scientifiques que le grand public @Pixabay

Depuis les années 2000, le bassin de Thau est une vitrine en matière de sciences participatives. C’est grâce aux pêcheurs, conchyliculteurs, plongeurs et même aux écoliers qu’on en sait plus sur l’hippocampe qui a élu domicile près de Sète. Mais le doute plane désormais sur la poursuite du programme, faute de soutiens financiers.

Nous sommes sur les bords de la Grande bleue, à Thau plus exactement, à quelques kilomètres de Sète et pas très loin de Montpellier. Ici, entre mer Méditerranée et coteaux viticoles se déploie une petite mer intérieure de 20 km de long et 5 km de large : le bassin de Thau. Un paradis conchylicole, un écrin pour les amateurs de voile, mais surtout un joyau de la biodiversité. 400 espèces végétales et 100 espèces animales y sont recensées, dont le fameux hippocampe moucheté, une présence insolite et surtout ignorée jusqu’au début des années 2000.

 

Cet étonnant poisson surnommé « l’excentrique »

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Patrick Louisy lors d’une plongée d’observation des hippocampes @DR

« À cette époque, il y avait très peu de données sur les hippocampes, confirme Florian Martel, chargé de mission au CPIE (Centre permanent d’initiatives pour l’environnement) du bassin de Thau. Aucune étude menée en France métropolitaine sur ce sujet. » Le précurseur, sur la côte héraultaise, se nomme Patrick Louisy. Océanographe de métier, il devient rapidement l’ambassadeur du cheval des mers.

En 2005, il s’intéresse de près à l’hippocampe. Plutôt que d’agir seul, cet expert en aquariologie, qui est aussi photographe sous-marin, s’assigne la mission d’ouvrir le domaine des études scientifiques aux amateurs, par le biais de son association Peau Bleue. Pour l’hippocampe, Patrick Louisy souhaite en effet intégrer à son travail un maximum de « locaux ». Tous ceux qui, de près ou de loin, peuvent avoir un lien avec cet étonnant poisson qu’il surnomme « l’excentrique » : plongeurs, pêcheurs, conchyliculteurs, habitants, écoliers… Il veut convaincre le plus grand nombre de citoyens de participer à la collecte de données. Objectif affiché : « Il fallait savoir combien ils étaient, comment ils vivaient, ce qu’ils mangeaient », raconte le chargé de mission.

 

 

EnQuête d’hippocampes

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L’hippocampe moucheté du bassin de Thau, une espèce endémique @DR

Le programme EnQuête d’hippocampes lancé, l’effet est immédiat. Ce poisson qui nage en position verticale, possède une paille en guise de bouche et des yeux caméléons fascine autant les chercheurs et scientifiques que l’imaginaire du grand public, et en particulier celui des enfants. La population adhère immédiatement. Patrick Louisy impulse une dynamique citoyenne. « Quand on a débuté cette aventure, on savait qu’il y avait une concentration importante – plusieurs milliers – d’hippocampes dans la lagune », témoignera plus tard ce passionné. « Il y a longtemps des plongeurs de toute l’Europe viennent spécialement ici pour les voir », ajoute-t-il. « Les hippocampes, on les pêchait avec les anguilles, raconte Robert Rumo, pêcheur sur le bassin de Thau. Mais c’est vrai que progressivement, on en voyait de moins en moins. Quand on m’a proposé d’intégrer ce projet, je ne pouvais donc pas refuser ! »

L’enquête collaborative, menée avec le grand public et les scientifiques, a permis de mieux connaître la réalité biologique de l’hippocampe. Par exemple : « Nous avons appris qu’on trouve des bébés hippocampes dans les ports, l’été, qui nagent à la surface, et ne vont pas en eaux très profondes. Avec leur queue, ils sont capables de s’accrocher à des petites herbes et les tenir fermement. C’est une information essentielle quand on les cherche pour les étudier par exemple. Et cela a pu être fait grâce à des bénévoles », reprend Florian Martel.

 

Une population conquise

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Des plongeurs-amateurs participent à la collecte de données @DR

L’autre effet positif se mesure sur les hommes. « Un grand nombre d’acteurs de la lagune de Thau est maintenant convaincu que l‘hippocampe doit être préservé et que son écosystème, la lagune, doit être protégée, poursuit le chargé de mission. Le travail de vulgarisation a fonctionné. Un travail positif pour les générations futures. » Robert Rumo en convient : « Avec la profession, nous avons conscience qu’il faut agir et préserver l’écosystème. Le fait d’avoir participé à ce projet collectif qui a été relayé dans les médias, a ainsi accéléré notre action et ça sensibilise le plus grand nombre. »

Quinze ans après les premières démarches scientifiques citoyennes, l’enthousiasme des chercheurs-bénévoles est intact. En mai 2018, après un épisode de naissances, des plongeurs amateurs ont participé au recensement et suivi de centaines de bébés hippocampes. Dans la foulée, le CPIE a entamé des discussions avec la municipalité de Mèze qui a accepté « une nouvelle façon d’organiser le nettoyage de l’eau en surface, le temps que les bébés terminent leur développement avant de rejoindre des eaux plus profondes », confie Florian Martel. Les nombreuses plongées ont permis à Patrick Louisy de sensiblement approfondir les connaissances, répertoriées dans l’ouvrage Hippocampes, une famille d’excentriques, paru en 2019.

 

En attendant l’aide des collectivités…

À la fois discret et mystérieux, cet as du camouflage, « qui n’est ni un très bon nageur, ni très puissant » décrit Patrick Louisy, appartient par ailleurs à une espèce qui ne détruit rien, ne cause pas de dégâts. Sur l’île singulière, l’excentrique est même considéré comme le « porte bonheur » des pêcheurs. Mais son avenir est peut-être menacé, car au pays de Thau, les sciences participatives nagent désormais en eau trouble. Cette année, plusieurs plongées-tests avaient pour but de préparer au mieux le nouveau recensement de la population d’hippocampes mouchetés prévus pour 2022… Mais sont pour le moment suspendues. « Nous n’avons plus les soutiens financiers des collectivités locales qui se désengagent, explique Patrick Louisy. Impossible de savoir quand et si nous allons pouvoir reprendre nos recherches. Sans ces budgets, nous ne pouvons plus mener nos opérations. »

Deux espèces d’hippocampes sont présentes dans la lagune de Thau : l’hippocampe à museau court et l’hippocampe moucheté, qui ne vit qu’à Thau. Il s’agit d’une espèce endémique. Les scientifiques du projet préviennent : « S’il disparaît de Thau, la lignée s’éteint. » ♦

 

Bonus

  • Sentinelles de la mer en Occitanie. Encore balbutiantes au début des années 2000, les sciences participatives se développent de plus en plus et accompagnent des programmes de recherche. Afin de regrouper les communautés de chercheurs et le grand public, le réseau Sentinelles de la Mer en Occitanie a vu le jour en 2015, porté par le CPIE bassin de Thau. Cette structure relaie des projets de sciences participatives en mer, en lagunes et sur le littoral. Il incite les citoyens (pêcheur, plaisancier, plongeur, promeneur, ou un autre usager de la mer et du littoral) à transmettre leurs observations.

Ces informations permettront d’améliorer les connaissances sur les espèces et les habitats. Cette démarche permet de mieux sensibiliser le grand public à un projet en particulier. Ainsi que de vulgariser des démarches jugées parfois difficilement compréhensible pour le grand public.