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Chloé Fenech, des marchés de producteurs au e-commerce

Par Maëva Danton, le 8 décembre 2021

Journaliste

@DR

Chloé Fenech est boulangère. Fervente défenseure des producteurs locaux, elle est à l’origine de la création de plusieurs marchés paysans marseillais, dont celui de la Friche Belle de mai. En 2020, le covid-19 l’oblige à tous les fermer, laissant les producteurs sans débouchés. C’est alors qu’elle crée Du marché au palier, version numérique de ses rendez-vous de producteurs.

 

Après une journée nuageuse, le soleil émerge enfin au-dessus des terrasses du restaurant Les Grandes tables, à la Friche Belle de mai. Les producteurs, qui y tiennent leur marché tous les lundis après-midi, s’affairent. Ils déplacent des tables. Les transforment en étals qu’ils recouvrent de confitures et de biscuits ; de pommes de toutes les couleurs. De miel, de viande, d’œufs ou encore de pain d’épices.

Le temps que les clients arrivent, on se salue. On prend des nouvelles. On rit volontiers. Surtout autour du stand de Chloé Fennec, boulangère, qui discute tout haut avec sa voisine Françoise, productrice de pommes bio dans les Hautes-Alpes.

 

Brune, le regard vif, l’éclat de rire jamais loin, elle s’active pour installer tous ses pains, gibassiers et autres brioches. Avec son mari, elle tient une boulangerie, La Mie Bio, à Pierrevert (04). Ils s’approvisionnent auprès d’un meunier de Grans spécialisé dans les farines bio. Son mari, initié par son grand-père à la boulangerie, fait tout à la main. Avec du levain naturel. Elle, se charge de la vente. En épiceries mais aussi beaucoup sur des marchés de producteurs, qu’elle a souvent elle-même créés.

 

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Un lundi en fin d’après-midi, au marché de producteurs de la Friche Belle de mai. @MGP

Une série de marchés paysans pour répondre à la demande

« Au départ, je voulais avoir une place au marché paysan du Cours Julien », raconte-t-elle. Mais les places sont rares. Au bout de quatre ans, lassée d’attendre, elle décide de prendre les choses en main et de mettre sur pied d’autres marchés paysans dans la Cité phocéenne. Pour offrir de nouveaux débouchés aux producteurs. Et répondre à la forte demande des consommateurs. C’est ainsi que naît le marché paysan de la Friche Belle de mai, il y a onze ans. Mais aussi ceux de la Joliette et Carré Méry (bonus).

Elle coordonne ainsi une quarantaine de producteurs. D’eux, elle parle toujours avec tendresse. Détaillant la manière consciencieuse de produire d’un tel. Ou l’engagement d’un autre en faveur du bien-être animal. Elle veut valoriser leur travail. Les aider à en vivre le plus dignement possible. Alors quand le choc de l’épidémie de covid-19 s’abat sur la France, obligeant à fermer tous les marchés, c’est un coup dur. « 75% étaient dépendants de ce mode de vente. Pour un certain nombre, cela représentait 100% de leur chiffre d’affaires ».

 

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Alain et Sylvie, producteurs marseillais de confitures et autres plaisirs sucrés. Pendant le covid-19, le site Du Marché au palier leur a permis de « limiter la casse, même si la confiture ne se vend énormément en ligne ». @MGP

Le marché version digitale

C’est alors qu’elle est contactée par La Roue marseillaise, association à l’origine de la monnaie locale du même nom. La Roue lui propose de créer une version numérique de ses marchés. Une e-boutique qu’elle hébergerait sur son site. « Je ne connaissais rien au e-commerce. On n’avait aucun modèle dont s’inspirer ». Mais elle accepte. C’est cela ou rien. La Roue la forme et elle apprend sur le tas. Tout en gérant sa boulangerie et sa vie de famille – elle a deux enfants.

Petit à petit, le projet se structure. Les produits sont récupérés chez les producteurs et livrés soit à domicile, soit en point relais. Du marché au palier – c’est le nom donné à la plateforme- s’appuie sur les services de Mistral Coursiers, puis sur Agilenville (bonus) qui met à profit ses compétences en logistique.

 

 

Le dispositif fait l’objet de quelques articles de presse et surfe sur l’effervescence de la recherche d’une alimentation saine et locale. « En plein confinement, nous sommes montés à 150 commandes par semaine ».

Un succès qui permet aux producteurs de maintenir le lien avec leurs clients. D’autant que le site s’évertue à les mettre en valeur. « Les habitués de nos marchés voient leurs photos et cela les rassure. Ils les reconnaissent. Du marché au palier leur permet surtout de limiter la casse jusqu’à la reprise des marchés ouverts. Reprise qui s’avère néanmoins assez décevante.

 

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Françoise, productrice de pommes et poires des Alpes. Le site lui a permis de vendre des volumes de fruits significatifs. Auxquels s’ajoutent des produits transformés disponibles à l’année. @MGP

Des producteurs qui peinent à retrouver le niveau de vente d’avant covid-19

Il est 16 heures 15 sur le marché de la Friche. Les clients commencent à arriver. Timidement. « Avant, à 16 heures, il y avait déjà du monde, assure Chloé. Maintenant, ils arrivent plus tard et ils sont moins nombreux ». Un effet rebond de la baisse de fréquentation du restaurant qui l’accueille. L’effet pass sanitaire. Mais pas seulement. « Les clients du marché sont souvent des gens qui travaillent au Pôle média juste à côté. Avec le télétravail, ils ont moins l’occasion de venir ». Au marché Carré Méry, pourtant mieux situé puisqu’il se situe dans le quartier du Panier, elle constate la même chose. « Là-bas, la problématique est différente. La clientèle est âgée et elle a longtemps eu peur de ressortir ». Résultat : des ventes divisées par deux.

 

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Chloé et une partie de sa famille dans sa boulangerie. @CF

Alors Chloé veut continuer à faire vivre Du marché au palier. « Les collègues me le demandent. Et il y a de plus en plus de producteurs qui viennent spontanément pour qu’on les ajoute sur le site ». Mais, en face, les consommateurs sont moins présents. « On fait environ 20 commandes par semaine ». Ceux-ci ont retrouvé leur vie active. Le boulot. Les enfants à emmener à l’école, ou au club de sport. De telle sorte que les courses, qui étaient devenues un moment important de la vie de confiné, sont redevenues la variable d’ajustement d’un emploi du temps surchargé.

Pourtant, la volonté de consommer local ne s’est pas évanouie. Chloé en est convaincue. « Des gens me disent que ce qu’on propose est exactement ce qu’il leur faut ».

Il existe bien une flopée de sites proposant des paniers de produits locaux. « Mais nous, nous permettons aux consommateurs de rencontrer ensuite les producteurs en chair et en os sur les marchés. Et notre règlement intérieur est très strict (bonus) alors que la plupart des plateformes sont obligées de recourir à de gros producteurs pour répondre à la demande ».

 

  • Dates et horaires des marchés paysans, à Marseille – La Friche Belle de mai, sur la terrasse des Grandes tables, les lundis de 16h à 19h, place de la Joliette, les mardis à la même heure, Carré Méry, rue Méry, les jeudis même heure.

Être plus visible

L’enjeu, désormais, est en gagner en visibilité pour que, même pressés, les consommateurs pensent à la plateforme. D’où la mise en place, le 2 novembre dernier, d’un site en propre, et non plus hébergé par La Roue marseillaise. Un site plus intuitif qui offre par ailleurs des outils de gestion comptable et de service après-vente plus efficaces. Quant au mode de livraison il reste peu ou prou le même : à domicile pour certains arrondissements, en point-relais au-delà.

Mais de l’avis de Chloé, les effets du nouveau site tardent à se faire sentir. « C’est dommage que ça ne prenne pas plus ». Elle laisse échapper un soupir. « Il m’arrive de travailler la nuit. Parfois cela m’épuise », dit-elle avec un sourire. Dans ces moments de découragement, elle pense à ses producteurs. Comme cette arboricultrice des Hautes-Alpes, sa voisine de marché. « Avant, elle ne vendait qu’à des grossistes qui la payaient mal. Elle travaillait à perte. Mais là, elle m’a dit que grâce aux marchés et au site, elle a enfin fait une bonne année comptable ».

Preuve que l’engagement qu’elle porte a du sens.

 

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Chloé derrière son stand au marché de la Friche Belle de mai. @MGP

Grandir pour s’adresser aux professionnels

Alors elle voudrait aller plus loin encore. « J’aimerais ouvrir Du marché au palier aux professionnels. On pourrait créer une plateforme annexe qui proposerait des conditionnements et des prix de gros. Pour les restaurants ou les petites épiceries. En livraison décarbonée ».

Mais ce type de marché est exigeant, elle le sait. « Il faut travailler suffisamment et avoir une régularité ».

Ce que ne parviennent pas toujours à obtenir les producteurs qu’elle accompagne. Car les exploitations sont petites. Et en adoptant des pratiques respectueuses de l’environnement, ils sont plus vulnérables face aux aléas climatiques et aux maladies. Mais elle entend bien les aider à s’engager sur cette voie, en les accompagnant sur la durée.

« Du marché au palier leur apprend déjà à réserver une partie de leur production ». Un premier pas pour se structurer davantage et peut-être avancer ensemble vers ce marché des professionnels, gage de commandes plus importantes et d’une visibilité accrue. Une manière pour le projet de grandir encore. En même temps que tous ses producteurs. ♦

 

Le Fonds Épicurien, parrain de la rubrique « Alimentation durable », vous offre la lecture de cet article mais n’a en rien influencé le choix ou le traitement de ce sujet. Il espère que cela vous donnera envie de vous abonner et de soutenir l’engagement de Marcelle *

 

Bonus

[pour les abonnés] – le modèle économique – Comment vendre sur la plateforme ? – Les coursiers d’Agilenville –

  • Pour plus d’informations sur Du marché au palier, rendez-vous sur le site dédié.

 

  • Quel modèle économique ? – Pour payer les services d’Agilenville (réception des commandes, préparation, distribution, tenue des points relais, comptabilité, service après-vente), le site prend une commission de 15% sur le chiffre d’affaires réalisé par les producteurs sur le site. S’y ajoutent 5% pour la tenue du site et la coordination des équipes.

 

  • Agilenville – Startup lancée à Marseille en 2018, à Lyon en 2020 puis Nice en 2021, Agilenville  est une société de logistique urbaine spécialisée dans les livraisons fraîches et responsables.Avec une équipe 40 livreurs salariés et une flotte de véhicules sans émission de CO2, elle assure chaque mois 10 000 livraisons de courses alimentaires sans rupture de la chaine du froid. Les associés d’Agilenville veulent participer activement à la transformation de la ville de demain : répondre à la demande croissante de ses habitants et entreprises pour des livraisons à domicile, réduire les émissions de CO2, décongestionner les rues, développer l’économie circulaire et le recyclage.

 

  • Quelles conditions pour vendre ses produits sur la plateforme ? – Ce sont les mêmes que pour intégrer un des marchés paysans de Chloé. Il faut être producteur agricole en région, dans un rayon d’une centaine de kilomètres autour de Marseille. La culture doit respecter un certain nombre de contraintes, les serres chauffées sont par exemple exclues.

Et au-delà des produits purement agricoles vendus à l’état brut, il est possible de proposer des produits transformés à condition que ceux-ci soient fabriqués à partir de matières premières locales.