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Trémoine, une petite coopérative combattive

Par Frédérique Hermine, le 15 février 2024

Journaliste

La cave Les Vignerons de Trémoine regroupe les viticulteurs des villages de Rasiguères, Planèze, Lansac et Cassagnes ©DR
Cette cave du nord des Pyrénées-Orientales multiplie les initiatives de solidarité. Pour mobiliser encore ses vignerons et garder toutes ses parcelles, tout en préservant la biodiversité et le patrimoine local. Et rendre hommage au mérite des femmes.

La petite coopérative est nichée dans la haute vallée de l’Agly, le pays des aigles, à une trentaine de kilomètres de Perpignan. Au bout d’une vallée encaissée et sinueuse. Entre 100 et 400 mètres d’altitude, dans des paysages aux camaïeux bruns et ocre, les vignes profitent de l’influence du Mont Canigou et d’une belle amplitude thermique apportant de la fraîcheur dans les vins. Plus que centenaire, la coopérative de Rasiguères a été créée après la Première Guerre mondiale, en 1919. Les vignes étaient alors en très mauvais état, les caves à l’abandon et seule une mise en commun des raisins et des moyens avait pu sauver l’activité économique. C’était déjà le temps de la solidarité.

Jusque dans les années 50, les vignerons d’ici produisaient surtout des raisins pour élaborer des vins d’apéritifs très prisés à l’époque, notamment le fameux Byrrh que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Mais la cave s’est aussi fait une réputation, il y a 60 ans, avec son rosé, né presque par hasard une année de grosse récolte. Puis par ses rouges de plus en plus qualitatifs (la moitié de la production) ; tout en conservant son muscat de Rivesaltes.

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Trémoine vignoble de Rasiguères©DR

Un modèle de vente directe atypique


Après plusieurs fusions, notamment dans les années 1990 et 2000, la cave de Rasiguères devient Les Vignerons de Trémoine. Et regroupe désormais également les viticulteurs des villages de Planèze, Lansac et Cassagnes. Au milieu du XXe siècle, on dénombrait encore une centaine de coopératives dans le département ; elles ne sont plus qu’une vingtaine aujourd’hui. Trémoine ne compte plus en 2024 que 70 adhérents pour environ 420 hectares. Excentrés dans cette vallée au nord des Pyrénées-Orientales, ils se sont tournés naturellement vers la vente directe : au caveau dès les années 60, puis sur des salons, notamment dans la moitié nord de la France.

Cette commercialisation représente encore 60% du chiffre d’affaires et 30% des volumes pour les vins en bouteilles. « Une situation plutôt atypique dans la région, estime le directeur David Bleuze. Ce sont les vignerons qui prennent leurs valises 45 jours par an pour vendre sur les salons de particuliers ». L’enjeu principal est de stopper l’hémorragie, notamment des jeunes.

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Cuvée Le Barral ©DR

« Aujourd’hui, les moins de 45 ans, plus d’une trentaine de viticulteurs, élaborent 55 % des volumes, annonce fièrement le directeur David Bleuze. C’est plutôt une performance dans le contexte de vieillissement croissant en général dans le milieu coopératif. Mais nous ne comptons que deux trentenaires. Il a donc fallu trouver le moyen de pérenniser le modèle. D’abord en nous tournant vers une certification en HVE (80% des surfaces actuellement).Puis en poussant à la conversion en bio d’une partie du vignoble (une centaine d’hectares) pour coller à la demande. Mais ça n’était pas suffisant, il fallait multiplier les idées ».

Deux cuvées solidaires de vignerons et vigneronnes

La consommation évoluant vers des vins de plus en plus qualitatifs, quelques adhérents décident donc en 2009 de se regrouper. Et élaborent une première cuvée très haut de gamme, à partir d’une sélection parcellaire de vieilles vignes de carignan délaissées. Mais il faut attendre une maturité optimale jusque mi-octobre et les colles (équipes) de vendangeurs sont déjà parties. « La solidarité se met alors en place entre une dizaine de vignerons pour aller ramasser les raisins. Le repas de fin de vendanges a été l’occasion d’échanger entre eux ». La cuvée est baptisée Le Barral (petit tonneau en catalan).

Lorsque David Bleuze arrive à la direction de la cave, il y a deux ans, il décide de réactiver et d’élargir cette solidarité. Il constate par ailleurs que les vigneronnes sont très discrètes. « Certaines n’osaient même pas rentrer dans les bâtiments, alors que la coopérative est très familiale. En me penchant sur le sujet, je me suis aperçu qu’en fait, elles ne se connaissaient pas pour la plupart ».

Treize femmes entre 22 et 94 ans pour la cuvée L

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13 femmes et une cuvée baptisée L ©DR

Alors les femmes des villages autour de Rasiguères, exploitantes, femmes de viticulteurs… sont invitées pour discuter, échanger, réfléchir à une cuvée en commun. « Elles étaient contentes qu’on s’intéresse à leurs envies. Finalement, ça a redynamisé tout le collectif et débouché sur de nouvelles idées ». Treize femmes entre 22 et 94 ans décident de sélectionner des raisins dans leurs parcelles, font leurs propres vendanges, aidées par d’autres adhérents, et l’initiative aboutit à une cuvée solidaire pour le millésime 2022, baptisée L, tout simplement.

Trémoine, une petite coopérative combattive 2Après de nombreux échanges et dégustations, elles aboutissent à un vin rond, plus léger en alcool que ceux habituels sur le secteur (13% vol.). « Les groupes d’assemblages étaient très ludiques – c’était la première fois qu’était organisé ce type de dégustation et ça a remotivé les anciennes vigneronnes prêtes à partir à la retraite. Certaines étaient très émues de revenir dans la cave où l’on ressent cet art de vivre et ce fort attachement à l’outil de travail et toutes étaient très fières du résultat ». Une belle expérience qui était l’occasion de faire oublier qu’en 1919, à la rédaction des statuts, les femmes pouvaient être coopératrices, mais avaient été exclues de la gérance de la cave, la parité ne concernant que les intérêts politiques et familiaux dans le village.

Une SCIC baptisée La Vallée Secrète pour garder les belles parcelles

Dernier projet inauguré l’été dernier : la création d’une société en financement participatif. Le Domaine La Vallée Secrète doit préserver le patrimoine local du Roussillon. « Nous sommes partis du constat d’un trou générationnel entre 45 et 55 ans, qui posait problème pour la reprise des vignes de ceux qui partaient en retraite. De plus, ça concernait de jolis terroirs ; il fallait donc trouver une solution pour racheter ces parcelles, mais toute seule, la cave n’en avait pas les moyens ».

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Vendanges au domaine La Vallée Secrète ©Vignerons de Trémoine

La cave fait donc appel à Magali Bayle, « madame SCIC », (Société Coopérative d’Intérêt Participatif), pour l’aider à monter la structure, la première de ce type en Pyrénées-Orientales. La cave de Trémoine propose ainsi à tout son environnement d’investir collectivement dans la SCIC Domaine La Vallée Secrète. Les parts sociales sont à 1000 euros défiscalisables à 25% avec gratification en vin – un carton par an, et invitations aux événements. Grâce au capital collecté, elle va pouvoir financer les acquisitions et la rénovation du vignoble ainsi que l’achat de matériel d’exploitation. Une façon de pérenniser la cave. Tout en permettant de lutter contre les friches, d’entretenir la biodiversité et de préserver le patrimoine viticole. Car « Si nous ne faisons rien, dans les cinq prochaines années, 15 à 20% des surfaces de la cave n’auront plus d’exploitants. »

Déjà 70 investisseurs

La Vallée Secrète dénombre à ce jour 70 investisseurs (pour un montant de 107 000 euros), ce qui a déjà permis à Trémoine de récupérer une quinzaine d’hectares en 2023, 31 en 2024 et une cinquantaine prévus d’ici cinq ans. « Au départ, c’est la cave suivie par de nombreux salariés et vignerons qui a investi. Puis les mairies ont mis la main au portefeuille ou ont prévu de le faire cette année. Mais aussi des partenaires comme nos fournisseurs de cartons et de matériel viticole ».

Les 15 hectares ont d’abord été répartis pour l’exploitation entre plusieurs viticulteurs. Mais avec le doublement des surfaces vient d’être embauché un jeune chef de culture, enfant du pays, et trois saisonniers locaux. Tous espèrent une production de 60 000 bouteilles pour ce millésime. Et sans doute deux fois plus l’an prochain. ♦