Fermer

Quand l’État vient en aide aux jeunes vignerons

Par Frédérique Hermine, le 12 janvier 2022

Journaliste

Terra Hominis, créée il y a dix ans par Ludovic Aventin, œuvre à racheter des vignobles grâce au financement participatif pour les confier à de jeunes viticulteurs @ Frédérique Hermine

En décembre, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi tendant à réguler l’accès aux terres agricoles des grandes sociétés d’investissement. Ces dernières détiennent déjà 36% des exploitations françaises. Ce texte faciliterait l’installation des jeunes agriculteurs et viticulteurs. Le financement participatif via Terra Hominis les aide également à acquérir des terres ou à se développer.

 

On dénombre actuellement en France 65% d’exploitations individuelles et 36% d’exploitations sociétaires. Ce dernier chiffre est bien plus élevé que dans les autres pays de l’Union européenne, en moyenne de 5%. Le texte, porté par le député LREM des Hautes-Pyrénées Jean-Bernard Sempastous, vise justement à contrôler les cessions des terres via des parts de société. Il devrait permettre de déclencher un mécanisme de contrôle par les Safer (Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural) quand la vente est supérieure à 40% des parts d’une société. Sachant que les ventes intra-familiales sont désormais exclues du dispositif jusqu’au quatrième degré (ce qui permet d’inclure les cousins germains). Tout comme la reprise de l’exploitation par un associé ou un salarié depuis au moins neuf ans.

Le texte prévoit également ce dispositif de contrôle quand l’acquisition dépasse une surface comprise entre deux et trois fois la surface agricole utile moyenne d’une région. À charge du préfet de département d’autoriser ou de refuser les prises de participation sociétaires. Le texte voté à l’Assemblée Nationale en mai dernier était plus ambitieux (il visait notamment un contrôle à partir de 20% des parts). Sénateurs et députés se sont accordés sur une version commune en commission mixte paritaire le 1er décembre.

 

Réguler le foncier

Une loi et un financement participatif pour aider les jeunes vignerons 2
Éviter une concentration excessive des terres et aider les nouvelles générations @ F. Hermine

« Il y avait urgence à voter une loi de foncier agricole car les terres s’échangent de plus en plus sur le marché sociétaire. Le nombre des exploitations a été divisé par cinq en dix ans. Nous voulons éviter une concentration excessive et aider les nouvelles générations, précise Jean-Bernard Sempastous lors d’un débat à l’Assemblée Nationale avec l’association Terra Hominis. Cela peut permettre de libérer des surfaces compensatoires pour les jeunes agriculteurs. Et, à la demande de la Bourgogne et de la Champagne, les préfets devront tenir compte également de l’avis des interprofessions ».

Aujourd’hui, les deux tiers des vignerons de l’Hexagone ont plus de 55 ans. On dénombre plus d’agriculteurs et notamment de viticulteurs partant à la retraite que de jeunes qui s’installent, souvent faute de pouvoir s’acquitter des droits de succession ou acheter un domaine. Les Safer auront donc un rôle primordial à jouer. « Elles servent déjà à réguler le foncier. Et même si elles sont parfois critiquées, elles ont été confortées dans ce rôle depuis 60 ans, souligne Dominique Granier, vigneron du Gard et président de la Safer Occitanie. Nous avons sans doute le foncier le moins cher d’Europe. Mais il est encore trop cher au regard de ce qu’il rapporte ».

 

 

Sauver la terre

Une loi et un financement participatif pour aider les jeunes vignerons 4
Dominique Granier, président de la SAFER @DR

En Occitanie, sur 20 000 hectares de transactions, 7000 concernent des installations dont 2200 en bio. « Il y a encore deux ans, tout se vendait, rien ne s’achetait. Depuis, la crise du Covid et le refuge dans la terre, c’est l’inverse. L’arrivée d’investisseurs étrangers, notamment de Chine, pourrait menacer notre sécurité alimentaire, estime Dominique Granier. Il faut penser autrement l’urbanisme. En France, on construit un parking en s’étendant à côté dun supermarché. En Allemagne, même si ça coûte plus cher, on le construit en dessous ou au-dessus ».

« Avant, les paysans vendaient leurs terres en terrains constructibles pour payer leur retraite mais ils alimentaient la France, ironise Philippe Huppé, député de l’Hérault et co-président de l’ANEV (Association Nationale des Élus de la Vigne et du Vin). Il faudrait trouver les moyens de leur procurer une retraite décente pour qu’ils gardent les terres en surfaces agricoles. Pour limiter aussi les extensions croissantes de lotissements qui ne cessent de ronger les champs. Sans compter que ce phénomène risque de poser des problèmes d’approvisionnement en eau pour tous ».

 

Des investissements solidaires via Terra Hominis

La société Terra Hominis, créée il y a dix ans par Ludovic Aventin, œuvre à racheter des vignobles grâce au financement participatif. Pour les confier à des jeunes qui veulent s’installer. Avec un montage juridique dissocié de l’exploitation. « Nos investisseurs acceptent de renoncer à de grosses plus-values pour s’engager dans davantage d’économie solidaire et de développement durable ». La rémunération de l’ordre de 4,5% de dividendes étant versée chaque année sous forme de bouteilles. Désormais société à mission, la première du monde viticole, elle compte 2900 associés, impliqués dans 39 projets représentant 21 domaines et 180 hectares de vigne.

« Nos associés ne sont pas des rêveurs mais juste des humanistes avec les pieds bien ancrés dans le sol, prenant des parts s’élevant en moyenne à 1500-1600 euros, précise Ludovic Aventin. Les liens se tissent autour d’un projet commun avec pour objectif de ne pas perdre les hommes et donc les terroirs. Vigneron, c’est bien sûr un sport individuel mais on est plus fort dans un jeu collectif ».

 

 

Favoriser la transition écologique

Une loi et un financement participatif pour aider les jeunes vignerons 3
Terra Hominis a permis à Sandro Trescol et à son associé de racheter neuf hectares de vignes au nord de Béziers @ F. Hermine

Terra Hominis aide à l’installation mais également au développement des domaines. Virgile Joly a ainsi pu étendre son vignoble languedocien en rachetant des vieilles vignes avec un projet d’agroforesterie complémentaire. Au Château Saint-Grégoire en Médoc, sous la pression des autres crus classés voisins et des banquiers, l’association s’est mobilisée afin de racheter quelques hectares à la famille Gancel-Goirand. Elle a ainsi fourni la trésorerie nécessaire pour sauver le domaine et l’aider à se développer.

Terra Hominis a également permis à Sandro Trescol et à son associé Jonathan Bouit de racheter neuf hectares de vignes au nord de Béziers. « Car dans la vallée de l’Ouvèze au nord de l’Ardèche, là où je suis né et où je faisais déjà du vin, les prix ont subitement flambé suite à la spéculation d’un gros vigneron hollandais, raconte Sandro Trescol. Les banques ne suivent pas un vigneron double actif qui travaille moitié à la vigne moitié à l’usine. Même si nos vins sont vendus dans toute l’Europe. Les dossiers bios, avec plus de risques et d’aléas climatiques, ne sont pas bien vus non plus ».

 

Plus d’outils pour irriguer une terre de liens

Outre l’aide aux installations et au développement, Terra Hominis s’est fixé des objectifs sociaux et environnementaux. Comme inciter à la polyculture, favoriser la transition écologique, créer un réseau d’entraide pour des échanges d’expériences et de contacts entre les vignerons… Autant d’outils pour aider les jeunes à s’engager dans une agriculture responsable et à ne pas se décourager trop vite. « On ne peut pas sauver le monde uniquement avec Terra Hominis mais on peut créer une terre de liens. Car, avec le réchauffement climatique, ce métier est de plus en plus dur, conclut Dominique Granier. Si les premières années de mon installation avaient été comme ces quatre derniers millésimes, j’aurais vite arrêté pour travailler dans une banque ». ♦