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Marseille inaugure sa première Maison médicale digitale

Par Olivier Martocq, le 11 février 2022

Journaliste

Le Dr Mohammed Salem et Driss Kanès devant la nouvelle Maison médicale digitale © Marcelle

Le « tout Marseille » de la politique, de la santé, des médias va débarquer ce vendredi à midi dans un lieu inhabituel pour lui, réputé pour ses points de deal et son insécurité : la cité La Castellane dans le 16e arrondissement. Objet de ce déplacement ? L’inauguration d’une Maison Médicale Digitale. Un concept innovant qui doit permettre aux 7000 habitants de ce quartier mal desservi en transports et privé de médecin depuis deux ans, de consulter à distance. Détail qui a son importance et explique l’engouement des personnalités : Zinedine Zidane sera présent !

 

« Marcelle ne traite pas de sujets à chaud. Les articles mettent en avant des retours d’expérience, pas des effets d’annonce… Et avec du people en plus ! Etc, etc… » Finalement le plus difficile n’aura pas été d’effectuer le reportage mais de parvenir à l’imposer ici. France Info n’a pas eu cette pudeur ! Ce qui m’a intéressé n’est pas la venue de la star Zidane qui explique le focus sur l’expérience tentée dans ce quartier mal traité. Mais l’alchimie incroyable qui a permis qu’elle se mette en place.

 

Impossible d’ouvrir une maison médicale classique 

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Le Dr Salem dans la cabine de téléconsultation © Marcelle

Maintenant que le local existe. Qu’il est repeint. Qu’il est équipé ? Chacun va chercher à tirer à soi la couverture. À l’origine du projet, il y a un homme. Il n’habite plus La Castellane mais y a vécu toute sa jeunesse. Son père, Lahcène, arrivé en 1969 a créé le club de foot « Nouvelle Vague » qui aura vu débuter Zinedine Zidane. Il le transmettra d’ailleurs au frère de ce dernier, Farid Zidane, décédé depuis. Driss Kanès comme tous ceux qui ont réussi, a quitté la cité. Chef d’entreprises, notamment dans le paramédical, il y repasse de temps en temps. Discute avec des amis. Retrouve des parents. Quand il apprend que les deux derniers médecins du quartier jettent l’éponge et que personne ne les remplacera, il décide d’ouvrir une maison médicale en apportant des financements privés.

Mais l’idée, simple sur le papier, se heurte à un mur infranchissable : pas un médecin ne veut visser sa plaque dans ce désert médical. La cité est mal desservie par les transports en commun et de surcroît, La Castellane a trop mauvaise réputation. La peur de ceux qui n’y sont pas nés est prégnante ! Face à ce constat, Driss Kanès avance un autre concept. Qui fait appel aux dernières innovations : une cabine de téléconsultation.

 

 

Deux ans de galère   

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Devant l’écran, différents outils pour réaliser l’auto-examen sous le regard du médecin © Marcelle

« J’avais entendu parler de l’expérience lancée par Mahamadou Coulibaly, un artiste issu d’une cité du 9-4. Un dispositif digital de téléconsultation pour pallier le manque de médecins dans son quartier d’enfance (lire bonus). L’Agence Régionale de Santé venait de soutenir son projet ». Las, sans sésame, ni réseau dans le médical, aucune porte de l’administration ne s’ouvre devant lui. Il a bien dégotté un local auprès du bailleur social de la Castellane pour 600 euros par mois. Loyer maintenu, malgré le caractère social évident de l’usage du lieu. Reste que sans un viatique de l’ARS, impossible d’en faire un centre reconnu par la Sécurité sociale.

Une rencontre avec Philippe Metellus va débloquer la situation. Le spécialiste de la chirurgie des tumeurs cérébrales sur patient éveillé, qui opère à l’hôpital privé Clairval, va faire jouer ses connaissances (notamment son confrère Renaud Muselier qui est aussi président de la Région) pour faire sauter les verrous politiques et administratifs. La Maison Médicale Digitale est lancée. « L’investissement pour le matériel et le local – autour de 10 000 euros – n’était pas le problème, explique Driss Khanès, car j’avais ces fonds. Mais ce centre ne peut fonctionner que s’il y a une infirmière pour accompagner les patients dans la cabine et les aider à se servir du matériel. Ainsi qu’un médiateur pour les problèmes de langues et la maîtrise des outils numériques. À commencer par la prise de rendez-vous en distanciel avec les médecins ».

 

La dynamique est enclenchée 

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Dans la cabine de téléconsultation © Marcelle

Devant l’avancée du projet et la multiplication des parrainages, l’Agence Régionale de Santé donne son feu vert. Elle financera les deux emplois, le temps que des subventions soient votées par les collectivités locales.

Mohammed Salem, chef du service de chirurgie de l’hôpital d’Aubagne, s’est impliqué sur l’outil de téléconsultation. « Il est d’un très haut niveau. Grâce à l’infirmière qui saura où placer tous les instruments reliés à l’ordinateur, le médecin aura toutes les constantes nécessaires pour faire un bilan complet : poids, tension, rythme cardiaque, souffle. Jusqu’à un détecteur de lésions, y compris pour le nez et les oreilles. La liaison haut débit permettra d’envoyer toutes les informations en temps réel. Au médecin de voir et converser en direct avec le patient ». Mohamed Salem s’est impliqué dans ce projet parce qu’il est aussi le président de HumaniTerra qui pourrait à l’avenir développer ce type d’outil pour ses missions dans des pays difficiles d’accès comme l’Afghanistan.

 

 

La fierté des habitants    

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Le pharmacien Mohammed Zerrouki, soulagé © Marcelle

Une trentaine de médecins généralistes ont d’ores et déjà prévu de libérer des créneaux de consultation à distance pour les habitants de La Castellane. L’APHM suit également le dossier en prévoyant d’associer des spécialistes de l’hôpital à certaines consultations, une fois posé le diagnostic par un médecin généraliste. Le coût est celui d’une consultation, prise en charge par la Sécu à 100% sur présentation de la carte Vitale.

Hier, à la veille du raout, c’était la grande effervescence à La Castellane. Les points de deal étaient ouverts mais aucun caïd n’empêchait les équipes de nettoyer les abords de la MMD. Le pharmacien avait le sourire. Son compte est à découvert de 41 000 euros. Depuis le départ du dernier médecin, plus aucune ordonnance n’était retirée chez lui et il s’apprêtait à fermer boutique. « Ça me redonne de l’espoir pour la vie dans le quartier ».  Même réaction chez tous les habitants croisés. Les jeunes soulignant tous fièrement : « C’est un des nôtres qui est à l’origine de tout ça » ! ♦

 

* L’AP-HM, Assistance publique des hôpitaux de Marseille, parraine la rubrique santé et vous offre la lecture de cet article *

 

Bonus

[pour les abonnés] – L’initiative de l’artiste Mahamadou Coulibaly à Champigny-sur-Marne – Les déserts médicaux-

  • L’initiative de Mahamadou Coulibaly. En 2020, l’artiste-plasticien a fait appel à Medadom pour installer une borne de téléconsultation. Équipée de dispositifs médicaux connectés, elle est installée au sein de la maison associative d’un quartier populaire de Champigny-sur-Marne. Davantage d’informations dans cet article.

 

  • Les déserts médicaux. Par « désert médical », on entend l’impossibilité ou la très grande difficulté pour les patients à accéder sur un territoire aux professionnels de santé du fait de leur absence ou de leur nombre trop limité. Cette situation a notamment pour conséquences l’accroissement des files d’attente, le déport de consultations vers les urgences médicales, des difficultés majeures à s’inscrire auprès d’un nouveau médecin traitant.

En 2019, 7,4 millions de Français habitaient dans une zone sous dotée en médecins, selon une étude de l’AMF et la Mutualité française. Un chiffre qui approcherait aujourd’hui les 10 millions.
Beaucoup de données et d’informations sur cette étude de Jacques Gonzales, secrétaire général de la Société de géographie et professeur de la faculté de médecine Pitié-Salpêtrière.