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Les confidences d’une librairie centenaire et en bonne santé

Par Nathania Cahen, le 31 mai 2019

Journaliste

Quand chaque jour ou presque une librairie met la clé sous la porte, la librairie Maupetit fête son centenaire à Marseille. Quels sont les ressorts de sa longévité ?

 

Les confidences d'une librairie centenaire et en bonne santé 1Elle serait même beaucoup plus âgée cette librairie, vraisemblablement installée rue de la Darse dès 1882. Mais pas de document officiel pour en attester. Le décompte démarre donc en 1919, quand un certain Ernest Maupetit rachète la librairie à Jean Carbonel. « L’entrée est toujours la même, et l’espace jusqu’à l’escalier date de l’origine », nous montre Damien Bouticourt, transfuge bourguignon qui dirige Maupetit depuis 2011. Il précise : « Il fallait alors moins de place car les ventes se faisaient autour de présentoirs disposés à l’extérieur, devant la boutique, au côté desquels s’activaient des vendeurs en blouse ». La Librairie des Allées devient Maupetit en 1927, quand les allées de Meilhan disparaissent au profit d’une Canebière prolongée. Le chef d’entreprise a de l’ambition pour son commerce, il veut en faire une grande librairie avec plusieurs spécialités. Dès 1935, des rayons scolaire, universitaire et médical sont ainsi mis en place.

 

Une librairie sauvée par Actes Sud

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Damien Bouticourt. @C. Rombi

Trois générations de Maupetit vont se succéder. Victor prendra la suite d’Ernest, avant de passer le flambeau à Jean-Marc. Au décès de ce dernier, en 1988, la librairie connaît une décennie de flottement, plusieurs fois rachetée avant qu’Actes Sud ne s’y intéresse. Une bonne fortune pour l’enseigne dont le développement et la renommée vont s’amplifier. Il y a eu recapitalisation, « des comptes renfloués et assainis, un nouveau rapport avec les banquiers », sourit Damien Bouticourt. Et les commandes des collections éditées par la maison arlésienne, très appréciées ici, bénéficient d’une remise.

 

Une librairie militante au cœur du Marseille populaire

La librairie Maupetit est la dernière de cette artère autrefois prestigieuse. Ses confrères Flammarion, Laffitte ou Tacussel (en 1989) ont baissé le rideau ou déménagé. C’est pour cette raison, entre autres, que la direction a participé à la fronde pour le prix unique du livre, avec le comité créé par Jérôme Lindon, le patron des Éditions de Minuit, et couronné par la loi Lang en 1981.

Les confidences d'une librairie centenaire et en bonne santé 3Être installé aujourd’hui en haut de la Canebière, dans un quartier complexe où cohabitent paupérisation et gentrification (oui, c’est possible), pourrait constituer un handicap. Mais partants du principe que libraire est un métier militant, Bouticourt et ses 33 coéquipiers font mieux que s’en accommoder et déploient des trésors d’ingéniosité. Dans leur botte secrète, une carte fidélité, des animations diverses comme des rencontres avec des auteurs (300 personnes pour Sophie Calle en janvier, un record !), des ateliers philosophie, écriture, lecture… Et encore la création d’un club de lecture, La Marelle, ou l’accueil de l’émission bimensuelle Obsession Textuelle. Les clients sont les habitants du quartier mais aussi de nombreux fidèles qui viennent de tout Marseille, « attirés par la taille et le choix. La présence de Gibert Jeune, pas très loin, constitue un atout et permet d’avoir un petit pôle autour des livres, relève le directeur. Plus on en montre, plus on en vend ! »

Alentour, un frémissement se fait sentir. Il y a le théâtre du Gymnase un peu plus bas, et son vieux rêve de fédérer un petit quartier latin (lire article). L’ancien cinéma UGC Capitole est devenu un CROUSS, Naturalia et un Monop’ ont ouvert. « S’ils s’implantent ici, c’est que les études de marché disent que le secteur est intéressant. Un cinéma doit aussi remplacer l’ancienne mairie de secteur. Cela donne un pôle d’enseignes attractif. C’est long mais les choses bougent », se félicite Damien Bouticourt.

 

Une librairie qui se consolide

Les confidences d'une librairie centenaire et en bonne santé 4Des immeubles voisins ont été peu à peu annexés pour constituer l’ensemble actuel : 850 m² de rayonnages, d’espaces lecture et de salle d’exposition. Les commandes en ligne, initiées en 2010, représentent aujourd’hui 5% des ventes. Depuis MP2013, année Marseille capitale de la culture, une extension de la librairie est installée au MUCEM. L’année suivante, des travaux d’embellissement ont été entrepris dans la maison mère. Le rayon scolaire et la papeterie ont déménagé à quelques mètres de là, dans un ancien café, et cédé la place à Côté Galerie, l’espace exposition qui permet une implication plus importante dans la vie culturelle marseillaise.

 

Une librairie festive

Pour le centenaire, des rendez-vous et des événements livresques jalonnent cette année, avec trois grandes périodes thématiques : créer, partager (en ce moment), s’engager. Les prochains rendez-vous sont des lectureLes confidences d'une librairie centenaire et en bonne santé 5s au théâtre des Bernardines, le 8 juin avec « Ravie » de Sandrine Roche, adaptation très libre de La chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet, et la mise en lecture du roman « La Danse sorcière » de Karine Henry, grand roman de la danse et de ce qui désaxe la trajectoire d’une étoile. Plus inédit, le 15 juin est lancé un book crossing, sorte de lâcher de livres qui répond à certaines règles du jeu. La boucle sera bouclée le 14 décembre avec une réflexion sur le sens des anniversaires… Sont-ils un regard en arrière ou une projection vers l’avenir ? ♦

 

Bonus

  • La dernier état des lieux de l’agence régionale du livre en Provence Alpes Côte d’Azur date de 2017. Ce qu’il en ressort : La répartition des librairies sur le territoire est globalement stable, excepté une légère baisse dans le département des Alpes de Haute-Provence et une hausse continue dans le Var (+ 6 % depuis 2015 et 26 % depuis 2011). On compte une librairie indépendante pour 30 200 habitants, ce qui correspond à la moyenne nationale (une librairie indépendante pour 32 300 habitants – étude Les libraires en région, Fill 2016). Les deux départements les mieux pourvus en nombre de librairies par habitant sont les Alpes de Haute-Provence et les Hautes-Alpes.
  • Depuis 2016, 16 librairies ont été créées – la moitié dans les Bouches-du-Rhône, 3 à Arles et 3 à Nice. Mais 10 ont cessé leur activité (dont la moitié dans les Bouches-du-Rhône). Entre 2007 et 2017, on déplore 99 fermetures pour 74 créations, soit 1,3 fermeture pour une création. La tendance s’inverse cependant depuis 2016, avec des ouvertures 1,6 fois plus nombreuses que les fermetures.
  • Par projection, le CA et le nombre d’ETP estimés pour les librairies de la région équivalent à 105 millions d’euros et 596 équivalents temps plein.