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Cinéthique sur La Mouche, le débrief

Par la rédaction, le 24 mai 2023

[bref] Lundi 22 mai, le cycle « cinéthique » a proposé le film « La Mouche » à son public. À la fois classique du cinéma de genre et œuvre personnelle signée David Cronenberg, ce long-métrage soulève des questions sur la liberté d’expérimenter notamment. Sorti en 1986, il reste complètement d’actualité. Retour sur la discussion qui a suivi.

 

Le film racontait l’histoire d’un biologiste brillant, Seth Brundle. Inventeur génial de la téléportation moléculaire, il se prend lui-même comme cobaye pour démontrer l’efficacité de son processus à une journaliste. Mais il ne s’aperçoit pas qu’une mouche fait partie du voyage et modifie l’expérience. Dès lors, le scientifique se transforme jour après jour en un monstrueux insecte.

Malgré une deuxième partie un peu gore, le public s’est accroché et a suivi la métamorphose. C’est fascinant et bien sûr dérangeant. Le malaise s’accompagne de bien des questionnements sur la science, la recherche et les expériences – d’un point de vue éthique et philosophique notamment. Qui ont donné lieu à des explications et commentaires de François Crémieux, directeur de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et de Marc Rosmini, agrégé de philosophie, auteur de « Cinéma et bioéthique – Être plus ou moins un sujet » (ed. Rouge profond).

 

Loi et collégialité

Parmi les grandes questions posées par cette fiction, il y a celle, universelle de ce que l’on peut faire ou pas au nom de la science. Évoquant les questions du clonage et de la reproduction de l’espèce, François Crémieux a rappelé que l’éthique médicale s’est structurée après la Deuxième guerre mondiale qui avait connu des expérimentations nazies sans limites scientifiques ni morales. On a donc cherché à réguler ce qui est possible, autorisé, légal concernant la recherche médicale. « En France, les limites sont fixées par la loi et il y a au sein des instituts de recherche des comités scientifiques qui fonctionnent collégialement », a rappelé le directeur de l’AP-HM. La notion de collégialité reviendra régulièrement dans la discussion, pour contrebalancer l’exemple donné dans le film d’un scientifique œuvrant dans son coin en électron libre et sans filet.

 

Liberté et consentement éclairé

« Il ne peut exister de progrès scientifique sans prise de risque, expose Marc Rosmini. Un large consensus existe autour de l’idée que l’expérimentation sur l’homme est légitime, à condition qu’elle soit encadrée par des règles strictes. En France, c’est la loi Huriet-Sérusclat qui fixe les limites ».

Pour le philosophe, le film pose donc la question de la liberté : en son nom, peut-on tout faire ? Le questionnement est métaphysique : qu’est-ce qu’un être ? Quels droits a-t-il sur son corps ? Quelles sont les limites de la conscience humaine ? « Deux concepts se chevauchent, observe-t-il, le risque et le consentement. L’expérimentation doit être libre mais éclairée. Or par définition, un être humain peut-il être par lui-même suffisamment éclairé sur tous les risques engendrés par un processus scientifique ?
Ce qui amène une autre question sur le consentement : à quel moment est-on soi-même ?
 »

La question de l’expérimentation a été très débattue lors de la pandémie, a rappelé François Crémieux, « notamment la polémique sur les vaccins et comment convaincre qu’il n’y avait pas de risque pour la santé à les injecter ». Un débat toujours d’actualité dans certains pans de la société. Pour le corps médical, l’analyse de fait autour du risque/bénéfice. Fort heureusement, des comités dédiés veillent à la protection de personnes et arbitrent en fonction des paramètres connus à l’instant où une décision doit être prise. C’est la collégialité qui doit veiller sur l’éthique.

Homme augmenté et financement de la recherche

Marc Rosmini souligne de son côté la problématique plus aiguë liée aux recherches menées par les armées pour la défense de leurs pays. Par exemple, les expérimentations sur le soldat augmenté. « Scientifiquement, on peut prouver que ça marche. Les militaires peuvent approuver la démarche car l’homme devient surhomme par rapport à ses adversaires. Mais le philosophe s’interroge : ce qui est bon pour les militaires l’est-il pour l’humain ? Certains neuroscientifiques cherchent à modifier le cerveau des soldats pour qu’ils soient moins empathiques, plus obéissants, et donc plus « efficaces ». Éthiquement, il est tout de même difficile de voir ça comme un « progrès ». Pourtant, c’est ce que pensent ceux qui travaillent sur ces nouvelles technologies. » 

Sans compter sur la mégalomanie et des envies de pouvoir qui peuvent s’emparer de certaines personnes – voire de certaines puissances nationales et régimes totalitaires.

Le financement de la recherche sera aussi évoqué. Implication, suivi, moyens, subventions gouvernementales. François Crémieux y voit un autre levier de régulation possible. Et pointe que les pires dérives dans la science sont liées à la mégalomanie plutôt qu’à l’appât du gain.

La folie et la mégalomanie aussi : ainsi, dans La Mouche, le héros découvre la métamorphose en cours, en comprend les causes et l’évolution inéluctable. Mais dans un premier temps, acceptant cet état, il semble prêt à prolonger son expérience.

Une autre parade, discutable évidemment est la religion : Dieu a créé l’homme a son image. Il ne faut donc pas le modifier. ♦

 

  • Cet événement s’inscrit dans le cadre du cycle « Culture, Éthique et santé ». Il s’agit d’un partenariat entre les hôpitaux universitaires de Marseille et l’Espace éthique Paca Corse. Le prochain aura lieu lundi 4 juillet. Le choix du film est en cours, stay tuned !

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