Fermer

Une crèche dans un Ehpad, c’est tendance

Par Marie Le Marois, le 16 décembre 2021

Journaliste

Martine en plein jeu avec Camille, 22 mois @Marcelle

De plus en plus d’Ehpad accueillent une crèche dans leurs murs. Des établissements dans le Nord, l’Ouest, le Sud-ouest et le Centre expérimentent déjà cette cohabitation intergénérationnelle. Marseille s’y met, avec les Jardins d’Haïti dont l’objectif est de créer une maison de vie plutôt que de retraite.

 

Ehpad accueillant
salle de restaurant hyper déco de l’Ehpad @Marcelle

Trop beau pour être vrai. C’est la réflexion qui nous vient, en pénétrant dans le hall des Jardins d’Haïti. Cet établissement récemment rénové semble sorti tout droit d’un magazine de déco. Terrasse végétalisée, terrain de pétanque, baby-foot, papier peint tropical, mobilier tendance, diffuseur de senteurs et musique – reggae ce matin-là. Tout est fait ici pour que les séniors se sentent bien, loin du cliché aseptisé et malodorant que l’on peut avoir sur les maisons de retraite.

Accoudé au bar du restaurant – ouvert aux familles et gens du quartier (voir bonus), Laurent Boucraut a davantage le look du surfeur que du directeur d’Ehpad. En fait, il est les deux – d’où les photos de surf aux murs. Ce sportif, barbe de trois jours et mèche longue, est la quatrième génération à gérer ce lieu créé par son arrière-grand-mère Suzanne.

 

Thés dansants électros

Famille Boucraut
Jacques, Laurent et Stéphane Boucraut, directeurs des Jardins d’Haïti et du Cigaloun

Il y a eu ensuite Robert, son grand-père puis Jacques, son père. Ce dernier fut le premier à révolutionner l’univers du troisième âge, en embauchant dès les années 90 des GO du Club Med pour l’animation. Ses fils ont repris le flambeau, Laurent à Marseille et Stéphane à Volx (Alpes-de-Haute-Provence) avec Les Jardins du Cigaloun. Leurs objectifs sont clairs : insuffler de la vie, créer du lien social et « dédramatiser le monde des vieux », insiste notre interlocuteur qui a dernièrement revisité le thé dansant avec les DJ électros du collectif Gogo Green.

 

  • (Re)lire l’article sur Art Explora qui intervient aux Jardins d’Haïti pour échanger avec les résidents sur l’art

 

Bientraitance

Ehpad thé dansant
Thé dansant électro avec Dj du collectif Gogo Green

Sur le papier, Les Jardins d’Haïti coche toutes les cases. Les salariés ont été formés à la méthode Humanitude et s’approchent de Montessori (accompagner le geste plutôt que faire à la place du sénior, se mettre à sa hauteur…). Le non médicamenteux est privilégié, dès que possible. À l’antidépresseur, l’équipe préfère administrer des séances de sophrologie, d’activité physique adaptée (APA). Et, depuis peu, de socio-esthétique (soins pour les personnes fragiles).

Le tableau dressé est tellement merveilleux qu’on se demande s’il est bien réel. Si le discours ne relève pas du marketing et le décor, du carton-pâte.

 

Crèche avec 12 enfants

enfants et vieux
Martine en plein jeu avec Camille, 22 mois @Marcelle

Notre incursion dans la crèche nous convainc de la sincérité du discours. Observer Martine et Marcelle, deux résidentes pimpantes, est un chamboule-tout émotionnel. Elles sont émerveillées par les petits qui jouent à leurs pieds, trouvent qu’ils sont beaux, s’étonnent que certains se déplacent déjà à quatre pattes, les encouragent dans leurs initiatives. Martine prend la girafe que lui tend Camille, 22 mois. Pour cette ancienne pédiatre, être là est un plaisir ; « j’aime beaucoup les enfants, ça me rappelle de bons souvenirs », explique-t-elle les yeux pétillants.

Marcelle est moins disserte, le sourire absent. Mais tout son corps exprime le ravissement. Elle tente d’apprivoiser Ethan qui petit à petit s’avance vers elle à quatre pattes et monte sur ses genoux. Elle savoure cet instant précieux et soudain, l’embrasse sur la joue. Furtivement, comme si elle s’offrait un cadeau défendu.

 

  • Les résidences Abbaye et Bords de Marne dans le Val-de-Marne et Les Jardins des Orchidées dans le Nord font déjà l’expérience de l’intergénérationnel avec succès. De son côté  l’entreprise Tom&Josette essaime ces microcrèches innovantes sur le territoire. Objectif : 8 en 2022, 100 en 2025. Les premières ont vu le jour à Rennes et Montussan, près de Bordeaux.

 

Activités stimulantes pour les anciens…

Crèche dans Ehpad
Marcelle vole un bisou à Ethan, trop heureuse de l’avoir dans ses bras @Marcelle

Cette microcrèche, qui accueille douze enfants dont deux dont les parents sont salariés de l’Ehpad, a ouvert le 24 février. La porte à côté de celle de l’unité Alzheimer.

Laurent Boucraut caressait cette idée depuis 2008 (voir bonus). Depuis son mémoire d’étude sur l’intergénération effectué dans le cadre de son master sur la gestion des établissements de santé. « Les petits sont source de vie et de joie pour nos aînés », assure ce père de deux jeunes enfants qui veut lutter contre l’isolement des personnes âgées et les ouvrir sur l’extérieur. En aidant les petits dans leurs tâches, les résidents, outre d’être stimulés, se sentent « utiles ».

 

…comme pour les petits

baby foot
Partie de baby-foot pour Paul

Le directeur de 39 ans avait imaginé une entrée commune aux deux structures et non deux entrées séparées. Mais les autorités de la petite enfance ont refusé, invoquant que le jeune âge n’avait rien à y gagner.

C’est tout le contraire qui se produit. Ils bénéficient du savoir de leurs aînés et des nombreuses vertus liées au grand âge, tels calme, lenteur et patience. Ils ont en outre un public acquis, valorisant et encourageant. Enfin, ils acquièrent un regard positif sur la vieillesse et la différence. Pour Marlyse, directrice de la crèche et psychologue, il faut arrêter de croire que côtoyer des vieux peut effrayer les enfants, ils ont « une capacité d’adaptation » et « interagissent s’ils en ont envie ».

 

Atelier conte et… pétanque
intergénération
Spectacle de Noël seniors et enfants

À cause de la crise sanitaire, les activités entre résidents et enfants en sont à leur balbutiement. Citons les ateliers conte, musique et pétanque (avec des boules molles) où « l’interaction est davantage attendue que le résultat », souligne Laurent Boucraut, encore des images plein la tête de la fête de Noël en commun.

Il souhaite que la rencontre entre les deux publics devienne naturelle, spontanée. Même écho chez Marlyse désireuse que ces interactions ne soient pas « un événement » mais qu’elles « fassent partie du quotidien des enfants ». Dès janvier, cette femme vive projette des ateliers histoire, des parcours psychomoteurs et des jeux avec des images sonores pour activer la mémoire.

 

Des jeunes de l’extérieur

Grand âge
Paul et Christiane, gâteux devant les petits qui défilent devant eux @Marcelle

Toujours dans cette optique de créer une maison vivante ouverte aux passages, Les Jardins d’Haïti reçoit des stagiaires de l’École de la 2eChance – actuellement Diego, atteint par le syndrome d’Asperger. Ainsi que des jeunes d’Unis-Cité qui viennent se former au métier de l’animation.

L’établissement accueille également, dans sa salle de spectacle, les cours de danse de L’Autre Maison, école basée sur la diversité et l’inclusion. Les résidents qui le désirent peuvent être spectateurs ou… acteurs. Enfin, dès janvier, une classe de CM1 de l’école de la Blancarde viendra pour des après-midi de partage. Les mamies et papis qui le souhaitent pourront « aider à faire des découpages ou parler de la guerre ».

 

 

Chambre pour étudiants

Intergénération
Gribouille sur tableau @Marcelle

Laurent Boucraut a dix milliards d’idées, au point que certains membres de son équipe ont du mal à le suivre. Mais cet enthousiaste en fait fi. Il projette d’ouvrir dans son établissement un accueil de jour troisième âge – « sur le même format que les crèches », une chambre pour un étudiant sur la base logement contre services et, quand les conditions sanitaires seront meilleures, un espace de coworking.

C’est au tour des enfants de la crèche de venir rendre visite aux anciens. Ils passent devant Christiane et Paul qui s’exclament « que c’est beau ! » Puis gribouillent l’immense tableau noir de craie. Petit à petit affluent les résidents, dont Laurent qui a quitté l’écran de télévision de la salle commune. Le vieil homme trouve bien plus intéressant de les regarder dessiner. Et quand les petits tracent un cœur, l’extase se lit sur ce visage marqué par le temps. ♦

 

Bonus

– Le restaurant des Jardins d’Haïti, ouvert aux clients extérieurs – Un hôpital hybride en Australie – Annie, la pianiste –  Les tarifs pour les résidents des Jardins d’Haïti.

  • Restaurant pour tous. L’ardoise à l’entrée des Jardins d’Haïti indique porc et dos de cabillaud à la purée de panais. Au traditionnel plat unique, les résidents ont un double choix, cuisiné sur place, avec 80 % de produits frais. Le directeur de l’établissement souhaite atteindre les 100 %. Dans cet objectif, il a invité durant une semaine le chef Renaud Guez qui « a prouvé qu’on peut faire de la bonne cuisine avec un budget Ehpad ». Soit 6,40 euros pour les quatre repas quotidiens. Il a transmis par exemple à Katia, la cheffe de cuisine, sa recette de velouté de butternut lait de coco, bien meilleure que la traditionnelle soupe lyophilisée.

Sûr de la qualité des plats, Laurent Boucraut a ouvert depuis peu le restaurant aux convives extérieurs (12 euros menu tout compris avec carafe de vin choisi par les résidents dans la cave et café Henri Blanc). L’idée bien sûr est d’y accueillir les familles – « s’ils viennent plus, leurs parents sont plus heureux ». Mais aussi les habitants du quartier. Cet enthousiaste projette servir les repas aussi pour la crèche.

 

 

  • Hôpital hybride en Australie. Si l’idée de la crèche a germé en 2008 dans la tête de Laurent Boucraut, elle a pris forme en 2015 lors de son séjour à Sydney. Sa femme, chirurgien urologue pédiatrique travaillait dans un hôpital incroyable avec crèche, MacDo et salle de sport. « C’était un vrai lieu de vie, tout le monde se croisait dans le hall d’accueil : la mère qui déposait son bébé, le sportif en tenue de sport et le jeune qui mangeait au MacDo avec sa bande ».

 

Crèche dans Ehpad
Moment de grâce avec Annie, une résidente qui s’est remise à  »vivre » avec le piano, et une stagiaire violoniste
  • Annie, la pianiste. Quand elle a emménagé aux Jardins d’Haïti, Annie avait perdu l’appétit de vivre. « Quand elle a vu le piano, elle a repris un second souffle. Il n’y a pas un jour sans qu’elle joue. Même quand elle a eu le bras dans le plâtre, même quand elle s’est cassé le col du fémur ».

Quand Annie joue, les résidents forment un cercle autour d’elle et l’écoutent.

 

    • Le tarif pour les résidents des Jardins d’Haïti. 95 euros par jour, 2700 euros par mois. L’établissement a l’agrément de l’aide sociale, permettant à 33 résidents de payer 65,59 euros par jour.